Les mots qu- du français

P. Le Goffic
(09-2024)

Pour citer cette notice:
Le Goffic (P.), 2024, "Les mots qu- du français", in Encyclopédie grammaticale du français,
en ligne: encyclogram.fr
DOI: https://nakala.fr/10.34847/nkl.fc1cyn4x

Abréviations :
- catégories et fonctions grammaticales : abréviations usuelles
- catégories ontologiques : ‘Hum’ ou ‘+H’ (entités humaines), ‘non-Hum’ ou ‘-H’ (entités non humaines)
- états du français : afr. (ancien français), mfr. (moyen français), fmod. (français moderne)
- références fréquemment citées :
EGF = Encyclopédie Grammaticale du Français
GGF = Grande Grammaire du Français
(Abeillé & Godard, 2021)
GGHF = Grande Grammaire Historique du Français (Marchello-Nizia & al., 2020)
GSubF = Grammaire de la Subordination en Français (Le Goffic, 2019)



Introduction



Qu’est-ce que les ‘mots qu-’ ?

Il existe en français un petit groupe de termes qui présentent un air de famille, par leur initiale (en qu-), et par leur gamme d’emplois (ils sont utilisés tantôt comme interrogatifs et tantôt comme subordonnants) : qui, que, quoi, quand, … La même constatation est valable pour d’autres langues, anciennes, comme le latin (quis, quid, quod, quando…), ou modernes, comme l’anglais (mots en wh- : who, what, when, where…), l’allemand (mots en w- : wer, was, wann, wo…), et beaucoup d’autres.

D’où les questions ; que sont ces familles de termes, dont le fonctionnement parallèle est si remarquable, et ne saurait être dû à une simple coïncidence ? quel rapport existe-t-il entre les différents emplois de ces termes, et, en particulier, quels peuvent être les rapports entre interrogation et subordination ?

Ces questions, après avoir été longtemps ignorées ou négligées dans notre tradition grammaticale, sont depuis quelques décennies sur le devant de la scène. La présente notice vise à leur apporter des éléments de réponse, en inscrivant la problématique des mots qu- dans un cadre descriptif et explicatif unifié, dont les grandes lignes sont résumées dans l’encadré ci-dessous :

Qu’est-ce que les mots qu- ?

Les mots en qu- (qu’on peut aussi bien appeler mots en kw-, en remontant à l’origine indo-européenne de la famille) sont des indéfinis, plus précisément des marqueurs de variables, chacun dans un domaine donné : catégorie ontologique (entités ‘Hum’, entités ‘non Hum’, Lieu, Temps, Qualité-Manière, Quantité), ou classe lexicale ‘N’. L’ensemble constitue un paradigme, clos et clairement structuré, de termes ayant largement les mêmes utilisations.

Les mots qu- peuvent avoir des emplois :
- indéfinis (au sens habituel), dans des contextes non assertifs ou par quantification de la variable,
- interrogatifs (interrogation dite ‘partielle’) : ‘cherchez la valeur de la variable’,
- subordonnants : un mot qu- peut lier deux propositions, soit par une variable ontologique (subordination conjonctive), soit par une variable lexicale (subordination relative) ; dans ce dernier cas, le mot qu- attache une proposition à un terme nominal, il prend alors une valeur anaphorique, et un nouveau paradigme se constitue.

Le français illustre bien ces différents emplois, - non sans quelques particularités liées à son histoire, dont la plus notable concerne le pronom ‘non Hum’ que/quoi, défectif, auquel supplée une formation complexe ce qui / ce que.


Les mots qu- dans l’histoire de la grammaire

La famille des mots kw- n’a été reconnue en tant que telle qu’au 19e siècle.
Sans doute était-elle pressentie depuis longtemps : Aristote lui-même l’avait déjà mise en évidence sans le savoir à travers ses ‘Catégories’, dont chacune est symbolisée dans le texte grec par un terme en kw- (Aristote 2002 : 61-63) ; la grammaire classique l’ignore, même si nombre des discussions des grammairiens roulent sur les mots interrogatifs et relatifs (Colombat, dir., 2003). Mais la reconnaissance explicite de la famille date du début du 19e siècle : c’est l’un des fleurons de la reconstruction de l’indo-européen (Meillet 1964 : 328). Les correspondances phonétiques entre latin, grec, sanscrit, germanique, slave, etc. (série de langues à laquelle sont venus s’ajouter le hittite et le tokharien, découverts postérieurement), sont reconnues, et permettent de dégager une imposante famille morphologique (pronoms, adverbes, adjectifs), présente dans toutes ces diverses langues, fournissant à la fois des interrogatifs et des indéfinis dans chacune d’elles (comme le latin quis, interrogatif ‘qui ?’, et indéfini dans si quis… ‘si quelqu’un…’), ainsi que des subordonnants dans une partie d’entre elles.

La grammaire historique n’a eu toutefois que peu d’influence sur la grammaire (dite ‘traditionnelle’) qui s’est constituée parallèlement au long du 19e siècle, et qui constitue encore notre doxa de référence : les rapports entre interrogatifs et indéfinis (moins immédiatement visibles en français ou en anglais qu’en latin ou en grec) sont ignorés ou occultés, les liens entre interrogation et subordination sont laissés de côté. Globalement, l’unité de la famille est méconnue : pronoms et adverbes sont traités séparément, les adverbes quand, comme, que sont étiquetés ‘conjonctions’ dans leurs emplois subordonnants.

L’unité de la famille (dans sa constitution paradigmatique, et à travers la variété de ses emplois) est néanmoins de plus en plus nettement reconnue au 20e siècle par les linguistes. C’est le cas notamment de Damourette et Pichon (1911–1940 : T.7, Chap. XVIII) qui regroupent tous les mots en qu- pour les étudier en parallèle dans leurs différents emplois, et mettent clairement en évidence la nature du lien établi par quand ou comme entre deux propositions (liaison par une variable). La nature de variable des mots kw- avait déjà été reconnue par Jespersen, qui est le premier à notre connaissance à avoir assimilé les mots interrogatifs au ‘x’ de l’algèbre, en affirmant qu’une interrogation partielle est une question sur une quantité inconnue x (1924, Tr. fr. 1971 : 432).  Si le terme de variable n’est guère repris en France, l’idée s’en retrouve sous des formes diverses chez différents auteurs, par exemple ‘virtualité maximum’ chez Moignet (1981 : 177), ou ‘parcours’ chez Culioli (1974, repris en 1999, T. 3 : 119). D’un autre côté, la grammaire générative, à partir des années 60, a porté un puissant coup de projecteur sur les ‘mots wh-’ et leur rôle en syntaxe, - mais sans s’attacher à clarifier leur nature et les principes de leur fonctionnement (cf. Chomsky 1964 : 38 sq. ; 1995 : 70).

Sous ces diverses impulsions, les mots qu- du français ont fait l’objet, depuis trois ou quatre décennies au moins, d’un foisonnement considérable de travaux : les articles se comptent par centaines (nombreux sont les linguistes, parmi lesquels l’auteur de ces lignes, qui en ont publié plusieurs dizaines), et la notion de ‘mots qu-’ figure désormais dans les grammaires récentes, par exemple dans notre Grammaire de la Subordination en Français (Le Goffic 2019 ; ci-après GSubF : 24 sq.), ou la  Grande Grammaire Historique du Français (Marchello-Nizia et al., 2020, ci-après GGHF : 762 sq.) ou la Grande Grammaire du Français (Abeillé et Godard 2021, ci-après GGF : 1105 sq.). La reconnaissance partagée de l’existence de la famille et de son importance n’exclut toutefois pas de notables divergences, pouvant même concerner l’inventaire de ses membres. La question fondamentale reste de caractériser adéquatement les mots qu- (dont la nature de variable est souvent esquivée sous le label de ‘proforme indéfinie’), pour pouvoir rendre compte de leur utilisation et en particulier du passage naturel entre leurs emplois interrogatifs – indéfinis et leurs emplois subordonnants.


Bibliographie de base.

Voici quelques ouvrages de base pour l’étude des mots qu- (on a écarté d’une part les articles, et d’autre part les grandes références classiques du XXe siècle) :

- Muller Cl., 1996 : La subordination en français. Somme de réflexions et d’observations, toujours enrichissante et suggestive, - dans un cadre général parfois difficile à suivre. Nombreux points de convergence (et de divergence) avec la présente notice.

- Haspelmath M., 1997 : Indefinite Pronouns. L’ouvrage aborde les rapports entre interrogatifs et indéfinis, d’un point de vue descriptif, dans le cadre d’une étude d’ensemble sur les indéfinis dans les langues (typologie générale). Clair et utile.

- Lefeuvre Fl. & Pierrard M. (éds), 2008 : Les proformes indéfinies (= Langue Française 158). Présente un échantillon représentatif des recherches en grammaire française : articles de Ch. Benzitoun, J. Deulofeu, P. Hadermann, Fl. Lefeuvre et C. Rossari, P. Le Goffic, E. Moline, Cl. Muller, M. Pierrard.

- Le Goffic P., 2019 : Grammaire de la subordination en français (GSubFr). Etude d’ensemble détaillée, organisée par type de subordonnées, reposant sur l’analyse des mots qu- telle qu’elle est exposée dans la présente notice.

- Marchello-Nizia & al. (éds), 2020 : Grande Grammaire Historique du Français (GGHF). Somme d’informations embrassant toute l’histoire du français et le français actuel, dans une perspective combinant la doxa traditionnelle et des remises en questions contemporaines.

- Abeillé A. et Godard D. (dir.), 2021 : La Grande Grammaire du Français (GGF). Présente des vues largement inspirées de la grammaire générative, appliquées au français : approche différente de la nôtre (voir les fiches sur les mots qu-).

Plusieurs notices de l’Encyclopédie Grammaticale du Français abordent des points en relation avec la présente notice :

Benzitoun (C.) & Saez (F.), 2016 : "Les constructions en quand"  >Notice  ,
Apothéloz (D.) & Roubaud (M.-N.), 2018 : "Constructions pseudo-clivées"  >Notice  ,
Rouquier (M.), 2018 : "Les constructions clivées"  >Notice  ,
Gréa (P.), 2022 : "Indéfinis de quantité peu élevée (quelques et plusieurs)"  >Notice  ,
Coveney (A.), 2020 : "L'interrogation directe"  >Notice 


Questions de méthode (brèves remarques)

L’exposé s’appuie sur la diachronie et la typologie. La diachronie d’une langue donne à voir le devenir d’un système, permettant de dégager aussi bien les lignes de force de l’évolution que ses particularités contingentes. Les mots qu- que nous utilisons tous les jours ont une histoire et constituent un système héritier d’un système plus ancien : l’histoire de la langue permet de comprendre par exemple dans quelles conditions s’est formé le paradigme des pronoms relatifs en français. En complément, l’histoire de la grammaire est indispensable pour comprendre sur quelle base se sont implantés les termes grammaticaux dont nous nous servons, et ce qu’ils recouvrent. Le regard comparatif de la typologie (peu exploitée ici pour ne pas allonger l’exposé) amène à relativiser la langue étudiée et à considérer une évolution donnée comme une parmi d’autres possibles.

S’agissant de dégager une structure complexe à large empan historique, la présente notice ne s’appuie pas sur des études de corpus. Des études quantitatives seraient évidemment bienvenues pour étayer ou documenter certains points (comme les cas de concurrence entre constructions ou variantes : qui / celui qui, où / là où). La notice vise à décrire le système standard du français, (tel qu’il est pratiqué essentiellement en France), norme de référence à l’écrit et à l’oral. Il n’est pas contradictoire, d’une part, de prendre en compte une norme, déclarée et reconnue comme telle, et d’autre part de décrire la langue comme un système vivant, évolutif (historique), comportant des facteurs de déséquilibre et travaillé par des tensions divergentes. Les deux attitudes sont nécessaires et complémentaires. Les faits de variation (diastratique, …) sont abordés non pas dans l’esprit d’une collecte d’énoncés déviants, mais comme témoignant de procédés de restructuration à l’œuvre (cf. p. ex. les formes périphrastiques des interrogatifs, ou le paradigme des relatifs). La dimension diatopique : français de Belgique, d’Afrique, d’Amérique… n’est pas prise en compte : lacune à combler. Étant centré sur le système des mots qu-, en tant que système générateur central, l’exposé ne peut viser à décrire exhaustivement toutes les exploitations des mots qu- dans le discours (par exemple dans telle ou telle configuration macro-syntaxique, ou derrière un point à l’écrit).

Terminologie :
Pour essayer de surmonter l’obstacle incontournable de la terminologie, on a gardé au maximum les termes traditionnels dans leur acception ordinaire, en misant sur la clarté (espérée !) du texte. Voici néanmoins quelques précisions sur notre usage, pour prévenir des doutes de lecture :
- indéfini : sens large ou restreint. Au sens large : couvre tous les termes en qu-, dans tous leurs emplois, en tant que marqueurs de variable ; au sens restreint : concerne uniquement les emplois traditionnellement étiquetés ‘indéfinis’ en grammaire.
- relatif, relative, pronom relatif : usage limité aux constructions adnominales (sur antécédent).
- complétive = ‘que P’, en toute fonction (sujet, Cod, …). (Ne comprend pas les subordonnées interrogatives).
- subordonnant : mot introduisant une subordonnée, quelle qu’elle soit.
- conjonctif : vieux terme grammatical, qui regroupe le qui de Qui dort dîne (= pronom conjonctif) et les dites ‘conjonctions’ quand, où, comme, que comparatif (= adverbes conjonctifs). Il manque en grammaire un terme pour recouvrir tous les emplois subordonnants qui ne sont ni interrogatifs ni relatifs, et marquer l’unité de cette classe (avant de la subdiviser en pronoms / adverbes). A cette fin, on pourrait proposer ‘intégratif’, ou en rester à ‘indéfini’ pris dans son sens large (comme on l’a fait dans des publications antérieures) ; nous avons choisi ici ‘conjonctif’. Les propositions conjonctives adverbiales sont les ‘circonstancielles’ de la tradition ; les propositions conjonctives (pro)nominales (Qui dort…) peuvent être dites ‘actancielles’.
- complément : terme générique. Dans une phrase, un complément est soit essentiel (= appelé par la valence du verbe), soit accessoire (non appelé). Un complément essentiel est toujours intraprédicatif (portée étroite) ; un complément accessoire est soit intra- soit extraprédicatif (portée large). Exemples :

La réunion est à 8 heures : le complément à 8 heures est essentiel, intraprédicatif
Je me suis réveillé à 8 heures : le complément à 8 heures est accessoire, intraprédicatif
À 8 heures, je me suis levé et j’ai… : le complément à 8 heures est accessoire, extraprédicatif.

Les compléments internes à un groupe (GN ou autre) sont des compléments de niveau secondaire.



1. La famille des mots qu-


Les mots qu- forment un paradigme fermé et structuré de termes ayant une même origine : ils remontent, par-delà le latin, à l’indo-européen (§ 1.1.). Ils constituent une grille, ontologiquement structurée (§ 1.2.) d’indéfinis marqueurs de variables (§ 1.3.), partageant une même gamme d’emplois (§ 1.4.).


1.1. Une famille indo-européenne

Le Tableau 1 présente la famille des mots qu-, sur la base de leurs emplois interrogatifs ou exclamatifs : c’est là que le paradigme est le plus facile à mettre en évidence.

 

Domaine Mots en qu-
interrogatifs    exclamatifs
Catégorie morphologique
Entités ‘Hum’ qui   pronom
Entités 'non Hum' que/quoi    pronom
Lieu   adverbe
Temps quand   adverbe
Qualité-Manière comment comme
quel
combien
que
adverbe
adjectif
adverbe
adverbe
Quantité-Degré combien
Sélection
(hors ontologie)
quel
lequel
  déterminant (adjectif)
pronom 

Tableau 1 : Les mots qu- interrogatifs et exclamatifs

Tous ces termes viennent du latin, directement ou indirectement (dans le cas de comment et combien) et remontent à une même racine indo-européenne kw: exemple de permanence remarquable à travers les millénaires. Ils sont les marqueurs exclusifs (peu nombreux) de l’interrogation partielle (mais non de l’exclamation) et constituent un inventaire limité et fermé :

Pronoms : qui, que, quoi, lequel,
Adverbes : où, quand, comment, combien, comme, que,
Adjectif (ou déterminant) : quel.

Premières remarques sur l’inventaire :

- que et quoi sont deux formes du pronom interrogatif ‘non-Hum’ en distribution complémentaire : Que fais-tu ? / Tu fais quoi ?,

- que, adverbe exclamatif de quantité (Que c’est gentil !), est un homonyme du pronom –H,

- où est bien un mot qu- : il vient du latin ubi (même sens), qui avait perdu son initiale labiovélaire kw-,

- comment et combien ont été formés en ancien français à partir de comme (afr. com), qui remonte au latin quo modo (‘de quelle manière’). Comme et comment sont des marqueurs de qualité - manière en distribution complémentaire (voir ci-dessous §1.2.),

- quel est interrogatif (Quelle heure est-il ?) ou exclamatif (Quel idiot !), avec des valeurs différentes (sélection / qualité).

L’adverbe pourquoi ne figure pas dans ce tableau, malgré sa fréquence et son importance : il se distingue des mots du Tableau 1 à la fois par sa morphologie et par son sens. Morphologiquement, c’est une formation secondaire évidente : pour + quoi. La préposition pour porte l’idée de cause, et quoi représente ce qui est la cause ; c’est quoi qui constitue la part proprement interrogative de pourquoi et qui détermine les emplois subordonnants associés. (Ce type de formation se retrouve dans de nombreuses langues : allemand, russe, etc.. L’anglais why est un ancien cas oblique du pronom ‘-H’ ; les cas de formation particulière, comme le latin cur¸ sont rares ; cf. Heine et al., 1991 : 59). Du point de vue du sens, la cause ne se situe pas au même niveau que les mots qu-  : c’est une catégorie logique (et non pas ontologique), qui engage essentiellement une relation entre propositions, alors que les catégories ontologiques (incarnées par les mots qu-) concernent les constituants internes à une proposition.

Pour compléter l’inventaire des mots qu-, il faut ajouter le mot dont : c’est aussi étymologiquement un mot en qu-, formé de la préposition de + ont, du latin unde, marquant le lieu origine, qui avait perdu son initiale kw- (comme ubi). Dont n’a plus que des emplois relatifs, mais il avait encore en français classique des emplois interrogatifs.

Pour mémoire : quant, ancien adjectif ou adverbe de quantité, interrogatif ou exclamatif (du latin quantus), parallèle à quel, est sorti de l’usage en mfr. ; il subsiste dans la locution quant à X (= ‘pour autant que X est concerné’ : emploi de type conjonctif), et dans l’adjectif quantième.

Le mot isolé car (latin qua re : litt. ‘pour quelle chose’), est complètement sorti du champ des mots qu- .

Il existe d’autre part des indéfinis dans lesquels se retrouve un élément qu- : quelque(s) (version amplifiée de quel), quelqu’un, quiconque, aucun, … Ces mots seront présentés et étudiés dans la section 2.


1.2. Un paradigme structuré

Le paradigme des mots qu- interrogatifs constitue de façon évidente une grille ontologique couvrant l’expérience humaine, grille limitée mais robuste, et complète dans son ordre, sorte d’architecture cognitive fondamentale (cf. les ‘Catégories’ d’Aristote : 2002 : 61-63), ayant toutes chances d’être universelle et de se retrouver dans toutes les langues (cf. les présentations convergentes de Jackendoff 1983 : 48 – 56, Heine & al. 1991 : 55 – 58, Haspelmath 1997 : 30). On reconnaît aisément dans cette grille trois domaines, organisés par couples, à savoir : les objets du monde (entités humaines / non humaines), les coordonnées spatio-temporelles (Lieu / Temps), les propriétés des entités et des procès (Qualité / Quantité).

Objets du monde, réel ou imaginaire : Entités +H / -H.  Domaine recouvrant tous les objets du monde, au sens le plus large, avec une distinction anthropomorphique tranchée entre entités +H et entités -H (distinction semble-t-il universelle, sauf accident phonétique ou morphologique) : Tu penses à qui ? – à Jeanne / Tu penses à quoi ? – au réchauffement climatique. La catégorie des entités -H s’étend largement au-delà des objets concrets (et même abstraits ou imaginaires), et subsume tout processus ou forme d’action (mécanisme universel selon Heine & al., 1991 : 56) : la réponse à la question Que fais-tu ? peut être soit une entité (Je fais un gâteau au chocolat), soit un procès (Je travaille).

Coordonnées spatio-temporelles : Lieu et Temps : catégories robustes, en tant que données immédiates de la conscience perceptive (quels que soient les problèmes que soulève leur définition scientifique).

Propriétés des entités et des procès : Qualité et Quantité : catégories plus délicates à appréhender, plus fragiles dans les langues (comme en témoignent les divergences entre elles, et le fréquent renouvellement des marqueurs), catégories secondes en ce qu’elles représentent des propriétés relatives à d’autres catégories (entités, exprimées par des N, ou procès, exprimés par des V), - mais catégories indispensables. Le latin disposait de marqueurs adjectivaux pour rapporter la qualité et la quantité à des Noms, et de marqueurs adverbiaux pour les rapporter à des Verbes, mais le français a perdu (influence germanique ?) les marqueurs adjectivaux interrogatifs quel (conservé dans l’exclamation) et quant, et il s’est reporté sur des adverbes nouvellement créés à partir de la souche afr. com(me) (du latin quo modo, ‘de quelle manière ?’).

Qualité – Manière : schématiquement, on peut dire que la manière est au verbe (ou plus généralement aux procès) ce que la qualité est au nom, ou encore que la manière est la qualité rapportée au verbe : cf. conduire prudemment / une conduite prudente, bien travailler / un beau (bon) travail (cf. Heine & al. 1991 : 58). Dans l’interrogation, le français a reporté l’expression de la qualité sur l’adverbe comment, marqueur non seulement de manière de faire mais aussi de manière d’être : C’était comment, ce film ? – Pas terrible ; Il est comment, le nouveau collègue ? – Plutôt sympa ; la qualité est envisagée comme une ‘manière d’être’, permanente (essentielle) ou occasionnelle. Nous parlerons donc dans la suite de ‘Qualité – manière’.

Quantité - Degré : on peut de même distinguer la quantité, rapportée à un N, et le degré, rapporté à un Verbe (ou plus généralement à un prédicat gradable), mais la distinction est de moindre conséquence. Le français utilise le seul adverbe interrogatif combien : Combien de personnes y avait-il ?

Ce paradigme ontologique est complété (universellement, sans doute) par un (au moins) marqueur de sélection dans le domaine lexical des Noms : quel ? (Quelle heure est-il ? Quelle couleur préférez-vous ?). Quel N ? permet d’étendre l’éventail des interrogations à toute l’étendue du lexique, et de doubler les catégories ontologiques : quelle personne ? quelle chose ?, quel lieu, moment ?, de quelle façon ?, etc. (cf. italien Che cosa fai ?, littéralement : ‘Quelle chose fais-tu ?’, à côté de Che fai ? ‘Que fais-tu ?’).

Par suite, l’interrogation concernant des catégories logiques est assurée sans difficulté ni limitation par des formations composées, constituées à partir des mots interrogatifs quoi ou quel : ainsi pour la cause, pour quelle raison ? ou pourquoi ? (déjà évoqué ci-dessus). De même pour le but : pour quoi ? (en deux mots), dans quel but ?, etc.

Au total, ce paradigme de marqueurs interrogatifs correspond à un équipement cognitif de base, sous-tendant le langage depuis la nuit des temps, et encore présent dans chaque langue (avec quelques variantes).


1.3. Des indéfinis marqueurs de variables

Dans chaque domaine, le mot qu- renvoie à un représentant quelconque du domaine de référence, chacun des membres du domaine étant éligible : il marque une virtualité maximum, un parcours illimité, une généralité sans exception. En d’autres termes, c’est une variable.

Ainsi une question en qui cible un représentant quelconque ou une pluralité quelconque de tout ce qui peut être dit Humain, chaque choix possible constituant une réponse linguistiquement acceptable. Toute restriction du domaine provient nécessairement d’un effet contextuel, explicite (Qui de vous deux … ?) ou implicite : Qui est pour ? Qui est contre ? restreint l’univers de discours aux humains susceptibles de participer au choix en question. De même, une question dans le domaine des entités -H ouvre sur une infinité de réponses linguistiquement recevables.

Il en va de même pour les autres catégories. cible un lieu quel qu’il soit, proche ou lointain, restreint ou étendu (D’où viennent ces mangues ? - Du supermarché / du Mexique), quand désigne un moment du temps aussi petit ou grand qu’on voudra, passé, présent, à venir, imaginaire, il convient tout aussi bien pour une occurrence singulière ou une répétition, une date ou une durée (quelconque) : Quand a eu lieu cette explosion ? - Hier soir à 20 h 47 / Il y a 15 milliards d’années. Une question en Combien ? balaye la totalité du champ entre zéro et l’infini ; une question en Comment ? ouvre sur n’importe quelle qualité ou manière. Quel N ? admet en réponse n’importe quel(s) représentant(s) de la classe N.

On a déjà mentionné supra les principaux auteurs qui ont mis au jour cette notion de variable : Jespersen parle de ‘quantité inconnue x’ à propos des mots interrogatifs (1924, Tr. fr. 1971 : 432) ; Moignet définit les mots en qu- comme des indéfinis de virtualité maximum (1981 : 179) ; Culioli les définit comme des marqueurs de parcours, le parcours étant

« cette opération qui consiste à parcourir toutes les valeurs ou opérations possibles […] sans (vouloir / pouvoir) distinguer telle ou telle d’entre elles »),
ou encore « l’image de toutes les valeurs (abstraites) possibles » (1974, repris en 1999, T. 3 : 119).

À date plus récente, on trouve des formulations allant dans le même sens chez plusieurs auteurs, par exemple chez Claude Muller :

« On peut supposer que leur valeur générale [= des mots qu-] est celle d’une disjonction d’éléments du type x représenté par le contenu particulier de la proforme : personne, chose, lieu, temps, quantité… : Qu- (x) = tel ou tel …x » (2008 : 14).

ou Michel Pierrard :

« Le marqueur QU- est une proforme indéfinie sous-spécifiée en attente de spécification. » (1998, repris in 2021 : 47)

L’analyse que fait Chomsky des ‘mots wh’, présente dès 1964 (Current Issues in Linguistic Theory : 38 sq.) et reprise inchangée dans The Minimalist Program (1995) est voisine : 

« Typically, such question phrases as who, whom share semantic and distributional properties of quantifier phrases, and might be composed of an indefinite quantifier, a wh- feature, and the restriction on the quantifier. Accordingly, who would be composed of [some x, wh-, x a person]; and so on. » (1995 : 70 ; formulation réitérée p. 263).

Mais la suite du texte n’éclaire pas sur le rapport aux indéfinis, ni sur le ‘trait wh’ (cf. 1995 : 37, 48, 151, 199 sq., 289 sq).


1.4. Mode d’emploi

Quels sont les emplois possibles d’un marqueur de variable ?

Au point de départ, une constatation : une variable est par définition incompatible avec une assertion, et ne pas être assertée en tant que telle. Des énoncés comme « *Tu vas où. » ou « *Qui a fait ça. », avec intonation conclusive et point final, seraient mal formés, dépourvus de sens et de valeur référentielle, ininterprétables, de la même façon qu’en algèbre, une expression comme ‘4x + 2’ est dépourvue de valeur. Mais cette limite n’empêche pas la valeur de variable indéfinie des mots qu- d’être la source de toute une gamme d’emplois, qu’on peut répartir en quatre grands types.

1) emplois indéfinis (hors proposition assertive) : ils relèvent de la valeur fondamentale et sans doute première des mots qu-, bien qu’ils aient été sujets à beaucoup de variations dans l’histoire des langues indo-européennes, et qu’ils soient faiblement représentés en français (par exemple par le qui de qui que vous soyez,…).

2) emplois interrogatifs : ils sont de fondation, clairement identifiés, stables à travers l’histoire. Un interrogatif est un indéfini dont on cherche la valeur : Qui a fait ça ? = ‘étant donné x, cherchez la valeur de x’. (On précisera au § 3.4. ce qui concerne les mots qu- exclamatifs.)

3) emplois subordonnants conjonctifs. Le ressort fondamental est la liaison de deux propositions par une variable commune : Qui dort dîne réunit ‘dormir’ et ‘dîner’ autour d’un même sujet x Humain, sémantiquement et syntaxiquement. Il en va de même pour toutes les catégories ontologiques, avec de nombreuses diversifications et extensions.

4) emplois subordonnants relatifs. Dernier stade : la liaison de deux propositions se fait par une variable non plus ontologique mais lexicale, ce qui revient à attacher une proposition à un N, le mot qu- se chargeant alors d’une valeur supplémentaire d’anaphore lexicale. C’est la subordination relative, dont on peut suivre la mise en place et le développement en latin, jusqu’à la transmission au français, - qui ne s’est faite qu’au prix d’un changement de paradigme : le qui de Pierre qui roule n’amasse pas mousse n’est plus le qui ontologique initial.

Ces quatre types d’emploi feront respectivement l’objet des sections 2, 3, 4, et 5. Quelques compléments suivront.



2. Mots qu- indéfinis


Les mots qu- (dont la valeur d’indéfini est la valeur fondamentale) ne peuvent pas s’employer dans une phrase assertive, avec une valeur référentielle (*Où tu vas. *Tu vas où. *Qui a fait ça.), mais ils peuvent être utilisés dans des contextes non assertifs, virtualisants, ou en combinaison avec un élément qui les rend utilisables sans restriction : ils sont alors employés comme des ‘indéfinis’ au sens ordinaire du terme. Selon Haspelmath (1997 : 174), sur un échantillonnage de 100 langues choisies pour représenter la diversité des langues du monde, 63 d’entre elles (= les 2/3) ont des indéfinis et des interrogatifs apparentés.

Ces emplois peuvent se regrouper en trois catégories :
2.1. indéfinis nus hors assertion (variable non quantifiée),
2.2. indéfinis en composition (variable entrant dans des formations complexes grammati­calisées),
2.3. indéfinis avec quantification (variable quantifiée).

Toutes ces possibilités étaient abondamment exploitées en latin. Elles le sont beaucoup moins en français (cf. Le Goffic 2015), où les indéfinis sont faiblement grammaticalisés, sans doute en bonne partie pour des raisons morphologiques : le système morphologique du latin était à la fois riche et souple, celui du français est à la fois plus restreint et moins flexible. Mais on peut néanmoins illustrer chaque catégorie.


2.1. Indéfinis hors assertion

La variable non quantifiée (dite ‘nue’, morphologiquement identique à l’interrogatif) peut s’utiliser dans certains contextes  en gardant sa virtualité maximum, aucune valeur n’étant sélectionnée : c’est alors la valeur dite irrealis, qu’on a par exemple dans des contextes hypothétiques ou des interrogations totales. Ainsi en latin l’interrogatif nu quis (‘qui ?) est indéfini irrealis dans si quis… ‘si quelqu’un…’ ou num quis… ? ‘est-ce que quelqu‘un … ?’.

Ce genre d’emploi n’est guère représenté en français. Mais il existe néanmoins une série d’indéfinis nus dans la série dite ‘concessive’ qui que tu sois, où que tu ailles...., type de subordonnée très particulier, au subjonctif, avec la contiguïté immédiate (inhabituelle) de deux mots qu-.

 

Domaine Mot qu- Exemples
Entités ‘+H’ qui que… Qui que vous soyez, vous devez m’écouter
Entités ‘-H’ quoi qui/e… Quoi qu’on fasse, il n’est jamais content
Lieu que… Où que j’aille, je m’ennuie
Temps --  
Qualité, Quantité,
sélection N
quel que soit N
quelque N qui/e...
Quelle que soit l'heure, je viendrai
Quelque envie qui me prenne, je m'abstiens
A quelque heure que ce soit, vous pouvez m'appeler

Tableau 2 : Les mots qu- dans le tour indéfini concessif

Le premier mot qu-, initial, identique à l’interrogatif (sauf quelque), a très clairement une valeur indéfinie : toutes les valeurs de la variable sont parcourues, sans qu’on en choisisse aucune ; quel que soit x, la proposition suivante est vraie (même si on pouvait envisager qu’il en soit autrement, - d’où l’étiquette de concessive). On retrouve le paradigme des mots interrogatifs, incomplet, mais clairement reconnaissable :

- Pronoms : opposition qui : variable ‘+H’ / quoi ‘-H’.
Qui : toutes fonctions. Fonction préférentielle : attribut (qui que vous soyez). Rare (ou même douteux) en fonction sujet.
Quoi : aucune alternance avec *que, ni blocage : quoi qu’il arrive, … Peut prendre une valeur quantitative : quoi qu’il en coûte, …
Sur quoi s’est formé le marqueur de concession quoique (locution conjonctive), avec figement graphique : quoique P (= ‘quoi que P [soit]’ ; voir § 4.3.).

- Adverbes : seul (Lieu) est courant, dans quelques formulations (où que vous soyez, où que j’aille, d’où qu’il vienne).
Les autres adverbes peuvent se rencontrer de façon sporadique (quand que, comment ou comme que, combien que). Cette carence est compensée par le recours à quel / quelque :

Quel que soit le moment où … ; À quelque moment que ce soit, …
Quelle que soit la façon dont …

Quelque a aussi, marginalement, un emploi (recherché, ne figurant pas au Tableau 2) d’adverbe de quantité ou de degré, invariable, devant un Adj ou un Adv (cf. quelque peu § 2.3.) :

Quelque respectables que soient ses intentions,… ;
Quelque brillamment que vous ayez réussi,…

- Adjectif / déterminant : quel / quelque. Quel (attribut dans quel que soit N…) a pris depuis l’afr. la forme quelque quand il détermine un nom : quelque N que … (recherché) :

Quelles que soient vos objections, … / Quelques objections que vous puissiez formuler, …

Quelque s’est formé à partir précisément de quel… que…, avec soudure des deux éléments, et combinaison avec un second que (cf. GGHF : 725). Les confusions sont fréquentes entre quel que… et quelque N … , souvent contourné par quel que soit le N qui/e… :

Quelles que soient les objections que vous puissiez formuler,….

L’emploi de quel / quelque neutralise la distinction entre simple sélection et variable de qualité : il fait défiler tous les types possibles et toutes les qualités possibles de N. Quel(que) peut même prendre une dimension quantitative (avec valeur intensive) :

Quel qu’en soit le prix,… Quelque envie que j’en aie, ...

Le second mot qu- est communément considéré comme un relatif ayant le premier mot qu- pour antécédent, sur la base de l’alternance qui sujet (peu courant en pratique) / que objet. Pour la réduction du paradigme (emploi généralisé de que pour les autres fonctions) et les variantes (de quelque façon que … / quelque façon dont …), voir § 6.3.

L’analyse syntaxique du tour est problématique et a fait l’objet de nombreux travaux et nombreuses hypothèses (cf. entre autres Muller 1993, GSubF : 187 – 191) : quel est le statut du premier mot qu-, indéfini ? Par rapport à quoi a-t-il une fonction ? Comment la construction se rattache-t-elle au reste de la phrase ? C’est le paradoxe de ce tour, très ancien en français, et d’allure archaïque, qui mobilise deux mots qu- dont aucun ne marque un rattachement à une structure supérieure, et qui s’utilise comme un constituant parenthétique de type circonstant adverbial, toujours suppressible. On peut penser qu’il s’agit d’une forme particulière de construction paratactique, fortement elliptique : qui que tu sois = ‘[sois-tu] qui que tu sois = sois-tu tel, tel, ou tel…

En dehors du tour indéfini concessif, le français présente quelques emplois isolés d’indéfinis nus :

- qui s’emploie dans le tour distributif (archaïsant) quiqui  … :

Nous partîmes qui à droite qui à gauche = l’un (ou les uns) à droite, l’autre (les autres) à gauche.

Qui représente une ou plusieurs entités ‘+H’, indéterminées. C’est sa réitération (non limitée) qui rend possible cet énoncé : l’assertion ne joue qu’au niveau de l’ensemble, avec une interprétation distributive indéterminée, et non au niveau de chaque qui. Ce tour n’a rien à voir avec une proposition relative : ce n’est pas un ‘gallicisme’ mais une construction très répandue dans de nombreuses langues.

- quoi s’emploie comme indéfini dans une expression du français oral familier : Vous savez quoi ?, dont le sens n’est pas ‘Que savez-vous ?’, mais ‘Est-ce que vous savez quelque chose, une certaine chose ?’, en sous-entendant ‘… quelque chose que je vais vous dire .

Quoi s’utilise aussi comme ‘particule de discours’ en fin d’énoncé à l’oral, pour clore et valider une énonciation : C’est un … un bon client, quoi (cit. Lefeuvre 2006 : 110), ou encore dans certains usages dialectaux (comme le ‘ch’ti’ du Nord) : Vous me direz quoi = ‘Vous me direz ce qu’il y a, ce que vous en pensez’. Dans ce dernier emploi, il peut s’agir d’une subordonnée interrogative réduite (Lefeuvre, op. cit : 105).

- quelque = quel + que (ce soit), forme renforcée de quel (comme on l’a vu ci-dessus), s’emploie dans un contexte non assertif (interrogation totale, hypothèse), au singulier, avec des N comptables, et dans un registre recherché, du type :

Si vous aviez quelque livre à me prêter … (quelque livre = ‘un livre quelconque’)
Auriez-vous quelque livre à me prêter ? (cf. Culioli 1984)

Emploi impossible au singulier avec assertion : *J’ai quelque livre. (On retrouvera quelque au § 2.3.)


2.2. Indéfinis en composition 

On constate dans de nombreuses langues qu’une variable peut aussi entrer en composition avec des éléments d’origine diverse, pour aboutir à des indéfinis dits de ‘libre choix’, plus ou moins grammaticalisés et figés, comme le latin qui-vis (littéralement ‘qui tu veux’). Le français en présente plusieurs séries (cf. p. ex. Haspelmath 1997 : 259 sq., dont les données sont toutefois à prendre avec quelques précautions) :

• Formations grammaticalisées provenant de la série ‘concessive’ examinée supra :

- qui que ce soit, quoi que ce soit … :

  - pronoms indéfinis : qui que ce soit (+H), quoi que ce soit (-H), souvent utilisés comme formes redoublées de qui ou quoi dans la série concessive : qui que ce soit qui/e…, quoi que ce soit qui/e…, et utilisés également comme simples pronoms : Je ne veux pas que tu le dises à qui que ce soit,

  - adverbe indéfini : où que ce soit (D’autres emplois adverbiaux tels que comme que ce soit, comment que ce soit, jadis courants, existent encore faiblement),

  - adjectif indéfini : un N quel qu’il soit.

- quiconque, quelconque : renforcement de mots indéfinis par la particule généralisante onque(s) ‘’jamais’ (depuis le 12e s. ; cf. GGHF : 725) (formation proche de l’anglais who–ever ). Série incomplète :

  quelconque, adjectif indéfini formé de quel + que (>c) + onques : un livre quelconque (= n’ayant aucune autre propriété que d’être livre). Par suite, souvent avec valeur péjorative : Ce livre est vraiment très quelconque,

  quiconque, pronom indéfini formé de qui + que (>c) + onques : Défense absolue de parler à quiconque.

• Formations grammaticalisées provenant d’interrogatives tronquées : certaines subordonnées interrogatives réduites au mot interrogatif se sont grammaticalisées, d’où les séries (complètes) :

- n’importe (ou peu importe) qui / quoi / où / quand / comment / combien / quel N / lequel (cf. Béguelin 2002),

- je ne sais (pas) qui / quoi / où / quand / comment / combien / quel N, lequel. Variantes : on ne sait qui …, Dieu sait qui

• On pourrait ajouter des formations (en voie de grammaticalisation ?) à partir de constructions conjonctives réduites, avec verbes modaux (vouloir, pouvoir) ou savoir :

qui (où, quand, comme) vous voulez (pouvez),
qui (où) vous savez
(indéfini renvoyant sans le nommer à un élément connu).

Toutes ces formations d’indéfinis de ‘libre choix’ sont des subordinations compactées : la frontière est souvent malaisée à tracer entre un emploi indéfini dans une proposition unique et un emploi indéfini mettant en jeu deux propositions (témoignage du caractère naturel de la liaison de deux propositions par une variable).


2.3. Indéfinis et quantification

Une autre exploitation d’une variable, très répandue, consiste à la quantifier (cf. Corblin 1997), en lui assignant une valeur, ce qui permet de l’employer dans un énoncé assertif. De nombreuses langues (cf. Haspelmath op.cit) présentent des séries d’indéfinis, pouvant couvrir la totalité des catégories ontologiques (comme c’était le cas en latin), formés à partir d’une variable en kw- sur laquelle portent une série de quantificateurs exprimant (notamment) les valeurs logiques de base : l’existentiel, l’universel, la négation. Ainsi p.ex. en latin, sur quis (‘qui’) ou en anglais sur where (‘où’) :

variable nue  indéfini existentiel  indéfini négatif  indéfini universel
lat. quis  ‘qui’  ali-quis ‘quelqu’un’>  nec quis-quam ‘personne’  quis-que ‘chacun’
angl. where ‘où’  some-where ‘quelque part’  no-where ‘nulle part’  every-where ‘partout’

Le français ne présente pas de série construite sur le même modèle. On trouve en français quelques micro-séries analogues, mais formées sur d’autres bases que les mots qu- : par exemple, pour le lieu, à partir de part (au sens étymologique conservé de ‘région’) : quelque part / nulle part / de toutes parts (partout), ou, pour les entités ‘+H’, à partir de un : quelqu’un / aucun / chacun.

Dans ces formations, le mot quelque sert de quantificateur et non de variable quantifiée : le déterminant en qu- (sous sa forme étoffée quelque) est utilisé comme quantificateur existentiel pour toutes les catégories ontologiques, le rôle du marqueur ontologique étant tenu par le numéral un ou un hyperonyme représentant du domaine, d’où la série :

quelqu’un, pronom indéfini existentiel ‘+H’ (cf. Schnedecker 2006),
quelque chose, pronom indéfini existentiel ‘-H’,
quelque part, adverbe indéfini existentiel de Lieu.

Pour les autres catégories ontologiques (temps, …), il n’existe pas d’existentiel attitré, mais une pluralité de formations en tient lieu :

Temps : quelque temps, quelquefois, …
Qualité - manière : en quelque sorte, …
Quantité - degré : en quelque mesure, … ; devant Adv : quelque peu (déjà évoqué).

Ces termes sont utilisables en tout contexte, non assertif (avec valeur irrealis : Avez-vous rencontré quelqu’un ? Avez-vous vu quelque chose ? Etes-vous allé quelque part ?) ou assertif (avec valeur référentielle : J’ai rencontré quelqu’un / J’ai vu quelque chose / Je suis allé quelque part).

Au pluriel, quelques s’emploie très couramment comme adjectif (ou déterminant) indéfini marquant la petite quantité :

J’ai quelques livres (cf. Paillard 2006, Gréa 2022).

D’où emploi anaphorique sous la forme quelques uns : Prenez-en quelques-uns (= de ces livres). Cet emploi s’étend au singulier avec un N massif comme espoir (par différence avec l’impossibilité d’emploi avec un N comptable, signalée supra § 2.1.) :

J’ai quelque espoir (assertable = ‘J’ai un peu d’espoir’).

Le français a gardé en outre aucun, du latin tardif aliquis unus, littéralement ‘quelque - un’. La source kw- ne se manifeste plus que par la seule lettre ‘c’. Indéfini d’abord positif, conformément à son étymologie (encore en espagnol), puis devenu négatif :

- adjectif indéfini : Je n’ai plus aucun espoir, à aucun moment, en aucune façon,
- pronom indéfini anaphorique : Des souvenirs de cette période, je n’en ai aucun.

Sur aucun est formé l’adverbe aucunement (qualitatif ou quantitatif) = ‘pas du tout, en aucune manière’. Le pronom indéfini +H d’aucuns (= ‘certains’) a conservé la valeur positive originelle de aucun :

D’aucuns pourront dire que …

Le Tableau 3 ci-dessous rassemble les indéfinis en qu- du français qu’on vient de présenter (sans chercher l’exhaustivité du côté du ‘libre choix’). On a aussi fait figurer entre crochets carrés, pour mémoire, quelques indéfinis non-formés à partir de mots en qu- (liste non exhaustive). Les indéfinis universels (chacun, tout, …) ne sont pas représentés : aucun terme en qu- n’en fait partie.

 

  ‘irrealis’ ‘libre choix’ existentiel négatif
+H qui que
qui…, qui
qui que ce soit
quiconque
n’importe qui
quelqu’un
(d’aucuns)
[certains]
[personne]
-H quoi qui/e… quoi que ce soit
n’importe quoi
quelque chose [rien]
Lieu que… où que ce soit
n’importe où
quelque part [nulle part]
Temps  - n’importe quand quelque temps…
quelquefois
[jamais]
Qualité –
 Manière
Quantité -
 Degré
Sélection N
quel que soit N …
quelque N qui/e…
quelque
Adj/Adv que…
quelque N
n’importe comment en quelque sorte aucunement
n’importe combien quelque peu
N quel qu’il soit
N quelconque
n’importe quel N
n’importe lequel
quelque(s) N
[certain(s) N]
aucun N

Tableau 3 : Les indéfinis en qu- du français



3. Mots qu- interrogatifs ou exclamatifs


Après une présentation d’ensemble (3.1.), on examinera successivement les mots qu- dans une phrase interrogative indépendante (3.2.) : inventaire incluant les variantes, puis en subordonnée interrogative (3.3.). On examinera ensuite les mots qu- exclamatifs, dans une phrase exclamative (3.4.), et en subordonnée exclamative (3.5.).


3.1. Des variables non saturées

Interrogatifs ou exclamatifs, les mots qu- sont utilisés comme des variables non instanciées, non saturées.

Interrogation : « Cherchez la valeur de x ».
Une interrogation partielle est une ‘question sur x’ (= mot en qu-), comme l’a dit Jespersen (1924):

« L’interrogation [partielle] porte sur une quantité inconnue, au sens où on l’entend dans les équations algébriques ; si l’on nomme x, comme c’est l’habitude, la quantité inconnue, on peut appeler ‘question sur x’ la question qui vise à établir la nature de x ». (Tr. fr. 1971 : 432 ; cité par Lyonsn1977 : 757) 

Et Lyons ajoute : quand nous posons une question à un interlocuteur, « what we are doing, in effect, is inviting him to supply a value for this variable » (1977 : 757).

Idée largement reprise :

Huddleston & Pullum (2002 : 872) : « We can represent the propositional content of What did they give her? as ’They gave her x’, and the answers have different values for the variable x. »

Abeillé & Godard (GGF 2021 : 1108) : « Quant aux interrogatifs, ils sont interprétés comme des variables, que la réponse spécifie. »

La présence d’un mot qu- est une condition nécessaire et suffisante pour générer une interrogation partielle, qui partage certains traits avec une assertion (mode indicatif, intonation conclusive). Mais il s’agit d’une assertion impossible, non stabilisable, qui constitue une incitation à chercher la valeur de ; c’est une présupposition, accompagnée d’une injonction dialogique : ‘Prenons le cas qu’il existe un x qui vérifie le prédicat de la proposition ; donnez la valeur de x’. Ainsi, par exemple,

Qui a assassiné J.F. Kennedy ?

présuppose que quelqu’un (un individu x) a assassiné JFK. De même

Où est caché le trésor ?

présuppose que le trésor est caché quelque part (dans un endroit x). Dans les deux cas l’énoncé enjoint à l’interlocuteur : « Cherchez la valeur de x pour laquelle P est vrai ». La réponse attendue fournit la valeur demandée, en validant du même coup le présupposé, - à moins qu’elle ne l’invalide expressément :

À qui parlais-tu ? – À personne ;
Qu’est-ce que tu fais ? – Rien.

L’interrogation est donc par nature dialogique et c’est la dimension discursive, interlocutive, qui crée chez l’interlocuteur l’obligation de fournir la valeur de : c’est, comme dit Culioli (1999, T. 3 : 128), un « appel à autrui pour distinguer la bonne valeur ». Les mots qu-, indéfinis marqueurs de variables, ne sont pas interrogatifs par eux-mêmes, mais c’est le mouvement discursif qui les porte qui les rend tels. Telle était d’ailleurs la position de la ‘grammaire générale’ du 18e s. : « Il n’y a dans la langue françoise aucun terme qui soit proprement interrogatif », écrivait Beauzée (cité par Chervel 1977 : 241). Position réaffirmée par Moignet (1981 : 179) : les mots en qu-, indéfinis de virtualité maximum, « ne changent pas de nature quand ils sont affectés à l’expression de l’interrogation » . (On gardera néanmoins l’étiquette d’interrogatif, conformément à l’usage général).

Exclamation : le haut degré de la variable
L’exclamation est une modalité d’énonciation spécifique, ayant son domaine et ses marqueurs propres. Elle est à distinguer de l’énonciation avec affect d’une proposition quelconque : un énoncé comme Il était huit heures !!!, produit dans une situation dramatique, et avec toutes les signes de l’émotion, n’en reste pas moins, du point de vue syntaxique, une simple assertion (le point d’exclamation à l’écrit n’est pas un indice fiable pour l’analyse syntaxique).
D’autre part, l’exclamation n’est pas une simple variante de l’interrogation. La différence peut être mise en évidence par le mot combien, qui peut être interrogatif ou exclamatif :

  Combien vaut cette voiture ? est un énoncé interrogatif : il présuppose qu’il existe pour cette voiture une valeur x, quelle qu’elle soit, sur l‘échelle des quantités (financières), et demande à l’interlocuteur de spécifier cette valeur. La réponse attendue est une expression de quantité, à choisir entre zéro et l’infini : Cent mille dollars / presque rien.

  Combien Paul a souffert ! est un énoncé exclamatif qui affirme (asserte) que Paul a souffert, et pose que le degré de souffrance de Paul est indéfini (x) mais a atteint un degré extrême ; il n’y a pas de valeur de x à découvrir, et le processus dialogique n’est pas orienté vers une réponse, mais plutôt vers un consensus empathique : Oh oui ! ça a été abominable !, Oh oui alors, il a terriblement souffert !

Le mot en qu- exclamatif représente donc une variable portant sur un prédicat gradable, et dont l’empan est limité au haut degré : la variable exprime une valeur remarquable par son intensité qualitative ou quantitative. Le domaine propre de l’exclamation est donc restreint à la qualité et à la quantité, souvent indistinguables.


3.2. Mots qu- interrogatifs

L’emploi interrogatif est l’emploi emblématique des mots qu-.

Sur quoi peut porter l’interrogation ? Sémantiquement, il n’y a pas de limite : les mots qu-, on l’a vu, balayent toutes les catégories ontologiques, qui peuvent être raffinées, démultipliées par quel N… ? ou Prép + quoi ? : pour quelle raison … ? pour tenir compte de quelles difficultés … ? dans quel état d’esprit … ?

Syntaxiquement, l’interrogation peut porter sur le prédicat lui-même (Que fais-tu ?) ou sur un des éléments associés au prédicat : toutes fonctions intraprédicatives, essentielles ou accessoires. Les mots interrogatifs ont donc tous une fonction, chacun selon sa catégorie : fonctions nominales pour les pronoms (sujet, Cod, …), fonctions adverbiales (essentielles ou accessoires) pour les adverbes, fonctions adjectivales pour quel. Les éléments extérieurs à la proposition (comme les éléments liés à son énonciation : bien sûr, ..) ne sont pas concernés.

En ce qui concerne les compléments internes à des groupes, un état des lieux serait à établir avec précision. Le français ne se prête guère, par exemple, à interroger sur une épithète qualificative d’un N : l’usage balance entre le familier un N comment ? (ou grand comment,… ?) et l’académique un N de quel… ? (de quelle taille, … ?). En ce qui concerne les compléments d’un Nom ou d’un Infinitif, un pronom interrogatif (ou quel N) garde avec lui en position initiale tout le groupe dont il fait partie (auquel cas il n’est pas le premier mot de la proposition), si le groupe est lui-même introduit par une préposition :

Avec les membres de quel parti voulez-vous gouverner ? Pour les beaux yeux de qui … ?
Pour faire plaisir à qui avez-vous fait ça ?

Si le groupe dont le mot interrogatif fait partie n’est pas prépositionnel, la position initiale est moins naturelle :

(?) La voiture de qui as-tu pris(e) ? / (?) De qui as-tu pris la voiture ? / Solution : Tu as pris la voiture de qui ?

Les limites de la proposition incluant le constituant interrogatif peuvent être étendues si son prédicat se complexifie : on peut passer de Où vas-tu ? (prédicat simple) à Où veux-tu aller ? (prédicat modalisé par le verbe vouloir) et à Où veux-tu que j’aille ? ; le mot interrogatif est alors en relation à distance avec un prédicat situé dans une proposition subordonnée enchâssée (j’aille, dans la complétive que j’aille). Pour une vue d’ensemble de la dépendance lointaine des mots qu-, voir § 8.

Place du mot interrogatif. Le français a la particularité que le mot interrogatif peut (en règle générale) se placer, soit à l’initiale de la proposition, soit in situ, c’est-à-dire à la place qui serait celle du constituant qu’il représente :

Que fais-tu ? / Tu fais quoi ?
Où vas-tu ? / Tu vas où ?

La position canonique au regard de la norme est la position initiale. La position in situ, apparue (ou en tout cas attestée) tardivement en français (au 19e s.), semble en progression constante dans l’usage moderne, en particulier à l’oral. Les raisons du choix (en liaison avec les différentes formes de réalisation et de place du sujet), et les différences d’interprétation éventuelles entre les deux, restent encore largement à élucider : affaire de choix de focalisation ?, de longueur des constituants ?, la position in situ signale-t-elle une présupposition plus forte ?, un énoncé avec un mot interrogatif in situ est-il ‘moins interrogatif’ ? (cf. p.ex. Coveney 2020).

Un constituant interrogatif peut à lui seul former un énoncé interrogatif : Qui ? Quoi encore ? Où donc ? Pour aller où ?

Il existe certaines possibilités de coordination entre deux mots interrogatifs (Où et quand est-il parti ?), et, occasionnellement, de double interrogation (Qui fait quoi ? Qui parle à qui ? Qui va s’asseoir où ?) .

La phrase interrogative (syntaxe et sémantique).
Brèves indications : cette étude déborde le cadre de la présente notice.

Le problème particulier posé par la syntaxe de la phrase interrogative est celui de la forme et de la place du sujet : inversion (simple ou complexe) / non inversion, selon que le sujet est pronominal (clitique) ou nominal, et selon la place du mot qu-, donnant lieu à de nombreuses variantes, dans différents registres : Où vas-tu ? Où tu vas ? Où va Paul ? Où Paul va-t-il ?  (Abondante littérature. Voir p. ex Béguelin & al. 2018, Coveney 2020).

Mode. Le mode de la phrase interrogative est l’indicatif. Les interrogatives peuvent aussi être à l’infinitif, sans sujet exprimé (générique ou récupérable dans la situation d’énonciation), le mot interrogatif étant préférentiellement initial.

Qui croire ? A qui se fier ? Que faire ? (ou Quoi faire ?) Où aller ? Comment choisir ?

L’interrogation à l’infinitif est impossible avec un interrogatif sujet (ou avec les formes d’interrogation périphrastique dont il sera question ci-dessous).

Sémantique : une phrase interrogative relève toujours par définition d’une seule et même modalité d’énonciation (recherche de la valeur d’une variable), mais elle permet une pluralité d’actes de langage, au-delà de la simple demande d’information : demande de confirmation, suggestion, injonction, etc., qui peuvent être mis en rapport avec les différentes variantes de réalisation (cf. Béguelin & al. 2018).

Inventaire des marqueurs.
Le paradigme des mots qu- interrogatifs a été présenté dans le Tableau 1 (§ 1.1.). Rappel :

Entités : qui (+H), que / quoi (-H),
Lieu : , Temps : quand,
Qualité-Manière : comment, Quantité-Degré : combien,
Sélection N : quel, lequel.

Les éléments ci-dessous complètent ce qui a été dit dans la présentation d’ensemble de la famille des mots qu- (section 1).

3.2.1. Qui, Que / Quoi (et formes supplétives)

L’opposition ‘+H’ / ‘-H’ est solidement établie, même si les entités humaines peuvent être traitées le cas échéant en tant que choses matérielles : Que vois-tu là-bas ? – Je vois Marie et tout un groupe de gens.

-Qui : Qui s’utilise en toutes fonctions, directes ou indirectes, sans difficulté (les ambiguïtés entre fonction sujet et fonction objet sont exceptionnelles) :

Qui est là ? Qui as-tu vu ? A qui parles-tu ?

Qui attribut interroge sur l’identité (Qui êtes-vous ?) ou la qualité d’un individu (Qui est vraiment Vladimir Poutine ? = quel genre d’homme ?).

Archaïsme : Qui vous empêche d’en faire autant ? (qui sujet ‘–H’ : entité ‘puissante’) 

- Que / quoi : Le pronom ‘–H’ est le point faible du paradigme (à comparer avec le mot anglais correspondant what, utilisable sans restriction). Il se présente sous deux formes : que : inaccentué (clitique), et quoi, accentué. Les deux formes sont de simples variantes combinatoires dans Que fais-tu ? / Tu fais quoi ? A quoi penses-tu ?, mais l’alternance combinatoire ne se réalise que très partiellement. Les blocages et difficultés d’emploi ont entraîné des formes supplétives périphrastiques, qui se sont étendues à tout le paradigme interrogatif

Que : inaccentué (clitique), s’emploie uniquement en position initiale, comme régime direct :
Cod : Que fais-tu ? Attribut : Qu’est-ce donc ? Complément de verbe impersonnel : Qu’y a-t-il ?

Emploi archaïsant : expression figée Que vous en semble ?, où que est sans doute complément d’un verbe impersonnel, plutôt que sujet : Que vous en semble [-t-il?
Emploi (recherché) au sens de pourquoi (par latinisme : ‘accusatif de relation’) : Que lui cherchez-vous querelle ? Que ne reste-t-il chez lui ! = pourquoi ne reste-t-il pas … ?

Quoi, toujours accentué, s’emploie seul (sans verbe), ou complément direct in situ, ou derrière Prép :

- seul : Quoi ? Quoi encore ? Avec quoi ? Pour quoi faire / Pour faire quoi ?
- régime direct in situ : Tu fais quoi ? C’est quoi ? Il y a quoi ?
- derrière Prép, en position initiale ou in situ : A quoi penses-tu ? Tu penses à quoi ?

Dans une interrogation à l’Infinitif, que (archaïsant) et quoi peuvent s’employer comme objet direct : Que faire ? Que dire (de plus) ? Quoi faire ? Quoi dire ? Faire quoi ?

Cette distribution laisse d’importantes lacunes et des zones mal couvertes.
Pour la fonction sujet, l’impossibilité d’emploi de que ou quoi est totale en français standard :

*Que/*Quoi fait ce bruit ? *Que/*Quoi vous est arrivé ?
(comparer : What makes that noise ? What happened ?)

(sauf, marginalement, si quoi est rendu accentué par une expansion : Quoi d’autre pourrait le faire changer d’avis ?)

La solution est le recours à une forme périphrastique, d’emploi obligatoire :

Qu’est-ce qui fait ce bruit ? Qu’est-ce qui vous est arrivé ?

Pour les fonctions régime direct (Cod, attribut, complément de V impersonnel), l’alternance entre que et quoi ne livre pas une solution pleinement satisfaisante : que initial (clitique, inaccentué) est généralement perçu comme recherché : Que fais-tu ? (*?)Qu’est-ce ? Qu’y a-t-il ?, alors que quoi, in situ (accentué), est perçu comme familier : Tu fais quoi ? C’est quoi ? Il y a quoi ? D’où, à nouveau, le recours préférentiel à la forme périphrastique, neutre du point de vue du registre :

Qu’est-ce que tu fais ? Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qu’il y a ?

 

Fonction Pronom '-H' Forme supplétive périphrastique
qu'est-ce qui/e
que quoi
Sujet * * Qu'est-ce qui fait ce bruit?
Cod
Régime direct attribut
de Vimp
que fais-tu?
qu'est-ce?
qu'y a-t-il?
tu fais quoi?
c'est quoi?
il y a quoi?
qu'est-ce que tu fais?
qu'est-ce que c'est?
voir Remq.
qu'est-ce qu'il y a?
Régime indirect * à quoi penses-tu?
tu penses à quoi?
à quoi est-ce que tu penses?

Tableau 4 : Que / quoi interrogatif (et formes supplétives)

Remarques :

- La forme périphrastique Qu’est-ce que c’est ? est fortement concurrencée, dans le langage familier ordinaire, par une forme périphrastique redoublée (‘sur-renforcée’) Qu’est que c’est que ça ? (avec ellipse de être : littéralement : ‘Quoi est – ce que c’est – que ça [est] ?’). La complexité de cette formulation (pour l’analyse) n’est manifestement pas ressentie par les locuteurs : on connaît le Kekseksa ? que Victor Hugo met dans la bouche de Gavroche. Cette forme ‘sur-renforcée’ peut aussi s’utiliser dans un registre soutenu : Qu’est-ce que c’est que l’amour ?

- L’ellipse de être se constate également avec la forme périphrastique non redoublée, dans des exemples comme Qu’est-ce que cela ? = Qu’est-ce que cela [est] ?, ou Qu’est-ce que l’amour ?= Qu’est-ce que l’amour [est] ? Énoncés recherchés, très marqués rhétoriquement.

- Qu’est-ce que… ? s’utilise avec une valeur quantitative, comme ‘complément de prix’, p.ex. dans Qu’est-ce que ça vaut ?

Historique.

Cette situation de faiblesse du pronom ‘-H’, particulière au français, prend sa source dans la dualité du pronom. Le français a hérité du latin les deux formes quoi (forme forte, accentuée, du latin quid), et que (forme faible, inaccentuée, du latin quod, les deux formes quid et quod étant usitées concurremment en latin tardif) ; la même alternance phonétique se retrouve également dans les pronoms (me / moi, te / toi, se / soi), et dans la flexion verbale (nous devons / ils doivent, nous recevons / ils reçoivent). Les formes alternantes ont vocation à être de simples variantes combinatoires, comme c’est le cas pour les pronoms personnels et dans la conjugaison, mais l’alternance combinatoire ne s’est jamais pleinement installée, à aucune époque, en ce qui concerne les interrogatifs (pour des raisons en définitive mal élucidées ; cf. Lefeuvre 2006).

Le tour supplétif périphrastique est apparu dès l’ancien français (au 13e s. ; cf. GGHF : 1228 sq.), en liaison avec la diffusion du clivage (voir § 6.1.). L’analyse littérale du tour supplétif est claire : le que initial est le que interrogatif (faible, clitique), attribut de ce repris par un pronom relatif qui sujet / que objet ou attribut. Tout se passe comme si, à défaut de pouvoir interroger au premier degré sur une entité ‘-H’ (*Quoi - fait ce bruit ?, *Quoi – est cela ?), on interrogeait, au deuxième degré, sur ‘ce que cette entité est’ : Qu’est (=Quoi est) ce qui fait ce bruit ?, Qu’est (Quoi est) ce que c’est ? Cette solution présente en outre l’avantage de concilier la place à l’initiale du mot interrogatif et le maintien de l’ordre sujet / verbe de la phrase déclarative, en évitant les complications liées à la place du sujet dans l’interrogation.

En même temps qu’il s’est diffusé et grammaticalisé, le tour périphrastique s’est figé et a perdu son caractère emphatique (qui reste toujours réactivable néanmoins, encore aujourd’hui). Il a été également réanalysé syntaxiquement : au découpage initial ‘Qu’est / ce que tu fais ?’ a succédé, par affaiblissement de ce (dont témoigne le trait d’union dans est-ce, après la graphie usuelle en mfr. esse que), un nouveau découpage : ‘Qu’ (est-ce que) / tu fais ?’. Ainsi est apparu ce qui est devenu pour les locuteurs du français un nouveau marqueur interrogatif fait de plusieurs pièces : … est-ce que … ?.

Ce marqueur s’est étendu en moyen français à tous les emplois du paradigme interrogatif, même ceux pour lesquels il n’y avait pas nécessité de recourir à une forme supplétive : A quoi est-ce que tu joues ? A qui est-ce que vous pensez ? Où est-ce que tu vas ? Il s’est créé ainsi un véritable paradigme interrogatif bis, qui double à sa manière les formes simples des mots interrogatifs. Dernière étape de son développement, est-ce que… ? est devenu en outre marqueur d’interrogation totale au 16e s, voir 5.3.1b.

Les restrictions d’emploi du pronom que / quoi ont des conséquences qui s’étendent bien au-delà de la seule interrogation (voir les Tableaux 4, 5, 7. et les § 4.2.2., 5.3.1.). Elles ne sont pas perçues consciemment par les locuteurs francophones, ce qui est normal, mais elles sont aussi le plus souvent peu mises en évidence dans les grammaires. Une situation de blocage telle que celle du français ne manquerait sans doute pourtant pas d’être mise en avant clairement et avec force, s’il s’agissait d’une langue lointaine …

3.2.2. Où, Quand

et quand, en usage depuis les plus anciens textes français, sont compléments de lieu ou de temps (essentiels ou accessoires). Pour le lieu, le français ne distingue pas, à la différence du latin classique et de nombreuses autres langues, entre localisation et déplacement : Où es-tu ? Où vas-tu ? Derrière Prép. : Par où ? D’où à où ? Depuis quand ? Jusqu’à quand ? Pour quand ?

3.2.3. Comment, Combien

Le français ne dispose que d’un matériel peu diversifié pour interroger sur la qualité ou la quantité. On a déjà pointé (en 1.2.) le rôle des adverbes comment et combien pour remplacer dans l’interrogation les adjectifs quel et quant, marqueurs historiques de la qualité et de la quantité, sortis d’usage, - y compris pour rapporter la qualité et la quantité à des Noms.

- Comment (afr. com + suffixe adverbial -ment). Comment marque la manière de faire (pouvant aller jusqu’au moyen : Comment as-tu nettoyé la table ? – Avec une éponge) ou la manière d’être, c’est-à-dire la qualité, permanente ou occasionnelle, y compris d’un Humain. Comment peut être complément de manière, modifieur, attribut :

Comment as-tu fait ? Comment as-tu réussi à sortir de là ?

C’était comment, ce film ? – Génial / pas terrible, … 

Il est comment, le nouveau collègue ? – Plutôt sympa.

En français parlé, comment peut aussi porter directement sur un N, voire même sur un Adjectif :

Tu veux des bonbons comment ? – Acidulés, à la menthe

Il est grand comment ? (*combien) – À peu près comme ça (geste).

Le français académique est contraint à des périphrases (p.ex. Qu’est-ce que tu veux comme bonbons ? ; cf. 4.4.3.).

- Combien : formation curieuse (com + bien, 13e s., marquant initialement le degré sur un Prédicat gradable : Comme je vous aime bien ! > Combien je vous aim!, exclamatif), devenu marqueur de  quantité interrogatif :

Combien ça coûte ? Combien font deux et deux ?,

y compris pour des mesures quantitatives rapportées à des N, comptables ou non comptables :

Combien de fois …  ? Combien de temps … ?

Combien d’enfants avez-vous ? Combien avez-vous d’enfants ? Vous avez combien d’enfants ?

Le français parlé utilise aussi des formes adjectivales non standard :

Il est arrivé combientième ? On est le combien aujourd’hui ?

3.2.4. Quel, Lequel

Quel, quelle, quels, quelles : varie en genre et en nombre selon le N auquel il se rapporte. C’est le seul terme de morphologie adjectivale dans le paradigme des mots qu- en français, où il joue plusieurs rôles (rôle de déterminant, rôle pronominal). Dans ses emplois interrogatifs, quel a perdu la valeur de marqueur de qualité qui était celle de qualis en latin classique : Racine pouvait encore écrire (dans Andromaque), à la mode latine : Quel est Pyrrhus ? , formulation dont il est difficile de proposer une version en français contemporain. Mais quel interrogatif a encore une dimension qualitative avec des N non comptables : Quelle huile utilisez-vous ? (sous-classes qualitatives), ou dans des emplois du type Quel médecin veux-tu être ? = quel genre de médecin ?

En tant que simple marqueur de sélection, quel est employé dans deux constructions distinctes (cf. entre autres Blanche Benveniste 2002) :

- Quel N ? à l’initiale ou in situ. Quel est déterminant de N. Emploi très large :

Quelle heure est-il ? Il est quelle heure ?

De quelle couleur est … ? Pour quelle raison … ? Dans quel but… ?

- Quel est le N… ? : quel est alors clitique, et ne peut pas être employé in situ. Ce tour attributif correspond à deux constructions et interprétations légèrement différentes :

  a) Quelle est la meilleure solution ? Réponse : C’est la mienne !

Paraphrases : La meilleure solution, c’est laquelle ? Quelle solution est la meilleure ? Il s’agit de trouver, dans la classe des solutions, celle qui est la meilleure. Dans cet emploi, quel est considéré comme un adjectif attribut.

  b) Quelle est la meilleure solution ? Réponse : C’est d’attendre.

Paraphrases : La meilleure solution, c’est quoi ? Qu’est-ce qui est la meilleure solution ? Il s’agit de trouver, dans l’ensemble des ‘choses’ au sens large (entités ‘-H’), celle qui est la meilleure solution.

De même, avec N’+H’ : Quel est le responsable ici ? Réponse : C’est Paul

Paraphrases : Le responsable, c’est qui ? Qui est le responsable ?

Dans les deux exemples sous b), quel est une variante de qui ou quoi : plutôt qu’un adjectif attribut, c’est un pronom sujet, qui représente l’entité substantielle, le pôle référentiel de la relation équative, cependant que le terme à droite de est représente la propriété, le pôle attributif de la relation. La morphologie adjectivale de quel est ici trompeuse, - à moins qu’on ne puisse l’interpréter comme une lointaine survivance de l’indistinction morphologique qui était la règle en latin entre les emplois pronominaux et les emplois déterminants des mots qu- (on retrouvera ce point au § 6.2.).

La distinction entre les interprétations a) et b) est souvent négligeable : il importe peu que Quel est votre nom ? représente Quel nom est le vôtre ? (interprétation a)) ou C’est quoi, votre nom ? (interprétation b)). On peine à trouver une différence significative entre Qui est le responsable ? et Quel est le responsable ?

- Lequel (formation romane) est une formation anaphorique qui suppose un ensemble contextuellement disponible : De ces deux solutions, laquelle est la meilleure ? la meilleure, c’est laquelle ? (cf. Goux 2019).

3.2.5. Locutions interrogatives

Les combinaisons Prép + quel N ? et Prép + quoi ? permettent, par-delà les catégories ontologiques, le questionnement sur des catégories logiques (comme on l’a déjà signalé) :

- Prép + quel N ? : Dans quel but… ? À quelle fin … ? Pour quelle raison… ? Dans quelle mesure… ?

- Prép + quoi ? : Pourquoi… ? À cause de quoi … ? (cause) ; Pour quoi… ? (but).

On peut ainsi parler de véritables ‘locutions interrogatives’ plus ou moins lexicalisées (au premier rang desquelles pourquoi, déjà évoqué en 1.1.), comme on parle de ‘locutions conjonctives’. Un rapport peut être établi entre les deux séries de locutions :

Pourquoi as-tu fait ça ? – Parce que j’en avais envie

Pour quoi prépares-tu tant de choses ? – Pour que tout soit prêt à temps

À quelles conditions accepterais-tu ? – À (la) condition que …,

de la même façon qu’on peut mettre en rapport les mots qu- interrogatifs avec leurs emplois conjonctifs : Quand reviendras-tu ? – Quand j’aurai fini mon travail (cf. 4.1.).

3.2.6. La variation dans les mots interrogatifs

Nous ne traitons pas ici des questions de place du mot interrogatif, ni de forme et de place du sujet (facteurs qui génèrent une grande diversité d’expressions concurrentes dans tous les registres), mais uniquement de ce qui concerne en propre les mots interrogatifs eux-mêmes. Les principaux faits de variation ont été signalés pour chaque mot interrogatif au fil de l’exposé. Il en ressort que les variations (emplois non standards) prennent leur source là où le système présente des failles. Deux points sont principalement à relever à ce titre :

- l’expression de la qualité et de la quantité souffre d’un déficit de marqueurs (cf. 3.2.3.),

- les carences du pronom -H ont occasionné (cf. 3.2.1.) le développement puis la généralisation de formations supplétives : c’est la source d’un paradigme interrogatif périphrastique complet (voir 6.2.), véritable paradigme interrogatif bis, qui double à sa manière les formes simples des mots interrogatifs :

Entités '+H': Qui est-ce qui/e...?  À qui (avec qui, pour qui,…) est-ce que…?
Entités '-H': Qu'est-ce qui/e...?  À quoi (avec quoi, pourquoi,…) est-ce que…?
Lieu, Temps: Où est-ce que...?  Quand est-ce que…?
Qualité-Manière, Quantité-Degré:  Comment est-ce que...?  Combien est-ce que… ?
Sélection N Quel N (lequel) est-ce qui/e...?  À quel N (pour quel N) est-ce que… ?

Ce paradigme, qui s’impose pour la fonction sujet du pronom ‘-H’, est admis ou au moins toléré par la norme pour le reste (tout en étant considéré comme ‘familier’). Il est source lui-même de nouvelles variations, clairement réprouvées par la norme, voir 6.2. Exemple pour où :

Où est-ce que… ? > Où c’est que … ? C’est où que … ?

Les formes périphrastiques peuvent aussi se réduire phonétiquement de diverses façons :

Où est-ce que … ? > Où ce que … ? (graphies diverses), Où que … ?

Qu’est-ce que… ? > Qu’est-ce … ? (Qu’est-ce tu fais ? /kestyfe/)


3.3. En subordonnée interrogative

Une proposition contenant un mot qu- interrogatif peut être enchâssée dans une structure matrice. C’est alors une ‘subordonnée interrogative’ ; elle contient le même présupposé qu’une phrase interrogative (‘il existe un x vérifiant P’), mais il n’y a plus d’instruction dialogique, plus d’injonction de chercher la valeur de la variable, qui est prise en tant qu’objet de discussion : c’est la ‘perspective percontative’ selon les termes de Damourette et Pichon (1911–1940, § 1247 ; voir infra 4.1.). La subordonnée est devenue un argument du prédicat enchâssant, qui exprime une attitude relativement à x : connaître ou ne pas connaître sa valeur, la chercher (auquel cas l’injonction éventuelle réside dans le prédicat et non dans la subordonnée) ou ne pas la chercher, la trouver, la cacher, la révéler, dire ce qu’on en pense, l’évaluer, etc… :

Moi je sais / Je ne sais pas / Peu importe    où est caché le trésor

Je cherche / J’ai découvert / Je me demande  où est caché le trésor

Où est caché le trésor reste un mystère.

Il est indifférent pour la subordonnée que l’énoncé global soit assertif (comme les exemples ci-dessus), injonctif (Dis-moi …), ou interrogatif (Qui peut me dire … ?). La subordonnée se prête même à être énoncée seule, par exemple comme titre de chapitre ou annonce d’un développement : Comment le prisonnier parvint à s’évader.

Le terme introducteur en qu- a une fonction dans la subordonnée, mais n’en a pas par rapport au prédicat enchâssant. La subordonnée interrogative est toujours, en bloc, équivalente à un GN, et exerce toujours une fonction nominale, en général directe (prototypiquement la fonction Cod), quel que soit le mot qu- introducteur - à la différence des subordonnées conjonctives, qui prennent la catégorie, nominale ou adverbiale, de leur introducteur (voir 4.). Par exemple la subordonnée est Cod dans tous les cas suivants :

Dis-moi qui tu as vu / où tu vas / de quoi tu as besoin / à quelle heure tu veux venir.

La facilité de commutation des subordonnées interrogatives, avec différents introducteurs, est un bon indice pour les reconnaître.

Terminologie.

L’appellation traditionnelle d’‘interrogative indirecte’ (et a fortiori d’‘interrogation indirecte’) est trompeuse : la subordonnée n’a aucune force illocutoire et ne peut pas constituer par elle-même un ‘acte indirect d’interrogation’. L’énoncé global dans lequel elle s’insère peut bien entendu constituer dans certains cas un acte indirect d’interrogation si son prédicat le comporte (Je voudrais bien savoir …), mais cela ne doit rien à la subordonnée. De plus, une subordonnée interrogative peut rarement être dite ‘indirecte’ : elle occupe le plus souvent une fonction directe, et non pas indirecte.

Il est vrai toutefois que l’appellation de ‘subordonnée interrogative’ est elle-même critiquable : prise au pied de la lettre, elle est inexacte. On l’utilise néanmoins par facilité, avec la mise en garde exprimée ci-dessus. Une solution alternative serait de reprendre la dénomination de ‘percontative’, proposée par Damourette et Pichon.

Place du mot qu- : le mot qu-, qui introduit la proposition, est toujours à l’initiale : il n’y a pas de position in situ selon la norme (voir Variation ci-dessous). Il garde avec lui (le cas échéant) le groupe dont il fait partie :

Je ne comprends pas avec les membres de quel parti tu as l’intention de gouverner,

y compris si le groupe n’est pas prépositionnel :

Dis-moi la voiture de qui tu as l’intention de prendre.

Comme une phrase interrogative, une subordonnée interrogative peut être réduite au seul constituant interrogatif (Dis-moi pourquoi ; Il m’a dit quelque chose mais je ne me souviens plus quoi). Par suite la subordination interrogative est à l’origine de plusieurs séries d’indéfinis composés (par ellipse) : n’importe qui, n’importe quoi, n’importe comment,… ; je ne sais pas qui, où… (cf. 2.2.). Deux mots interrogatifs peuvent être coordonnés (Dis-moi où et quand …).

Une subordonnée interrogative peut occasionnellement contenir une double interrogation : On ne sait jamais qui fait quoi ici. Le constituant interrogatif peut être en ‘dépendance lointaine’ : Dis-moi où tu veux que j’aille.

Subordonnée interrogative. La syntaxe de la subordonnée interrogative est, selon la norme, celle de la proposition déclarative. Il n’y a pas d’inversion complexe (pronominale) du sujet.
Mode : indicatif. Mais les subordonnées interrogatives sont fréquemment à l’Infinitif (sauf pour la fonction sujet) :

Je ne vois pas comment faire, Je ne sais plus vers qui me tourner,
Je ne sais pas quoi faire, Je sais à quoi m’attendre.

Inventaire des marqueurs : Les marqueurs sont les mêmes mots qu- interrogatifs déjà vus, avec la même valeur. Mais le blocage affectant le pronom ‘-H’ est encore plus accentué que dans l’interrogation simple :

-Que est totalement absent (sauf quelques emplois archaïsants avec un Infinitif : Je ne sais que faire).

-Quoi n’a plus d’emploi in situ (selon la norme), et ne subsiste que seul (Je ne sais plus quoi), ou derrière Prép (Dis-moi à quoi tu penses), ou avec un Infinitif (Je ne sais plus quoi faire).

Pour l’essentiel des emplois (sujet, régime direct) le recours est obligatoire à la forme sup­plétive périphrastique ce qui/e (démonstratif + pronom relatif) déjà vue supra en 3.2.1. :

 

Fonction Pronom '-H' Forme supplétive périphrastique
ce qui/e
que quoi
Sujet * * dis-moi ce qui se passe
Cod
Régime direct: attribut
de Vimp
*
*
*
*
*
*
dis-moi ce que tu veux
dis-moi ce que c'est
  Voir Remq
dis-moi ce qu'il y a
Régime indirect *
*
dis-moi à quoi tu penses
dis-moi de quoi tu as besoin
(?)dis-moi ce à quoi tu penses
dis-moi ce dont tu as besoin

Tableau 5 : Que / quoi (et formes supplétives) en subordonnée interrogative

Remarques :
- En fonction attribut, la forme périphrastique (Dis-moi ce que c’est, Je ne sais pas ce qu’est l’amour) est concurrencée (comme en indépendante) par la forme périphrastique redoublée avec ellipse finale de être : Dis-moi ce que c’est que ça, Je ne sais pas ce que c’est que l’amour.
- Ce que a souvent une valeur quantitative : Dis-moi ce que ça vaut.

La construction indirecte de la subordonnée (en fonction Coi, p.ex. après dépendre de) pose le problème du maintien ou non de la préposition. Avec un adverbe, l’usage, et même la norme, sont hésitants :

Ça dépend combien vous êtes / Ça dépend de combien vous êtes

Ça dépend à quoi vous vous intéressez / (?)Ça dépend de à quoi vous vous intéressez.

Si la subordonnée interrogative commence par ce, aucune difficulté ne surgit :

Ça dépend de ce que c’est / Ça dépend de ce que vous cherchez
Ça dépend de ce à quoi vous vous intéressez / Ça dépend de ce dont vous avez besoin.

Avec ce qui/e, l’ambiguïté (ou indétermination) est courante entre la perspective perconta­tive (interrogative) et la perspective intégrative (conjonctive) (cf. GSubF : 119-122) :

Je n’ai pas pu dire ce que je voulais (cf. 4.2.)

Variation. Il n’est pas rare qu’une subordonnée interrogative soit introduite par un marqueur périphrastique, théoriquement limité à l’interrogation en indépendante :

Il m’a demandé qu’est-ce que c’est, qu’est-ce que je voulais, quand est-ce que j’aurais fini

Il m’a demandé qu’est-ce que c’était que ça
Il m’a demandé où est-ce qu’il fallait aller
 
(ou Il m’a demandé où c’est qu’il fallait aller, déviant ; cf. 6.2).

On peut y voir, à la base, des faits de contamination entre une phrase interrogative indépendante, intégrée sous la forme d’une citation : Il m’a demandé : « Qu’est-ce que tu veux ? Quand est-ce que tu auras fini ? », et une subordonnée interrogative : Il m’a demandé ce que je voulais, quand j’aurais fini.

Par ailleurs, des subordonnées interrogatives avec interrogatif in situ dans la subordonnée, du type Je me demande c’est quoi semblent en développement, suscitant de nombreux travaux (voir Coveney 2020).

Ces variations font ressortir que le mécanisme d’enchâssement d’une proposition subordonnée interrogative n’est pas aussi simple et clair qu’il semble au premier abord (cf. Krazem 2007).


3.4. Mots qu- exclamatifs

On a pointé supra (en 3.1.) ce qui fait la spécificité de l’exclamation.

La distinction entre exclamation et interrogation peut être neutralisable dans certains cas, compte tenu des nombreuses variantes et facettes de l’interrogation : une interrogation rhétorique et une exclamation peuvent avoir le même effet de réduction du parcours de la variable, et revenir sémantiquement au même, la distinction entre les deux étant purement formelle :

Dans quel monde nous vivons ! (exclamatif)
= Dans quel monde vivons-nous ? (ou !) (interrogation rhétorique, avec inversion).

De même avec d’autres mots qu-, non exclamatifs, utilisés dans une interrogation rhétorique : Où tu es encore allé te fourrer !

En ce qui concerne la formation des phrases exclamatives, les vues modernes (Culioli 1974 = 1999, T. 3 : 113 sq.) rejoignent celles des indo-européanistes (rappelées par Meillet & Vendryès 1960 : 643), pour considérer qu’une phrase exclamative indépendante repose sur une structure subordonnante sous-jacente de type conjonctif (voir 4.), réduite à sa partie subordonnée :

Quel crétin (tu es) ! < ‘[Tu es] quel crétin tu es’

Comme il est fort ! < ‘[Il est fort] comme il est fort’.

C’est la tautologie sous-jacente, avec auto-référence du degré (non stabilisé) de la variable, qui porte l’interprétation dans le haut degré, constitutif de l’exclamation, afin d’assurer la pertinence signifiante de l’énoncé. Cette hypothèse pourrait expliquer que les marqueurs comme et que soient conjonctifs ou exclamatifs, sans être interrogatifs.

La phrase exclamative

La syntaxe de la phrase exclamative est celle de la phrase déclarative ordinaire : il n’y a pas d’inversion du sujet (simple ni complexe), en dehors de contamination possible avec une interrogative. Une phrase exclamative ne peut pas être à l’infinitif ni comporter de double exclamation. Elle est souvent sans verbe, réduite au constituant exclamatif (Quelle chance !).

Le mot exclamatif est toujours initial, jamais in situ, dans aucun registre (*Il a souffert combien ! *Tu es quel crétin !), - sauf en apparence, par effet de relance et nouvelle proposition : Il a lutté, (et) avec quel courage !. Il n’est jamais inclus dans un groupe nominal complexe, ni en dépendance lointaine, et ne se présente jamais sous forme périphrastique (à part qu’est-ce que !, voir que ci-dessous).

Inventaire des marqueurs. Les marqueurs exclamatifs en qu- (spécifiques ou non à l’exclamation) ont été présentés dans le Tableau I : ce sont quel, comme, combien, que (Adverbe). (On laisse de côté les autres mots exclamatifs, qui n’entrent pas dans le cadre de cette notice : mots en t- : tant, tel, tellement, et si). Tous s’inscrivent dans le champ de la qualité ou de la quantité (souvent indifférenciées) et marquent un haut degré, qualitatif ou quantitatif.

3.4.1. Quel

Quel, exclamatif (uniquement devant un N), se distingue de quel, interrogatif : l’emploi exclamatif, dans Quelle femme ! n’engage aucune sélection, mais souligne les qualités remarquables d’une femme déterminée, connue, dont il est question, alors que Quelle femme ?, interrogatif, vise à sélectionner une femme (inconnue). Avec quelle désinvolture on nous traite ! marque un haut degré de désinvolture, qualité et quantité confondues.

3.4.2. Comme, Combien

Les adverbes comme et combien (ainsi que que) ont des valeurs très voisines, neutralisant souvent qualité et quantité :

- comme, exclamatif (non interrogatif), marque une manière remarquable, de faire ou d’être :

Comme il te regarde ! Comme tu es belle ! Effet quantitatif : Comme c’est dur !

Comment, théoriquement non exclamatif, apparaît parfois à la place de comme.

- combien, marqueur de quantité-degré (exclamatif ou interrogatif) :

Combien de gens voudraient être à votre place !

3.4.3. Que (Adv) (et formes supplétives)

Que (adverbe homonyme du pronom ‘-H’, héritier de l’adverbe latin quam, de même sens) est exclamatif mais non interrogatif ; archaïsant et recherché :

Que c’est gentil !
Que de N : Que d’eau, que d’eau ! Que d’occasions perdues !

Que (ainsi que, de fait, les autres adverbes) est très fortement concurrencé, voire même quasiment remplacé (sauf devant un N), par la forme supplétive ce que, déjà vue à propos du pronom ‘-H’ que/quoi, et qu’on retrouve ici dans un rôle adverbial, suppléant l’adverbe que :

Que c’est difficile ! = Ce que c’est difficile ! (voir 5.3.1.),

et même par la forme périphrastique qu’est-ce que … !, non admise par la norme :

Qu’est-ce que c’est dur !  Qu’est-ce que ça peut être fatigant !

Devant un N : Qu’est-ce qu’il y a comme eau !

Le fait qu’une expression nominale joue un rôle adverbial (supplée un adverbe) peut surprendre au premier abord, mais n’est pas un cas isolé : l’expression de la quantité prend souvent une forme nominale, comme si la quantité allait naturellement de pair avec une certaine étendue, et rejoignait par là la catégorie nominale, intrinsèquement associée à l’étendue. De fait, de nombreux adverbes de quantité viennent de formes nominales (cf. beaucoup, un (petit) peu, dont l’origine nominale est encore perceptible). Le passage d’un fonctionnement nominal à un fonctionnement adverbial est progressif. Certains emplois sont ambigus et peuvent s’analyser de deux façons : dans

Qu’est-ce qu’il peut boire !,

qu’est-ce que peut être pronom Cod ou marqueur adverbial de quantité. Dans

Ce que (ou Qu’est-ce que) c’est long !

Ce qu’il (ou Qu’est-ce qu’il) peut être méchant avec sa sœur !

l’impossibilité d’assigner une fonction nominale à ce que rend incontestables sa nature et sa fonction adverbiales.

3.4.4. La variation dans les mots exclamatifs

Les faits de variation dans les mots exclamatifs (signalés ci-dessus) procèdent des deux mêmes sources que pour les mots interrogatifs (3.2.6.) : distribution incertaine des marqueurs de la qualité et de la quantité ; tendance à l’utilisation de formes périphrastiques supplétives.


3.5. En subordonnée exclamative

Quelques contextes (peu nombreux) permettent d’enchâsser une proposition exclamative (qui devient syntaxiquement un GN). Ces contextes ont la même orientation que l’exclamative elle-même, qui garde sa valeur illocutoire propre (par différence avec une subordonnée interrogative). Les marqueurs sont les mêmes mots qu- exclamatifs, avec la même valeur, et les mêmes variantes :

Vous voyez avec quelle désinvolture on nous traite !

Vous n’imaginez pas ce que ça peut être long ! (variante qu’est-ce que, hors norme)

C’est fou ce que Jean peut être entêté !

Vous savez que d’estime j’ai pour vous  ! (recherché).

L’emploi de l’adverbe que est extrêmement limité, sans doute en partie à cause des risques d’ambiguïté avec le que complétif.



4. Mots qu- subordonnants autarciques (conjonctifs)


Un mot qu-, indéfini marqueur de variable (ontologique, autarcique= sans antécédent) peut devenir instrument de subordination en liant deux propositions : en s’articulant autour de cette variable commune, celles-ci forment une phrase complexe. Exemples :

Qui ne risque rien n’a rien : l’individu Humain x, quel qu’il soit, qui ne risque rien, est le même x qui n’a rien, ou encore : ‘x(Humain) ne risque rien, x(Humain) n’a rien, x = x’
Quand on veut, on peut : le temps x, quel qu’il soit (= quand), auquel on veut, est le même temps x auquel on peut, ou encore : ‘x(Temps) on veut, x(Temps) on peut, x = x

(Rappelons que les gloses données dans cette notice ont un caractère intuitif et ne prétendent à aucune orthodoxie d’écriture logique.)

L’exposé sera organisé comme suit :
4.1. Variable et liaison de proposition
4.2. Pronoms qui, que/quoi (et formes supplétives) : subordonnées actancielles
4.3. Que P (et forme supplétive) : subordonnées complétives
4.4. Adverbes où, quand, comme, que : subordonnées circonstancielles
4.5. La variation dans les subordonnants conjonctifs.
Les subordonnants anaphoriques (= les relatifs, à antécédent N) seront étudiés dans la section suivante (5.).


4.1. Variable et liaison de propositions

Le rôle connecteur subordonnant des variables (rôle que nous appellerons ‘conjonctif’) est moins largement reconnu que leur rôle comme déclencheur d’une interrogation. On a déjà mentionné dans l’Introduction que les premiers à notre connaissance à l’avoir pointé clairement (sans utiliser le terme de variable) sont Damourette et Pichon (1911-1940) à propos de quand (§ 3098) et de comme (§ 3122). Depuis lors il a été reconnu par de nombreux auteurs, d’une manière ou d’une autre (souvent sous le label de ‘proforme indéfinie’), dans des cadres théoriques variés et à propos de langues diverses. Citons par exemple Pierrard et Léard, qui parlent explicitement de ‘variable commune indéfinie’ :

Un énoncé du type Quand on veut on peut (= ‘n’importe quand’) « se présente sous la forme de deux prédicats liés par une variable commune indéfinie. La spécificité des termes en qu- est donc de réaliser ce rapport de dépendance au moyen d’une saturation concomitante par une variable unique de la relation prédicative à la fois au sein de P1 et de P2. » (2006 : 503)

ou Claude Muller :

«  Pour être interprétable, tout terme qu- doit être argument de deux prédications. Cette contrainte expliquera simplement les emplois dans les contextes de subordination. » (2008 : 15)

ou encore Huddleston & Pullum, dans leur grammaire de référence de l’anglais :

« We (…) have linked occurrences of the variable in the interpretation, e.g. for [I like what she wrote] I like the x such that she wrote x.   (…)   We might analyse [The dogs wouldn’t eat what she gave them] as The dogs wouldn’t eat the x such that she gave them x ». (2002 : 1071) 

Historique : genèse et développement.

Le mécanisme en question ici, illustré ci-dessus sur qui et quand, remonte à un mode d’articulation des propositions typique des langues indo-européennes anciennes, et qui relève à l’origine davantage de la parataxe que de la subordination : la corrélation, très bien représentée en latin sous la forme du ‘diptyque corrélatif’ (cf. Meillet 1964, Haudry 1973, Mellet 2013, Fruyt 2013) (et qu’il convient de distinguer de la corrélation comparative plus / autant / moins… que, dont il sera question à propos de que en 4.4.4.)

Le diptyque corrélatif : Une première proposition P1, de caractère topical, est introduite par une variable en qu- (‘prenons le cas que x…’, comme dans une interrogation) ; une proposition P2 reprend cette variable, explicitement (par une anaphore dite résomptive) ou implicitement (sans anaphore marquée). Exemples latins :

Qui bene amat (is) bene castigat (proverbe) ‘Qui aime bien (celui-là) châtie bien’,
Cum amamus, tum perimus (Plaute) ‘Quand on aime, alors on est perdu’,
Ut sementem feceris, ita metes (Cicéron), ‘Comme tu auras semé, ainsi tu récolteras’.

La réunion des deux propositions autour de la même variable crée une liaison entre elles, une implication logique : si P1 est vrai, alors P2 est vrai nécessairement, ne peut pas être faux. Cette structure se retrouve encore, clairement perceptible, dans les proverbes français cités supra.

Une structure assouplie. Mais, dès ses premières attestations, cette structure se présente également sous des formes assouplies et enrichies qui étendent son domaine bien au-delà des seuls aphorismes généralisants.

D’une part, au plan formel, les deux propositions P1 et P2 peuvent permuter :

On peut quand on veut
Rira bien qui rira le dernier (On ne dit pas N’a rien qui ne risque rien, les proverbes ayant une forme figée)

La permutation n’a pas pour seul effet de modifier la structure informationnelle de l’énoncé (qui n’a plus de topique initial et ne répond plus à un schéma protase – apodose), elle entraîne une plus grande intégration syntaxique (Mellet 2013). La proposition P1, une fois postposée, tend à perdre ce qu’elle avait d’autonomie et à devenir un simple constituant rattaché au verbe de P2 (devenu clairement le prédicat principal) : quand on veut est devenu un simple complément circonstanciel de temps de on peut (à condition toutefois d’être nettement relié au verbe : s’il est détaché, par l’intonation, ou une virgule, il reste alors périphérique, et l’interprétation demeure sensiblement la même que dans la configuration initiale), et qui rira le dernier est simplement le sujet de rira bien. On est passé d’un stade plus ou moins paratactique à une véritable subordination, avec enchâssement d’une proposition subordonnée dans une matrice superordonnée, le tout formant une phrase complexe.

D’autre part, au plan sémantique, la variable, indéfinie par nature, peut (sauf exception dans le cas de qui ; voir infra 4.2.1.) avoir en contexte une interprétation définie (valeur référentielle spécifique), inférée à partir du contexte, éventuellement même connue ou évidente, ou explicitement déclarée :

Quand j’ai rencontré Marie il y a deux ans, j’ai eu immédiatement le coup de foudre.

L’existence du moment particulier où j’ai rencontré Marie (il y a deux ans) ne contredit en rien l’affirmation générale que le moment de la rencontre avec Marie (quel qu’il soit, connu ou inconnu) est aussi le moment du coup de foudre : rien n’empêche une vérité générale de se vérifier en une occurrence particulière, et une proposition valable ‘pour tout x quel qu’il soit vérifiant P’ reste pleinement valable s’il n’y a qu’un seul x qui vérifie P. L’interprétation de l’énoncé est néanmoins quelque peu infléchie : il ne s’interprète plus alors comme une liaison nécessaire entre P1 et P2, mais comme une liaison contingente, purement factuelle, - même s’il répond toujours à la définition logique de l’implication (si P1 est vrai, alors P2 est vrai également, et ne peut pas être faux).

La variable indéfinie peut donc s’appliquer à des situations particulières : les proverbes et autres énoncés généralisants ne sont plus qu’une exploitation parmi d’autres de la liaison de deux propositions par une variable, modèle de subordination robuste et généralisable.

Le Tableau ci-dessous présente l’inventaire des mots qu- du français en emploi conjonctif.

 

Domaine Mot qu- Exemple
Entités ‘+H’ qui  (pronom) emploi limité : Qui ne risque rien n’a rien
Embrassez qui vous voudrez

> supplétisme celui qui/e
Entités ‘-H’ que / quoi (pronom) emploi très limité : C’est de quoi je parlais
> supplétisme ce qui/e
+ que
/ ce que complétif (4.3.)
Lieu où (adverbe) &Où tu iras j’irai
Restez où vous êtes
Temps quand (adverbe) Quand on veut, on peut
Il est parti quand la cloche a sonné
Qualité – Manière comme (adverbe) Comme on fait son lit, on se couche
Marie est comme Sophie
Quantité - Degré que (adverbe) en corrélation) Profites-en tant que tu veux
Pierre est plus grand que Paul

Tableau 6 : Les mots qu- subordonnants autarciques (conjonctifs)

On retrouve dans le Tableau ci-dessus le paradigme qu- du Tableau 1, représenté par un marqueur dans chaque catégorie ontologique : entités (+H / -H), coordonnées spatio-temporelles (Lieu, Temps), propriétés (Qualité / Quantité). On voit que la grille ontologique structure (et sature) non seulement l’interrogation mais aussi la subordination : les mots qu-, en tant qu’indéfinis, constituent une classe naturelle de subordonnants tout autant que d’interrogatifs-exclamatifs. Chaque interrogative partielle en qu- a son correspondant conjonctif en qu- : ce sont en fait essentiellement les mêmes mots utilisés différemment, comme en témoignent les échanges ‘Question – Réponse’ dans lesquels le mot qu- peut passer d’un côté à l’autre  :

À qui dois-je m’adresser ? - (Adressez-vous) à qui vous voulez
faut-il que je remette ce vase ? - (Remets-le) il était
Quand reviendras-tu ? - (Je reviendrai) quand j’aurai terminé mon contrat
Comment as-tu fait ? - (J’ai fait) comme on m’avait demandé
Seule exception : une subordonnée conjonctive en que (avec corrélation comparative) correspond à une question en combien (mot qu- de formation récente) :
Combien de livres a-t-il pris ? - Il en a pris autant qu’il a pu / plus qu’il n’aurait dû.

Tous les mots qu- conjonctifs participent du même mécanisme fondamental de liage de deux propositions par une variable : qu’il s’agisse d’une variable concernant un actant (qui, quoi), une circonstance (où, quand), ou une modalité (qualité ou quantité : comme, que), on a toujours l’identification ‘x (P1) = x (P2)’.

(Conjonctif vs relatif : En ce qui concerne la variable de sélection N (Quel livre veux-tu ?), le même procédé est à l’œuvre, mais se réalise différemment : le mot qu- de la réponse est anaphorique, différent de l’interrogatif, et se présente sous des formes diversifiées : (Je veux) le livre qui est sur la table / que tu m’avais promis, etc. C’est le pronom relatif, anaphorique de N, qu’on étudiera à la section 5.)

Ce qui distingue l’emploi des mots qu- dans une subordonnée interrogative de leur emploi dans une subordonnée conjonctive est une différence de perspective (comme disent Damourette et Pichon, § 1247). Dans une subordonnée interrogative (‘perspective percontative’, déjà évoquée supra en 3.3.), la variable est prise en tant qu’objet de discussion sur sa valeur. Dans une subordonnée conjonctive (‘perspective intégrative’), la variable est prise pour sa valeur elle-même (toute indéfinie qu’elle soit), et non pour une discussion. De plus, par différence avec une subordonnée interrogative, une subordonnée conjonctive a la nature de son terme introducteur : subordonnée nominale, ayant des fonctions nominales si son introducteur est un Pronom, subordonnée adverbiale, ayant des fonctions adverbiales si elle est introduite par un Adverbe (sous réserve des emplois non adverbiaux mentionnés infra en 4.4.).

Il convient donc de reconnaître l’unité de la classe (naturelle) que constituent les mots qu- conjonctifs, pronoms (qui, quoi) et adverbes (quand, comme, que, et , remis à sa place légitime d’adverbe, parallèle à quand ; cf. infra 4.4.1.). Tous ont le même fonctionnement (introducteurs de proposition, toujours à l’initiale : jamais in situ) et jouent le même rôle de liaison entre propositions. L’ensemble pourrait à bon droit être regroupé sous l’étiquette de ‘subordonnées conjonctives partielles’, au même titre qu’on parle de ‘subordonnées interrogatives partielles’, avec une subdivision entre les subordonnées conjonctives introduites par des pronoms, qui pourraient être appelées ‘actancielles’, et les subordonnées introduites par des adverbes, autrement dit ‘circonstancielles’ au sens large (si l’on accepte de garder par convention cette étiquette traditionnelle).

Terminologie.

On voit que le paysage terminologique est loin d’être stabilisé. Il reste à trouver (et faire adopter si possible : l’adoption d’une terminologie ne peut se fonder que sur l’adoption d’une analyse) un mot pour désigner en bloc les subordonnées conjonctives. Parmi les étiquettes envisageables, le terme d’intégratives (évoqué ci-dessus) peut paraître incongru, celui d’indéfinies est sans doute trop vague (et source d’incompréhensions en cas d’interprétation spécifique), celui de conjonctives, que nous retenons ici, est le plus neutre. (Reconnaissons à ce sujet des fluctuations dans nos propres travaux sur le choix du terme : les conjonctives de la présente notice sont appelées intégratives dans la Grammaire de la Phrase (1993), et indéfinies dans la GSubF (2019), alors que l’analyse n’a pas varié)

Certains (notamment Moignet, et d’autres, p.ex. la GGF : 1522 sq.) étendent ‘relatives sans antécédent’ à tout ou partie des conjonctives adverbiales. Cet étiquetage va certes dans le sens de l’unité des subordonnées conjonctives, mais, partant d’une appellation mal fondée (cf. 4.2.1.), qu’il généralise, il aggrave la confusion autour de la notion de ‘relative’, en occultant la différence entre les subordonnants conjonctifs (autarciques, formant un paradigme ontologique) et les subordonnants relatifs (anaphoriques, formant un autre paradigme, cf. 5.).

Analyse. Pour le détail du fonctionnement, l’analyse classique de Qui dort dîne, bien connue et universellement admise (sous réserve de l’étiquetage de qui, sur lequel on reviendra), vaut comme modèle. On la reformule ici :

Qui dort dîne : qui, pronom indéfini (‘+H’), introduit une proposition, dans laquelle il exerce une fonction (sujet de dort). La subordonnée qui dort est un constituant nominal (GN de discours), sujet de dîne (même fonction que celle de qui dans la subordonnée).

Cette analyse est intégralement transposable, terme à terme, à Quand on veut, on peut (et aux exemples correspondants avec ou comme, et même que : voir 4.4.4.), en passant de la sphère du pronom à celle de l’adverbe :

Quand on veut on peut : quand, adverbe indéfini de Temps, introduit une proposition, dans laquelle il exerce une fonction (complément de temps de veut). La subordonnée quand on veut est un constituant adverbial, complément de temps de peut (même fonction que celle de quand dans la subordonnée).

Mais on se heurte ici à la tradition, qui traite différemment qui et quand, et se refuse à étendre aux adverbes l’analyse qu’elle fait de qui ; la possibilité est implicitement rejetée pour un adverbe de garder sa nature et son rôle fonctionnel tout en ayant un rôle subordonnant, et la classe des mots qu- conjonctifs n’est pas reconnue dans son unité. D’un côté, quand, comme et que sont considérés comme de purs connecteurs interpropositionnels sans fonction grammaticale, autrement dit des ‘conjonctions de subordination’ (sur la notion de conjonction cf. notre article 2012). De l’autre côté, qui, ainsi même que , sont catalogués ‘relatifs sans antécédent’.

Il convient donc d’envisager séparément les pronoms et les adverbes conjonctifs.


4.2. Pronoms (qui, que/quoi et formes supplétives) : subordonnées actancielles

Une constatation s’impose : les subordonnées actancielles, introduites par qui ou que / quoi, dont on vient d’esquisser la place dans l’ensemble des conjonctives, n’ont qu’une faible existence dans l’usage, et une place réduite dans les grammaires. L’usage de qui conjonctif se réduit pour l’essentiel à des aphorismes proverbiaux archaïsants, et cette structure est très généralement considérée comme un sous-type de relative, qui étant qualifié de ‘relatif sans antécédent’. L’usage de que / quoi est si faible (en dehors des complétives en que P, qui appellent un traitement séparé : voir infra 4.3.) qu’il passe même souvent inaperçu dans les grammaires. Cette situation est propre au français : les pronoms conjonctifs ont été presque entièrement remplacés par des périphrases supplétives associant un démonstratif et une relative (celui qui/e, ce qui/e), ce qui a entraîné un brouillage et un déficit d’identification de la structure.

Il convient donc de bien marquer ce qui est en question ici : il s’agit de la liaison de deux propositions par une variable commune d’entité ‘+H’ ou ‘–H’, telle qu’on la voit dans Qui (‘+H’) dort dîne, Qui ne risque rien n’a rien, ou dans un exemple anglais tel que What (‘-H’) you said is true (les exemples pourraient être multipliés ; voir aussi la citation de Huddleston & Pullum déjà rapportée supra en 4.1.). Or réunir deux prédications autour d’un actant commun (d’une entité partagée) n’est assurément pas moins important pour les locuteurs ou pour la théorie grammaticale, que de les réunir autour d’une circonstance ou modalité commune, et la place des conjonctives actancielles dans la langue ne saurait être moindre que celle des circonstancielles. Des deux côtés, c’est le même fonctionnement, ainsi qu’il a déjà été dit en 4.1. : le principe fondamental de la liaison de deux propositions par une variable est mis en œuvre de la même façon, que la variable soit portée par un adverbe ou un pronom.

Mais la particularité du français (comme on vient de le noter) est que les subordonnées actancielles se présentent sous deux formes : il existe deux types de structures concurrentes, introduites les unes par les pronoms conjonctifs qui et quoi, et les autres par les locutions supplétives celui qui/e, ce qui/e. Les pronoms conjonctifs qui et quoi sont les représentants attendus, les titulaires légitimes de cette charge en quelque sorte : pronoms indéfinis en emploi conjonctif, identiques aux interrogatifs (cf. Delaveau 1998, ou, pour l’anglais, Huddleston & Pullum 2002 : 1074). Mais ils sont peu employés et mal reconnus : la tradition, quand elle ne les ignore pas, les dénomme ‘relatifs sans antécédent’. De l’autre côté, les formes supplétives celui qui/e, ce qui/e dominent dans l’emploi, mais elles mettent en jeu des relatives, et leur étiquetage est incertain et controversé. D’où au total une situation terminologique et conceptuelle confuse.

L’unité fonctionnelle et sémantique des subordonnées actancielles, à travers les deux types de structures qui la représentent, doit être préservée dans une description grammaticale (comme c’est le cas par ex. chez Damourette et Pichon : §1275 sq., ou dans la GSubF : Chap. IV) : cette reconnaissance est nécessaire pour respecter l’architecture d’ensemble de la subordination. La subordination actancielle est ‘première’ par rapport à la subordination relative, et demande à être traitée ‘avant’ elle (à l’inverse de la pratique la plus répandue) : y invitent conjointement la typologie (le grand nombre de langues ayant des conjonctives mais pas de relatives, comme p.ex. le chinois ; cf. Le Goffic & Wang 2002), l’histoire des langues (l’apparition et le développement des relatives à partir des conjonctives : cf. 5.2.), et la logique (le degré de complexité plus élevé des relatives, avec les phénomènes d’anaphore).

4.2.1. Qui (et formes supplétives celui qui/e)

Le qui de Qui dort dîne est le pronom indéfini ‘+H’, marqueur de variable ‘+Hum’, en emploi conjonctif. Il est identique à l’interrogatif (dont il n’est qu’une autre facette) ; il est morphologiquement masculin singulier, mais il neutralise le nombre (cf. Qui se ressemble s’assemble) et le genre, d’où le sexe : tout être humain peut dire Je suis qui je suis sans dévoiler son identité sexuelle, ou Embrassez qui vous voudrez sans préjuger de celui, celle, ceux ou celles qu’on voudra embrasser. Il est autarcique (il ne représente pas un antécédent), phonétiquement non réductible (toujours syllabique, p. ex. dans Qui a bu boira), utilisable en toutes fonctions syntaxiques (nominales) dans la subordonnée sans variation de forme :

Sujet (fonction prototypique) :
Qui se ressemble s’assemble
Rira bien qui rira le dernier
Sauve qui peut
Qui se sent morveux qu’il se mouche
(avec anaphorique résomptif il)

Cod :
Embrassez qui vous voudrez

Attribut :
Je suis qui je suis

Régime indirect :
Donnez ça à qui vous voulez (le donner)             
Je voterai pour qui je voterai !

La subordonnée introduite par qui est un GPron (équivalent à un GN), remplissant une fonction nominale, prototypiquement la même que celle de qui dans la subordonnée (comme c’est le cas dans les exemples ci-dessus). Dans des cas comme Donnez ça à qui vous voulez (le donner) ou Je voterai pour qui je voterai !, la préposition a une double portée, sur chaque occurrence du verbe (haplologie). En cas de dissociation de fonction (quand la subordonnée n’a pas la même fonction que qui) , qui est très généralement sujet dans la subordonnée :

Il raconte sa vie à // qui veut l’entendre.

La dissociation de fonction est maximale dans le tour (usité en français classique) Bonne chasse, qui l’aurait à son croc (La Fontaine, = pour celui qui… ; interprétation souvent glosée par ‘si quelqu’un…’) : la proposition en qui n’est pas reliée explicitement au prédicat principal (pas d’anaphore résomptive), bien qu’elle joue par rapport à celui-ci un rôle différent du rôle de qui dans la subordonnée.

Emploi (limité). Qui a la particularité d’être uniquement générique : il a perdu depuis le moyen français la possibilité d’être employé avec une visée référentielle spécifique (on ne peut pas dire *Qui a parlé le premier a fait un beau discours), sauf dans des formules semi-figées (qui vous savez). De ce fait, l’emploi de la structure est limité pour l’essentiel à des aphorismes généralisants, comme les proverbes, ou à des tautologies, de caractère sentencieux ou archaïsant. Mais on peut toujours forger à volonté de nouveaux aphorismes (N’est pas Wittgenstein qui veut) : la ressource est toujours exploitable.

Emploi fréquent dans des locutions semi-figées : qui vous voulez, qui vous savez :

J’ai rencontré qui vous savez

Quelques emplois existent avec l'Infinitif, derrière Prép ; emplois parallèles à ceux de quoi, (cf. 4.2.2.), mais beaucoup moins courants (limités à quelques formules) :

Paul a de qui tenir
Paul n'a pas à qui parler.

Qui a comme doublet quiconque (cf. 2.2.), uniquement sujet (cf. whoever, de formation parallèle).

Terminologie : un ‘relatif sans antécédent’ ?

Une tradition solidement installée (suivie sans discussion par la plupart des contemporains, y compris les générativistes) continue à parler de ‘relatif sans antécédent’ et de ‘relative sans antécédent’, ou ‘libre’, ‘substantive’, … (non sans une certaine gêne, souvent perceptible dans les grammaires : ce sont ‘des relatives qui ne sont pas vraiment des relatives…’). Cet usage traditionnel repose sur une analyse inappropriée du mot qui :

- Argument avancé 1 : ‘Qui est soit interrogatif soit relatif ; n’étant pas interrogatif dans Qui dort dîne, il ne peut donc être que relatif’. Mais cette dichotomie est infondée et procède d’une mauvaise appréhension générale des mots qu- : elle méconnaît leurs emplois conjonctifs ainsi que leurs emplois indéfinis.

- Argument avancé 2 : ‘Qui est le même dans Qui ne risque rien n’a rien et dans Celui qui ne risque rien n’a rien, qu’il y ait un antécédent ou non : qui et celui qui sont deux variantes libres’. Quand celui qui est employé en fonction sujet, avec valeur générique, il y a effectivement interchangeabilité et équivalence sémantique ; ce cas est certes courant, mais l’équivalence ne se retrouve dans aucun autre cas. En cas d’emploi de la forme substitutive, Je suis qui je suis doit devenir

Je suis celui (ou celle : choix obligatoire) que (et non plus *qui) je suis,

et de même pour tout autre emploi. Force est donc de constater, pour des raisons à la fois sémantiques et syntaxiques (différence de paradigme), qu’on n’a pas affaire au même qui, en dépit des apparences, dans Qui ne risque rien…  (qui = pronom conjonctif ‘+H’, toutes fonctions) et dans Celui qui ne risque rien … (qui = pronom relatif à antécédent non restreint, uniquement sujet) : l’équivalence sémantique n’entraîne pas identité syntaxique.

En dernière analyse, l’appellation de ‘relatif sans antécédent’ est sans doute due à l’influence persistante de la grammaire latine, exercée mal à propos et non remise en question : en latin classique le qui conjonctif et qui relatif ne se distinguaient pas et constituaient un seul et unique paradigme, traditionnellement couvert par la seule étiquette de ‘relatif’. Par suite en latin qui, seul ou avec antécédent (p. ex. dans is qui ‘celui qui’), était bien le même : qui (conjonctif) et is qui étaient des doublets interchangeables. Mais tel n’est plus le cas en français : le qui conjonctif du français s’est identifié à l’interrogatif (Tableaux 1 et 6), le qui relatif est entré dans un autre paradigme, celui des relatifs (Tableau 8). L’appellation de ‘relatif sans antécédent’ pouvait donc avoir des justifications en latin, mais n’en a plus en français, cf. 5.3..

Les limites d’emploi de qui conjonctif sont compensées par l’usage de la structure supplétive celui qui/e (ou, subsidiairement, d’autres structures, plus faiblement grammaticalisées, du type quelqu’un qui, ou, marginalement tel qui…).

Celui qui/e. On ne considère pas ici les cas où celui est anaphorique (Voici des fleurs, choisis celles que tu préfères = les fleurs que … ; il s’agit alors d’une construction ordinaire de relative), mais les cas où celui ne reprend anaphoriquement aucun N. Le démonstratif représente par lui-même la catégorie ontologique ‘+H’ (entités humaines) ; associé au pronom relatif (dans la totalité du paradigme : qui, que, dont, auquel…), il forme un GPron, utilisable en toutes fonctions nominales, équivalent supplétif du pronom conjonctif qui, dans des conditions qui appellent quelques précisions et réserves.

La forme supplétive celui qui/e qui présente par rapport à qui l’avantage de pouvoir être soit générique soit spécifique :

Celui qui a parlé le premier, c’est Jean

(avec d’éventuelles ambiguïtés ou ambivalences entre les deux interprétations, comme dans les vers de Racine Celui qui met un frein à la fureur des flots / Sait aussi des méchants arrêter les complots : s’agit-il d’un propos générique ou de Dieu, - ou d’un mélange des deux ?)

Mais deux modes de fonctionnement sont à distinguer, selon que celui est interprété comme renvoyant globalement à la catégorie ‘ +H’, ou à un individu unique de sexe masculin :     

a) celui qui/e représente globalement la catégorie ‘+H’, comme le pronom qui. Le masculin singulier subsume masculin et féminin, singulier et pluriel, et concerne tous les humains :

Celui qui ne risque rien n’a rien = Qui ne risque rien n’a rien.

Le pluriel ceux qui peut jouer le même rôle (usage courant) :

Ceux qui ne risquent rien n’ont rien 
Pensons à tous ceux qui sont dans la peine.

b) celui qui/e, en tant que masculin singulier, renvoie à un (unique) homme (mâle). Il s’oppose à celle/ceux/celles qui/e : la variation en genre et en nombre permet de (ou oblige à, comme on voudra) préciser le sexe et la quantité d’individus visés :

Celui qui s’est présenté le premier (= homme) / Celle qui s’est présentée la première (= femme).

Les mouvements féministes, et d’autres courants de la société, s’insurgent contre l’usage du masculin singulier comme non marqué (générique ‘+H’), et privilégient des formules développées du type :

Celui ou celle qui aura gagné…
Toutes celles et tous ceux qui voudront nous rejoindre sont invité(e)s à…

4.2.2. Que / Quoi (et formes supplétives ce qui/e)

Du côté du pronom marqueur de variable ‘-H’, le constat de carence est presque total : Fais *quoi (ou *que) tu veux n’a aucun degré d’existence en fmod. Il faut mesurer l’importance de ce ‘trou’ dans le dispositif des mots qu-, en comparant par exemple avec la fréquence et la facilité d’usage de what en anglais (What you said is true, What happened is unbelievable, Do what (whatever) you want, …) ou de was en allemand, pour ne prendre que ces deux langues comme exemples. En français, les emplois correspondants sont presque totalement assurés par la formation supplétive ce qui/e : les blocages à l’emploi du pronom que/quoi, déjà signalés à propos de l’interrogation (3.2.1., 3.3.), sont ici à leur maximum.

Que n’existe qu’à l’état de fossile, dans quelques locutions figées, avec un statut incertain :

Advienne que pourra = Qu’advienne ce qu’il pourra advenir
Coûte que coûte, Vaille que vaille (complément de prix),

ou avec Infinitif dans Je n'ai que faire de cela = Je n'ai pas ce que je pourrais faire de cela = Je ne peux rien faire de cela. Mais on le retrouvera dans le que complétif (Je crois que P), emploi de première importance (§4.3.).

Quoi est impossible comme sujet ou objet : le supplétisme par ce qui/e est généralisé. Il n’a que quelques emplois derrière Prép, souvent derrière c’est (avec dissociation des fonctions) :

C’est sur quoi nous travaillons (recherché)
C’est pourquoi (courant, généralement écrit en un seul mot) nous sommes ici
Il n’y a pas là de quoi nous puissions nous réjouir (avec subjonctif).

Mais quoi est usuel avec un Infinitif, derrière Prép, dans des expressions du type :

Il n'y a pas de quoi rire
Il n’y a pas de quoi fouetter un chat
Prenez de quoi écrire
Merci – Il n’y a pas de quoi (me remercier).

Ce qui/e est le représentant vivant de la variable ‘-H’ en emploi conjonctif. Le démonstratif ce (quand il n’est pas anaphorique d’une proposition, comme dans Jean est parti, ce qui m’étonne) représente la catégorie ontologique ‘–H’ ; il est suivi du relatif.

 

Fonction
dans la subordonnée
Pronom '-H' Forme supplétive périphrastique
ce qui/e
que quoi

Sujet

*

*
ce qui s'est passé est horrible
ce qui est intéressant, c'est que...
prends ce qui t'intéresse
Cod
Régime direct: attribut
de Vimp

*

*
fais ce que tu veux
les choses sont ce qu'elles sont
c'est ce qu'il y a de mieux
Régime indirect * c'est à quoi nous travaillons
c'est de quoi je vais parler
c'est ce à quoi nous travaillons
c'est ce dont je vais parler

Tableau 7 : Que / quoi (et formes supplétives) en subordonnée conjonctive

Fonctions du relatif dans la relative : toutes fonctions ; paradigme relatif complet (sauf lequel) : ce qui / ce que/ ce dont / ce Prép quoi.

Fais ce qui te plaît / ce que tu veux / ce dont tu as envie / ce pour quoi on t’a fait venir, …

Derrière Prép, il y a des cas de concurrence entre ce Prép quoi et Prép quoi :

C’est ce à quoi nous travaillons / C’est à quoi nous travaillons.

Ce qui/e est impossible avec un Infinitif.

L’interprétation peut être générique ou spécifique :

Ce que tu as fait une fois, tu peux le refaire / Ce que tu as fait ce matin est scandaleux

L’interprétation est souvent quantitative (= tout ce que) ou qualitative :

Mettez ce que vous voulez comme beurre.

Emplois archaïsants, figés :

Faites ce que bon vous semble = ce que (il) vous semble bon (de faire)

pour valoir ce que de droit = pour valoir ce que (cela vaut) de droit.

Fonctions du groupe ce qui/e : la séquence ce qui/e … est un Groupe Pronominal (valant proposition actancielle) qui peut avoir toutes les fonctions nominales, sans exception, dans la phrase d’accueil. Emploi très facile et très courant :

Sujet : Ce qui est fait est fait ; Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement
Cod : Prends ce que tu veux ; Ce que tu as fait une fois, tu peux le refaire
Coi : J’en arrive à ce qui est le plus important ; Je vous remercie de ce que vous faites
Complément de nom : Regarde les conséquences de ce que tu as fait
Complément d’adjectif : Sois fier de ce que tu as réalisé.
etc.

L’emploi ‘disloqué’, périphérique, est courant : Ce qui m’ennuie, c’est… (structure dite ‘pseudo-clivée’ ; cf. Apotheloz & Roubaud 2018), souvent après un point, avec une valeur de ‘relatif de liaison’ (Combettes 2007 : 123). À noter le tour Ce que voyant,…

La dissociation des fonctions (fonction du groupe ce qui/e… / fonction du relatif) est possible sans difficulté : Ce dont j’avais rêvé s’est réalisé, y compris avec deux prépositions différentes :

Je reviens sur ce dont je parlais hier
Le résultat est bien au-delà de ce à quoi on pouvait s’attendre

ou deux prépositions identiques : C’est la conséquence de ce dont on parlait hier.

Avec ce qui/e, l’ambiguïté est fréquente entre la perspective percontative (interrogative) et la perspective intégrative (conjonctive) (GSubF : 119-122) :

Je n’ai pas pu dire ce que je voulais.

L’interprétation non marquée est l’interprétation conjonctive, mais l’ambiguïté est souvent sans véritable enjeu. Les deux perspectives peuvent se rejoindre et se confondre quand il s’agit de ‘non Humain’ : l’identification d’un objet se distingue mal de la description de son contenu (ce qui n’est pas le cas quand il s’agit d’une entité ‘+H’) :

Raconte-nous ce que tu as fait ; Montre-moi ce que tu as dans la main.

Variation : Ce qui/e est parfois remplacé par la forme périphrastique qu’est-ce qui/e, sans doute par contagion à partir des emplois interrogatifs :

Je ne suis pas d’accord avec qu’est-ce que tu as fait (emploi déviant).


4.3. Que P (et forme supplétive ce que P) : subordonnée complétive

Le mot que se retrouve dans un autre type de subordonnée actancielle, d’une importance particulière : les subordonnées complétives, souvent appelées simplement ‘Que P’. Exemple : Je crois qu’il va pleuvoir.

Que introduit une subordonnée équivalente à un GN, en fonction Cod, avec cette particularité qu’il n’est pas un constituant de la subordonnée qu’il introduit : il va pleuvoir est une proposition complète, et que n’a pas de fonction syntaxique par rapport à il va pleuvoir ; on n’a plus affaire alors à une subordonnée ‘partielle’ mais à une subordonnée ‘totale’, pour reprendre la distinction communément appliquée aux interrogatives. Que a pour effet de convertir une proposition autonome en un GN, ce qui permet de l’enchâsser dans une structure superordonnée (d’où une certaine équivoque, heureusement peu dommageable : le terme de ‘proposition complétive’ peut désigner soit la proposition P enchâssée derrière que, et dont que ne fait pas partie, soit l’ensemble ‘que P’).

Subordonnée complétive (brèves indications).

Une subordonnée complétive a la syntaxe interne d’une phrase déclarative autonome, avec des possibilités d’interrogatif in situ (Vous voulez que je fasse quoi ?). Son mode verbal peut être l’indicatif ou le subjonctif : question abondamment traitée dans les grammaires, avec le problème de la prise en charge selon le contexte : le contenu de la P enchâssée peut être une croyance, un savoir, un désir, une conjecture, … La proposition complétive a des rapports étroits avec l’Infinitif : comparer J’espère réussir / J’espère que je réussirai mais Je veux venir / Je veux *que je vienne (voir p.ex. GSubF, Chap. III).

Étant équivalente à un GN, une complétive peut remplir toutes les fonctions nominales sans exception (avec des modes d’insertion très souples dans le discours : Heureusement que P, Peut-être que P, Qu’il pleuve ou qu’il vente, …), sa fonction prototypique étant la fonction Cod : Paul sait / croit / dit / veut que … : c’est une des pièces majeures de la syntaxe du français. On ne fera pas ici le catalogue détaillé des fonctions, mais on retrouvera cette question ci-dessous à propos de l’alternance que / ce que.

Quelle est la nature de que dans cet emploi ? Le débat est ancien. L’origine pronominale de que dans ce tour est patente : il prolonge le latin quod . Mais la tradition constituée au 19e s. le considère non comme un pronom mais comme un pur instrument syntaxique de nominalisation de P, une ‘conjonction pure’, vide de tout contenu sémantique. Cette opinion est largement relayée dans les grammaires contemporaines. Dans les travaux d’inspiration générativiste, le que complétif est même exclu de la catégorie des mots qu-, et promu ‘complémenteur’, base de tout l’édifice de la subordination, dans une perspective anhistorique. Toutefois des explications ont été proposées, à toute époque, pour concilier l’origine pronominale de que (faisant suite au pronom quod, sans antécédent) et son rôle d’instrument de nominalisation, qui le fait apparaître comme un pur connecteur dépourvu de fonction. Ainsi, au 18s., Beauzée écrivait :

« Je crois que j'aime, c'est-à-dire : je crois une chose qui est j'aime, (...) où la conjonction que est équivalente à qui est » (cit. Piot 2003 : 116)

Et, plus près de nous, Jean Dubois dans sa Grammaire structurale du français de 1969 :

« Soit les deux propositions Pierre viendra + Je crois ceci.
La nominalisation complétive donnera : Que Pierre viendra, Je crois ceci.
L’enchâssement de la proposition nominalisée dans la phrase matrice donnera :
Je crois ceci Que Pierre viendra > Je crois que Pierre viendra. » (1969 : 55-56)

La même idée est reformulée par Dubois et Dubois-Charlier dans leur ouvrage de 1970 (qui se revendique comme une « syntaxe générative et transformationnelle du français », p. 287) :

« La phrase Paul croit que Pierre viendra comporte ainsi une phrase affirmative de la forme Paul croit quelque chose et une phrase introduite par que qui est enchâssée là où se trouve le syntagme nominal complément quelque chose : Pierre viendra. On peut mettre en parallèle quelque chose et Pierre viendra qui ont la même fonction en supposant que la deuxième forme vient se substituer à la première » (1970 : 237)

Nous nous inscrivons dans cette ligne. Le ‘ceci’ ou le ‘quelque chose’ dont parlent les Dubois ne peut être qu’une variable ‘-H’, à laquelle ‘P’ vient s’identifier (plutôt que simplement se substituer) : ‘P’ représente (ou constitue) donc le ‘ceci’ ou le ‘quelque chose’ (autrement dit le x) que ‘je crois’ ou que Pierre croit. On a donc, pour Je crois qu’il va pleuvoir :

P (‘Il va pleuvoir’) est quelque chose (x), Je crois cette chose (x), x = x.

On aura reconnu le schéma type de la corrélation conjonctive (4.1.), la variable étant ici représentée par que, pronom indéfini, forme faible du pronom -H, non accentué (mais non pas clitique : il n’est pas lié à un verbe), attribut de P, avec ellipse de être en surface : que P représente donc ‘ce que P est’, autrement dit le contenu de P, comme une sorte de double métalinguistique de P. Au total, la glose capte bien le sens de Je crois qu’il va pleuvoir, ainsi que le rôle de que. Transformer ‘P’ en ‘(ce) que P [est]’ est une opération sémantiquement nulle mais syntaxiquement cruciale, qui permet d’enchâsser P après l’avoir transformé en un GN, structure aisément manipulable.

Dans cette optique le que complétif n’est pas ‘vide’, ce n’est pas une conjonction pure sans contenu (ou un ‘complémenteur’), mais il garde ses propriétés de mot qu- : c’est un indéfini marqueur de variable ‘-H’, jouant un rôle conjonctif. Il introduit une proposition dans laquelle il est attribut d’un sujet ‘P’, avec ellipse : que ‘P’ [est], et à laquelle, en tant que pronom, il confère une valeur nominale . À ce compte, la reprise de que dans un échange question-réponse du type :

Que penses-tu de ça ? – J’en pense que c’est très bien

n’est pas fortuite ou accidentelle, elle correspond bien à une double utilisation du même indéfini : d’abord comme interrogatif, puis comme conjonctif (complétif) reprenant la même variable, métalinguistiquement, à un très haut niveau d’abstraction. Ce type de fonctionnement du français est loin d’être isolé, du moins parmi les langues indo-européennes : nombreuses sont les langues où le même marqueur correspond à que / quoi interrogatif et à que complétif . Reste la question d’un étiquetage de surface : l’analyse qui vient d’être exposée ne contredit nullement l’absence de fonction en surface, et de ce fait le label de ‘conjonction’, malgré son caractère réducteur, n’est pas dénué de justification possible ; il est en tout cas est moins inapproprié que pour les adverbes quand ou comme.

À l’appui de cette analyse, on peut avancer, en plus de l’histoire qui garantit l’appartenance de que au paradigme des mots qu-, plusieurs indices convergents :

a) que est attribut avec ellipse de être dans certaines réalisations de l’interrogation périphrastique,

b) dans le clivage, que nominalise d’autres constituants que P,

c) que complétif, en tant que pronom ‘-H’, est soumis à des contraintes générant des formes supplétives (ce que).

a) Que est attribut avec ellipse de être dans certaines réalisations de l’interrogation périphrastique (cf. 3.2.1.) :

Qu’est-ce que l’amour ? = ‘Que est ce que l’amour [est] ?’ (cf. GGHF : 1231)

De même dans l’interrogation périphrastique redoublée (au ‘troisième degré’, 3.2.1.) :

Qu’est-ce que c’est que l’amour ? = litt. ‘Que est – ce que cela est – que l’amour [est] ?
Qu’est-ce que c’est que ça ? Qu’est-ce que c’est que ce truc là ? (courant)

b) Toujours en tant qu’attribut elliptique, que joue un rôle nominalisateur d’autres constituants que P, dans des formulations de caractère métalinguistique comme le clivage.

Que peut ainsi nominaliser un Nom, ce qui peut sembler paradoxal :

que N = ce que N [est].

Exemple dans une forme particulière de clivage :

C’est une douce chose que l’amour (ou, en version averbale : La douce chose que l’amour !).

Le sens est bien L’amour est une douce chose, mais à une très légère différence près : l’énoncé avec que ne qualifie pas exactement ‘l’amour’¸ mais il identifie métalinguistiquement ‘une douce chose’ (en tant que foyer d’une clivée, cf. 6.2.) à ‘ce que l’amour est’. La différence est minime, facilement négligeable ou neutralisable (d’où le caractère ‘explétif’ de que : C’est une douce chose, l’amour !), mais elle existe néanmoins, trace d’une élaboration particulière de l’énoncé, avec l’effet de ‘mise en relief’, si minime soit-il, propre au clivage, de ‘une douce chose’.

De même avec un Infinitif : que Inf = ce que Inf [est]. Exemples :

C’est une douce chose que d’aimer ! (ou La douce chose que d’aimer !).

Le même fonctionnement nominalisateur de que se retrouve dans quelques expressions figées et recherchées (qui ne relèvent pas du clivage) :

Si j’étais que vous… = ‘Si j’étais ce que vous êtes’, à côté du simple Si j’étais vous…
Si j’étais que de vous…
 : sophistication supplémentaire = Si j’étais ce que [il en est] de vous…’.

c) Que complétif devient ce que (forme supplétive) en construction indirecte

L’emploi de que complétif est bloqué derrière Prép. (comme il l’est pour que interrogatif ou conjonctif ; quelques exceptions à signaler, infra), d’où la forme supplétive Prép + ce que P, dans laquelle que est toujours attribut de P . Exemple :                    

Je tiens à *que vous veniez > Je tiens à ce que vous veniez

Ce, pronom démonstratif porte le trait ‘-H’, il est repris par que, relatif, attribut de P avec ellipse de être. Le groupe ce que est structuralement équivalent à que complétif, de la même façon que ce qui/e est équivalent à que/quoi conjonctif (cf. 5.3.) : cette équivalence pousse à analyser globalement ce que comme un marqueur de subordination complétive, sans fonction en surface. Ce que P est donc devenu une variante combinatoire de que P, qui permet l’emploi de la complétive derrière une préposition.

Historique.

À l’origine, ce que complétif est une variante libre de que, et les deux formes peuvent se rencontrer concurremment. Cf. en afr. :

Ço sent Rollant que la mort li est pres (Chanson de Roland, v. 2259)
‘Ce sent Roland que la mort lui est proche’ = Roland sent que … 

Le démonstratif ce fonctionne cataphoriquement, comme antécédent repris par que, mais distant de lui. Par la suite, ce et le relatif se sont soudés , et ce que est devenu globalement un instrument de nominalisation de P, utilisable librement. Dans un exemple de français classique comme

Ce que je te le dis est un signe que je te veux guérir (Pascal, Pensées, fragment 553),

on trouve encore ce que introduisant une complétive sujet, là où le français moderne ne pourrait avoir que que seul (suivi préférentiellement du subjonctif), ou le fait que P.

Par la suite, ce que a cessé de pouvoir s’employer comme variante libre de que, pour devenir une variante combinatoire utilisée en cas de construction prépositionnelle.

Concrètement, la question d’une complétive régie par une préposition se pose dans un assez grand nombre de cas : derrière des verbes, des noms, des adjectifs, ou des prépositions non régies (locutions conjonctives). Dans le détail, les solutions pratiques ont beaucoup fluctué au cours des siècles. La situation en fmod. peut se décrire comme suit :

1) Prép + ce que P : c’est la solution de base, en conformité avec ce qui vient d’être dit. Les exemples les plus nets sont avec la préposition à :

- derrière un Verbe : tenir à ce que P (Je tiens à ce que vous veniez), s’attendre, s’opposer à ce que P

-  derrière un Nom : une constante opposition à ce que P

- derrière un Adj : prêt à ce que P

- dans des locutions conjonctives : jusqu’à ce que P, de manière à ce que P

Avec d’autres prépositions :

en : ça consiste en ce que P, sur : Il a insisté sur ce que ce trafic doit cesser (recherché)

de : indépendamment de ce que P

par : parce que P (par + ce que P)

2) [*Prép ce] que P : la préposition est ‘ignorée’, et de ce fait la complétive est introduite par le seul que. La construction est néanmoins indirecte, comme en témoigne la pronominalisation par en et non par le ; la préposition peut réapparaître dans un registre soutenu, et on retrouve alors la forme supplétive complète de ce que. Ce cas de figure est courant, en particulier quand la préposition est de : que = [de ce] que :

- derrière un verbe : s’apercevoir [de ce] que P : Je me suis aperçu que le robinet fuyait (mais : Je m’en suis aperçu) ; dans un registre soutenu : Je me suis aperçu de ce que les réserves baissaient.

- derrière un Nom : l’idée [de ce] que P, la certitude, la peur [de ce] que P (J’en ai peur)

- derrière un Adj : heureux [de ce] que P (J’en suis heureux)

- derrière un Adv : loin [de ce] que P

On a sans doute affaire à une construction du même genre dans Il y a (voilà, ça fait) trois ans [de ce] qu’il est parti. Cf. la pronominalisation en de :  Il y a (voilà, ça fait) trois ans de cela.

Avec la préposition à : que = [à ce] que : faire attention [à ce] que, veiller [à ce] que

3) par exception, Prép que P : certaines prépositions (non régies, employées dans des locutions conjonctives) sont suivies directement de que P, dans des locutions conjonctives courantes : pour que P, sans que P,… (voir locutions conjonctives 7.1.). Leur construction a souvent fluctué entre que P et ce que P au cours des siècles.

Un cas voisin de ce que P doit être signalé : Que P avec antécédent déictique : ce N qu P, quand que a pour antécédent non pas le pronom démonstratif réduit ce, mais un pronom démonstratif plein cela, ça, ou un GN avec un déterminant déictique (ce N) ou un article défini (le N) :

La maison a cette (ou la) particularité qu’elle est en briques.

Il n’y a pas ici de préposition sous-jacente ; que permet d’enchâsser P = elle est en briques, et reprend anaphoriquement son antécédent cette (la) particularité, en marquant une relation attributive entre ‘P’ (elle est en briques) et cette (la) particularité. Que peut donc apparaître en surface comme un pronom relatif, la subordonnée ayant de plus une fonction adjectivale (épithète de particularité) ; mais que n’a pas de fonction repérable en surface, ce qui l’apparente à un complétif. On est donc en présence d’un type de subordination hybride, participant à la fois de la complétive et de la relative (voir GSubF : 91-93), généralement catalogué comme complétif. Autres exemples :

La situation a ça de bien qu’elle nous laisse plusieurs possibilités
C’est vrai, en ce sens que P
Il a dit ceci (de très curieux !) que P.

De nombreux GN avec article défini et comportant une complétive que P (p.ex. le fait que P, l’idée que P) peuvent s’analyser de deux façons : soit avec préposition de sous-jacente (le fait [de ce] que P [est]), soit avec N antécédent de que relatif (le fait que P [est] : ‘P est le fait’).

On voit que dans tous les cas, l’analyse de la complétive confirme sa nature de GN de discours, et que l’analyse de que (ou ce que) ramène vers un pronom (conjonctif ou relatif), attribut de P avec ellipse.


4.4. Adverbes (où, quand, comme, que) : subordonnées circonstancielles

Les adverbes conjonctifs (Tableau 6) sont où, quand, comme, et que : on reconnaît aisément les représentants des catégories ontologiques du lieu, du temps, de la qualité-manière et de quantité, les mêmes qui structuraient l’interrogation (et l’exclamation). Mais cette architecture, si évidente soit-elle, n’est pas relevée par la tradition : pour elle, quand, comme et que (étant à part) ne sont que des ‘conjonctions’ , outils de subordination comme d’autres et parmi d’autres ; ils sont habituellement ‘noyés’ dans les grammaires, au milieu d’un grand nombre de ‘locutions conjonctives’, et le plus souvent partagés entre plusieurs chapitres consacrés à l’un des sept types traditionnels de subordonnées circonstancielles. A l’inverse, on se propose ici de mettre en lumière leur unité, et leur rôle de repère structurant, permettant en quelque sorte de refonder la catégorie des circonstancielles à partir de leur noyau organisateur ontologique, sans occulter le fait que les adverbes sont moins monosémiques que les pronoms : ils connaissent des ‘sens figurés’, des ‘extension de sens’ diverses, des variations de place et de portée qui modifient leur sens, et des catégories ontologiques comme le temps ou la qualité-manière sont plus flexibles que les entités.

Historique.

L’histoire éclaire les raisons du choix effectué par la tradition : quand et comme ont été classés ‘conjonctions’ au 19e s. (ainsi que le que comparatif), dans le cadre de la grande refonte théorique qui a donné naissance à la ‘grammaire traditionnelle’, par attraction des connecteurs logiques si, parce que, bien que, etc., qui assemblent deux propositions sans appartenir à aucune des deux. On pouvait ainsi fonder et unifier la nouvelle catégorie des ‘conjonctions de subordination’, à côté de celle des ‘conjonctions de coordination’ (et, ou,…) (cf. Chervel 1977 : 251sq., GSubF 2019 : 9sq.). Mais il fallait pour ce faire occulter la nature d’adverbe de quand, comme, ou que, et leur dénier un rôle fonctionnel dans la subordonnée.

Adverbe subordonnant et fonction. Il est pourtant difficile de contester que les adverbes conjonctifs jouent un rôle sémantique et fonctionnel dans la subordonnée qu’ils introduisent. Si l’on prend quand comme exemple, il marque clairement une circonstance de temps du verbe subordonné, qui est ‘localisé dans le temps’ par lui, ainsi que disent Damourette et Pichon (suivis par d’autres) :

[Dans l’exemple Quand j’ai bu du vin clairet, Tout tourne au cabaret] « comme régime du verbe subordonné, quand joue le rôle d’un complément affonctiveux [= adverbial]. J’ai bu du vin clairet est en effet localisé par lui dans le temps » (§ 3098)

Quand joue donc un double rôle : il est complément adverbial de temps dans la subordonnée, et fait de la subordonnée toute entière un complément adverbial de temps du verbe principal. Toujours selon les termes de Damourette et Pichon :

[dans Vous ressemblez à votre mère quand vous vous fâchez, quand marque une circonstance de temps] « qui joue à l’état isolé un rôle dans la subordonnée et qui, avec les déterminations que cette subordonnée lui apporte, joue un rôle dans l’ensemble de la phrase » (§1250).)

Ou encore : « l’époque marquée par quand joue un rôle dans la phrase et dans la sous-phrase. » (§ 3098)

On retrouve ici le principe même de la subordination conjonctive depuis ses origines, valable sans restriction pour toutes les catégories : un adverbe, tout autant qu’un pronom, peut être subordonnant tout en gardant sa nature et ses propriétés. Ce qui a été dit pour quand vaut pour où, comme et que (voir ci-après).

Adverbes ou conjonctions ? Un continuum ?

Il reste néanmoins des arguments que la tradition peut faire valoir pour justifier ses choix : à savoir les cas où quand semble ne plus marquer le temps (et de même pour les autres adverbes : les cas où comme semble ne plus marquer la manière ni la comparaison, etc.), ce qui se produit notamment quand la subordonnée est devenue adverbe de phrase (extraprédicatif, détaché, périphérique, …). L’adverbe conjonctif a glissé vers un rôle de connecteur logique interpropositionnel, - celui-là même que lui assigne à titre exclusif la tradition grammaticale forgée au 19e.

La question a suscité, et continue à susciter, de nombreux débats. Moignet l’a abordée (1981 : 246 sq.), sinon le premier, du moins d’une façon particulièrement claire : il ‘coupe en deux’ quand et comme (position qui se retrouve dans la GGF : voir les fiches quand et comme). Pour Moignet, quand est un adverbe de temps indéfini dans Je partirai quand il viendra (il a une double fonction, « étant également incident aux deux verbes »), et une conjonction dans Quand il viendra, je partirai, où il est ‘allégé’ (1981 : 252) : « cet allègement consiste dans le fonctionnement de la proposition introduite comme adverbe de phrase ». Quand conjonction est « une transcendance de quand adverbe », son « état ultime », caractérisé par un appauvrissement sémantique et « la valorisation de ses capacités formelles qui deviennent prépondérantes » (248). Quand, devenu conjonction, devient alors

« capable d’évoquer des rapports d’une autre nature que ceux de la chronologie. Il se fait aisément le signifiant de rapports logiques : cause, condition, opposition :
Quand on a subi des épreuves, on devient prudent
Quand on cherche, on trouve
Quand il viendrait, je ne le recevrais pas
 » (248).

Au passage Moignet reconnaît que « le point de franchissement du seuil [passage de quand adverbe à quand conjonction] est assez délicat à repérer par l’observation des données du discours » : le seuil, à supposer qu’il existe, ne pourrait être que subjectif. Le critère avancé de la possibilité de reprise par que en coordination (quand… et que…, comme… et que), uniquement pour la ‘conjonction’ (1981 : 254) n’est pas probant : il est sans doute exact que la reprise par que de quand ou comme est d’autant plus facile que leur sens s’éloigne de leur valeur fondamentale (ce qui peut se comprendre par rapport au fonctionnement de que, cf. 4.4.4.), mais la coordination par que est parfaitement naturelle dans p.ex. Je retirerai ma plainte quand il aura reconnu ses torts et qu’il m’aura rendu ce qu’il m’a volé (avec une subordonnée strictement temporelle, adverbe de prédicat).

Toutefois, indépendamment de ces difficultés, plusieurs raisons empêchent d’adhérer à une analyse dichotomique de quand ou comme.

- Un adverbe a par nature une portée variable : il est constitutif de la nature d’un adverbe (de lieu, de temps, ou, plus encore, de manière) de pouvoir porter sur des éléments de niveau varié (prédicat ou phrase), avec accommodation corrélative de son sens (exemple avec l’adverbe naturellement : Ça s’est passé (très) naturellement / Naturellement, c’est encore toi qui as raison !). Un adverbe de phrase est encore un adverbe : la modification de portée n’entraîne pas changement de catégorie.

- La position fixe de l’adverbe introducteur n’exclut pas une variation de portée sémantique, et ne contredit pas la position variable de la subordonnée. On pourrait vouloir les opposer : la mobilité (même relative) de la subordonnée circonstancielle, s’accompagnant de variations de portée et d’effets de sens diversifiés, contraste avec l’absence absolue de mobilité du mot qu- introducteur de la subordonnée, qui ne peut occuper que la position initiale dans celle-ci. Dans le cas d’une subordonnée périphérique en quand ou comme, adverbe de phrase, il peut sembler difficile de soutenir l’idée d’une double portée à l’identique du mot qu- dans la subordonnée et de la subordonnée dans la phrase. Pour autant cette idée ne saurait être écartée : on ne voit pas qu’il puisse exister dans un même énoncé deux utilisations (deux portées) à la fois simultanées et divergentes de la même occurrence d’un mot qu-. Et rien n’empêche de décorréler, si certaines conditions le requièrent, les variations de place et les variations de portée sémantique, celles-ci dépendant tout autant du contenu lexical environnant que de l’ordre des mots (il ne manque pas d’éléments extraprédicatifs logés au cœur même d’une proposition, entre auxiliaire et participe : Jean a peut-être eu tort).

- Un adverbe conjonctif ne perd pas sa valeur ontologique : dans les exemples de quand donnés par Moignet, et dans tous ceux qu’on pourrait ajouter, le rapport logique n’exclut pas le rapport temporel (y compris dans l’énoncé au conditionnel : les deux conditionnels marquent la contemporanéité dans une situation temporelle fictive). C’est même à partir d’un rapport temporel de contemporanéité que se construisent en fonction du contexte les rapports logiques, qui se surajoutent au rapport temporel sans l’annuler ni le remplacer : un lien subsiste toujours, qui est de l’ordre de la temporalité partagée. Il en va de même pour comme et que dans leurs domaines respectifs : voir infra. Nier cette permanence obligerait à considérer que certaines utilisations de quand, comme ou que sont sans lien avec leur sens premier ou fondamental, donc sans motivation ni justification intrinsèque.

Au total, s’agissant de caractériser les adverbes conjonctifs dans toute la gamme de leurs emplois, aucune position simpliste ne peut être soutenue. Face à la tradition qui considère , quand, comme et que comme de pures conjonctions, l’excès inverse consisterait à nier qu’ils se rapprochent de connecteurs interpropositionnels à mesure qu’ils s’écartent de leur fonctionnement prototypique d’adverbes de prédicat. Et la solution consistant à les ‘couper en deux’ (comme le proposent Moignet et d’autres) est critiquable en théorie et plus qu’incertaine en pratique. Une approche continuiste s’impose donc, reposant sur deux principes :

(1) la reconnaissance, au point de départ, de la nature d’adverbes des marqueurs qu- en jeu, et de leur fonctionnement conjonctif tel qu’il a été décrit ci-dessus ;

(2) la prise en compte de leur flexibilité d’adverbes et de leurs variations de portée, qui les rapprochent de connecteurs interpropositionnels, sans jamais réduire à zéro leur composante sémantique propre. Ce sont donc bien toujours des adverbes conjonctifs.

Les subordonnées adverbiales : fonctions adverbiales. En ce qui concerne les subordonnées introduites par où, quand, comme et que, la tradition reconnaît bien leur nature de constituants adverbiaux, ayant des fonctions adverbiales, avec des différences de portée (adverbe de prédicat / adverbe de phrase), déjà évoquées supra. On revient brièvement sur les deux cas de figure principaux, entre lesquels existent de nombreux chevauchements, cas ambigus ou indécidables ; les étiquetages syntaxiques varient selon les écoles linguistiques.

1) portée intra-prédicative (étroite) : la subordonnée est en position post-verbale, liée (à droite du verbe, non séparable, non déplaçable), en tant qu’Adv de prédicat. Elle est clivable, complément essentiel ou accessoire :

- complément essentiel (obligatoire, appelé par la valence du verbe) :

C’est quand vous voulez, Reste où tu es, Les choses sont comme elles sont

- complément accessoire (syntaxiquement facultatif), doté d’une certaine mobilité parmi les compléments à droite du verbe, ayant typiquement valeur rhématique (réponse à une question) :

Je reviendrai quand j’aurai fini
On fera ça où vous voudrez
Il a rempli sa mission comme je le lui avais demandé.

2) portée extra-prédicative (large) : la subordonnée est adverbe de Phrase, complément accessoire, non clivable. Elle est mobile, détachée, généralement en position périphérique (initiale ou finale) ; un résomptif est possible (, alors) :

Où j’étais, la chaleur était insupportable
Quand il a appris la nouvelle, Jean s’est effondré
Comme tous les Français, Jean est chauvin.

La portée étroite (avec subordonnée à droite du verbe) est perçue comme première (bien qu’elle ne corresponde pas à la forme de base du ‘diptyque corrélatif’ en indo-européen ; cf. supra 4.1.) : le constituant adverbial est dans sa fonction fondamentale de modifieur d’un prédicat, avec son sens propre. La portée large (avec subordonnée périphérique) est perçue comme une extension d’emploi (rôle cadratif, …), favorisant la polysémie, avec des effets de sens dérivés plus ou moins prononcés selon la catégorie ontologique du marqueur : ces effets sont peu sensibles sur le lieu (), plus nets sur le temps, et très marqués sur la qualité – manière, avec comme, cf. 4.4.3. Les ambiguïtés de portée sont fréquentes à droite du verbe, en l’absence de marques de détachement. Les emplois périphériques des adverbes peuvent leur conférer des valeurs de marqueurs de discours ou connecteurs argumentatifs, souvent relevés et étudiés dans la littérature.

Au total, les quatre adverbes conjonctifs en qu- constituent un socle bien structuré, sur une base ontologique claire : lieu et temps, qualité et quantité (engendrant comparaison et conséquence : voir infra). Ils forment naturellement l’ossature d’un groupe homogène de subordonnées, au plan syntaxique et au plan sémantique : les subordonnées dites ‘circonstancielles’. Pour rejoindre la présentation habituelle des circonstancielles en 7 catégories, il suffit de compléter la liste des introducteurs, d’une part par des locutions conjonctives (qui sont des formations composées, secondaires, permettant d’exprimer des rapports logiques : cause, but, concession, comme de raffiner les catégories ontologiques ; voir 7.), et d’autre part par si, qui joue par rapport aux marqueurs conjonctifs le même rôle que par rapport aux marqueurs interrogatifs : il introduit ici une ‘circonstancielle totale’, de même qu’il introduit une ‘interrogative totale’ du côté des subordonnées interrogatives.

Fonctions nominales. Une subordonnée conjonctive en , quand ou comme peut aussi, dans quelques configurations, fonctionner en tant que constituant nominal, dans une fonction nominale : le lieu, le temps, et même la qualité ou la quantité possèdent une certaine épaisseur ou étendue virtuelles qui fait que des adverbes peuvent assumer des rôles nominaux : cf. Demain est un autre jour. Par suite où P > le lieu où P, quand P= le temps où P, comme P = la manière dont P (on a vu la même relation en sens inverse à propos des emploi adverbiaux de ce que : cf. 3.4.3.). Exemples :

- Cod de verbes du type aimer, préférer :

Je préfère où il y a de l’herbe (comme Je préfère là-bas)
Je n’aime pas quand il y a trop de soleil
Je préfère comme ça, comme tu avais fait l’autre fois ;

- attribut : Le mieux, c’est quand on peut discuter tranquillement ;

- emploi détaché, avec reprise (ou annonce) par ce ou ça :

Où il se trompe, c’est dans ses prévisions
Quand je marche, ça me fait mal
Comme tu as fait, ça va lui plaire.

Dans ce type d’énoncés, une certaine marge d’hésitation est toutefois possible entre l’affectation d’une fonction franchement nominale, et le maintien d’un fonctionnement adverbial, supposant que certains constituants nominaux sont sous-entendus.

4.4.1.

, adverbe de lieu (cf. Hadermann 1993) a des emplois conjonctifs qu’on peut mettre en parallèle avec ceux de quand, adverbe de temps : Va où tu veux est exactement superposable à Viens quand tu veux, et appelle la même analyse, n’en déplaise à la tradition. est un adverbe conjonctif, complément de lieu dans la subordonnée qu’il introduit, laquelle est complément de lieu du verbe principal.

Historique et Terminologie.

Le parallélisme sémantique et syntaxique (mêmes constructions) invite donc à un traitement identique des adverbes et quand, et on aurait pu s’attendre à ce que la tradition ait catalogué comme ‘conjonction’, à l’instar de quand. Tel n’a pas été le cas, comme on sait. Sans doute était-il moins facile à assimiler à un connecteur logique que quand, l’espace étant moins facilement associé à des valeurs logiques. Mais d’autres facteurs ont joué, qui ont fait rapprocher de qui : d’une part l’existence d’un relatif (l’endroit où…, le jour où…), et d’autre part l’équivalence (ou concurrence) entre et là où (analysé comme antécédent + relatif ; cf. 5.3.3.)¸ parallèle à celle qui existe entre qui et celui qui (Qui / Celui qui ne risque rien…). Par suite, conjonctif a été catalogué ‘relatif sans antécédent’ (comme le qui conjonctif), appellation encore admise aujourd’hui sans discussion dans la quasi-totalité des travaux.

Il existe pourtant des différences entre conjonctif et relatif : le conjonctif (Où j’étais…) ne peut jamais prendre une valeur temporelle, à la différence du relatif (le jour où…). D’autre part, s’il est indéniable que et là où sont largement substituables (Là où j’étais…, Reste là où tu es), et que là où peut même l’emporter dans l’usage de nombreux locuteurs, il ne s’ensuit nullement que soit le même dans les deux cas (employé seul / en reprise de ). La situation est la même qu’avec Qui ne risque rien… vs Celui qui ne risque rien… : en dépit de leur identité apparente, les deux qui relèvent de deux paradigmes différents (voir 4.2.1.). En fin de compte, l’analyse comme ‘relatif sans antécédent’, malavisée pour qui, est encore moins justifiée pour où. La théorie grammaticale serait bien inspirée, nous semble-t-il, de revenir sur ce jugement mal fondé, et de remettre à sa place légitime d’adverbe conjonctif, à côté de quand.

Comme quand, peut avoir une interprétation générique ou spécifique (référentielle). Reste où tu es (ambigu) peut être généralisant (Un bon conseil pour ta conduite dans la vie : reste où tu es !) ou en situation (Attention ! Ne bouge surtout pas ! Reste où tu es !).

La subordonnée peut avoir une portée étroite (adverbe de prédicat, postposé au verbe) ou une portée large (adverbe de phrase, mobile), avec peu de différence de sens :

Mettez ça où vous trouverez de la place
Retourne d’où tu viens
Où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir
Où j’étais, la chaleur était insupportable.

Variante non canonique : où c’est que, où que (cf. 4.5.).

Emploi en fonction nominale : Je préfère où il y a de l’herbe

Où il se trompe, c’est quand il dit… (l’erreur est localisée dans une action située dans le temps).

Avec Infinitif : Je n’ai pas où aller (emploi isolé).

4.4.2. Quand

Quand est l’illustration prototypique des subordonnants conjonctifs : variable de temps, quand introduit (toujours en position initiale) une subordonnée, dans laquelle il exerce une fonction (complément de temps, essentiel ou accessoire). La subordonnée est un constituant adverbial, complément de temps dans la phrase d’accueil (comme quand dans la subordonnée). Très nombreuses études : p.ex. Borillo 1988, Benzitoun et Saez 2016. Variante non canonique de quand : quand c’est que.

Quand peut avoir une interprétation générique ou spécifique (référentielle, en situation) :

Quand on veut, on peut   / Quand j’ai vu ça, je suis parti.

La subordonnée peut avoir une portée étroite (adverbe de prédicat, postposé au verbe) ou une portée large (adverbe de phrase, mobile), propice aux extensions de sens, et à de multiples effets textuels :

Je reviendrai quand j’aurai fini ; Faites ça pour quand vous pourrez.
Quand il a appris la nouvelle, Jean s’est effondré.

Le prédicat de rattachement peut être un prédicat second (…heureux quand il gagne, malheureux quand il perd) ou un N de caractère prédicatif (sa réaction quand il a appris la nouvelle).

Quand illustre particulièrement bien la façon dont le contexte peut moduler la valeur du connecteur : la double portée de la variable (identification de deux occurrences) produit nécessairement et exclusivement une valeur d’identité de temps, c’est-à-dire de simultanéité ou concomitance. Mais cette identité se décline en une quantité d’effets particuliers selon le temps et l’aspect des verbes, les types de prédicats, et le contexte en général, - d’où toute une gamme de rapports temporels diversifiés entre les deux procès reliés par quand : contiguïté (sans aucun intervalle séparateur), datation, durée, inclusion, répétition, semelfactivité, avec éventuellement des valeurs logiques et/ou argumentatives surajoutées. Exemples :

Quand j’aurai fini mon travail, je partirai :

la simultanéité entre l’accompli du futur antérieur et le non accompli du futur simple fait entendre que le travail précédera le départ, qui suivra immédiatement.

Quand on me donnerait ça pour rien, je n’en voudrais pas :

les deux conditionnels associent étroitement les deux actions dans un monde possible, contrefactuel, et le contraste entre les deux induit la valeur de quand = quand bien même, même si. Pour des effets textuels (‘subordination inverse’, emploi après le point…) et des valeurs argumentatives, voir p.ex. Benzitoun et Saez (2016) .

Emploi en tant que constituant nominal, dans une fonction nominale :

Je n’aime pas quand il y a trop de soleil
Le mieux, c’est quand on peut discuter tranquillement
Quand je marche, ça me fait mal (= le fait de marcher)

Complément de Nom : des souvenirs de quand j’étais enfant (comme des souvenirs d’autrefois).

4.4.3. Comme

La qualité (manière) et la quantité sont des catégories ontologiques plus subjectives que le lieu ou le temps. Par suite, comme et que ont des valeurs et des exploitations plus variées que et quand, ainsi qu’on peut s’y attendre : ce sont les subordonnants les plus riches et les plus complexes du français. Mais le mécanisme fondamental à l’œuvre reste le même : c’est toujours la liaison de deux prédications par une variable, générant des subordonnées adverbiales de qualité - manière avec comme ou de quantité-degré avec que.

Qualité, quantité, et comparaison. Comme et que (adverbes exclamatifs mais non interrogatifs) ont dans leur emploi conjonctif la propriété commune de mener à la comparaison, qualitative pour comme, quantitative pour que. Cette propriété découle directement de leur mise en fonctionnement conjonctif. En effet le schéma conjonctif, en tant qu’il repose sur une valeur de variable partagée à l’identique (x(P1) = x(P2)), marque par lui-même une identité, qu’on peut assimiler à une forme de comparaison d’égalité : Quand on veut on peut est à sa manière une comparaison d’égalité de temps (xTps(P1) = xTps(P2)), Où tu iras j’irai est une comparaison d’égalité de lieu, et de même Qui dort dîne une égalité (identité) d’entité ‘+H’ (c’est le même x (+H)). Mais cet aspect ‘comparatif’ n’est pas perçu comme tel. Il l’est en revanche spontanément quand la structure concerne la qualité ou la quantité, qui procèdent d’une démarche évaluative, et conduisent naturellement à comparer les objets qu’elles caractérisent ; sémantiquement, la comparaison est une dimension interprétative qui se surajoute naturellement à des évaluations qualitatives ou quantitatives, d’où : pour comparer deux objets, il faut les mettre en relation du point de vue de la qualité ou de la quantité. On verra plus loin (4.4.4.) ce qu’il en est de la comparaison quantitative en que, avec un système corrélatif particulier : autant que / plus que, moins que.

Pour une vue d’ensemble sur la comparaison : Rivara 1990, Fuchs 2014, Desmets (in GGF 2021, Chap. XV), Combettes (in GGHF 2021).

Les études sur comme sont très nombreuses. Entre autres : Pierrard 2002, Fuchs et Le Goffic 2005, Moline 2008, Muller 2013, GSubF 2019 : 147-158.

Comme est un adverbe de qualité-manière, qui peut lier deux propositions. Cf. exemple et glose de Damourette et Pichon (§ 3122) :

Réunis à jamais, tu dormiras près d’elle, / Comme un jour mon ami dormira près de moi  = « Tu dormiras près d’elle d’une façon. Mon ami dormira près de moi de cette même façon »

Remarque : la glose de DP pourrait être infléchie dans le sens d’une analogie de situation : de même que… On reviendra sur cette latitude d’interprétation au point (2) ci-dessous.

La liaison de deux prédications par une variable de qualité-manière est une ressource précieuse par sa flexibilité, très exploitée par tous les locuteurs dans tous les registres, et très vite acquise par les enfants (avant deux ans). Le plan d’étude des emplois de comme est le suivant :

1) L’identité de manière (d’être ou de faire) conduit naturellement à l’expression de la comparaison ;

2) elle produit des effets de sens diversifiés selon les variations de portée : analogie de situation,

3) valeurs circonstancielles diverses.

4) Comme a aussi des emplois conjonctifs masqués, dans de nombreuses configurations nominales sans verbe, à valeur qualifiante.

1) De la manière (d’être ou de faire) à la comparaison (qualitative)

Portée étroite (intra-prédicative) : comme, adverbe de prédicat, introduit une subordonnée dans laquelle il est complément de manière (ou ‘modifieur’, essentiel ou accessoire). La subordonnée est un constituant adverbial post verbal (non mobile), remplissant la même fonction auprès d’un prédicat (ou d’un prédicat second, dans de nombreuses structures syntaxiques) La subordonnée est en général elliptique (non répétition des éléments communs, avec grande facilité de récupération et d’adaptation).

Manière d’être ou de faire :

J’ai fait comme j’ai pu, comme on m’avait dit
Les choses sont comme elles sont
Jean est comme il est, comme (il est) d’habitude
On a traité Paul comme un paria
(attribut de l’objet)
(étant) Sérieuse comme elle est, Marie réussira
(étant habillé) Comme il est habillé, Paul va se faire remarquer
.

Une subordonnée de manière en comme peut aussi avoir certains emplois de caractère nominal (comme on l’a mentionné supra) : comme P = la façon dont P :

- Cod de verbes du type aimer, préférer : Je préfère comme tu étais habillé l’autre jour

- subordonnée reprise ou annoncée par ce ou ça : C’est très bien, comme tu as fait.

Comparaison (qualitative). On glisse naturellement à la comparaison qualitative quand la variable est rapportée à deux entités distinctes de même statut, mises en parallèle : identifier la qualité (ou manière d’être ou de faire) de A à celle de B revient à établir une comparaison perçue comme telle (égalité qualitative), entre A et B :

Marie est comme Sophie = Marie a la même manière d’être (quelle qu’elle soit, non définie, occasionnelle ou permanente, positive ou négative) que Sophie
Ici, c’est comme à Paris
Jean travaille comme (faisait) son père avant lui.

Manière et comparaison ne s’excluent pas (GSubF : 163) : les apports respectifs de l’adverbe comme (manière), et de la construction conjonctive (identification de deux occurrences de la variable = égalité) sont toujours présents l’un et l’autre. On est enclin à parler de manière si les deux prédications tendent à se fondre dans un procès unique rapporté à un seul sujet, réponse possible à une question en comment ? (Jean est comme d’habitude ; J’ai fait comme j’ai pu). On sent comme une comparaison les cas où la structure crée un vis-à-vis entre deux instances de même niveau, en particulier quand elle met deux entités en face à face (Marie est comme Sophie). Mais le fonctionnement linguistique est le même dans tous les cas : il y a toujours ‘comparaison d’égalité (identité) de manière’, et il importe peu qu’on veuille voir dans tel exemple une subordonnée circonstancielle de manière (appellation usitée dans certaines grammaires) ou une comparative : les deux sont appropriés.

Par différence avec la comparaison quantitative (par que), la comparaison qualitative (par comme) s’accommode mal de paramètres strictement mesurables  : Jean est grand comme son frère se comprend facilement comme une égalité approximative ou comme une analogie (cf. infra), plutôt que comme une égalité mesurée. Il en va de même dans les comparaisons à parangon (heureux comme un roi, haut comme trois pommes), qui ne sont pas des mesures d’évaluation stricte.

Interprétation : similitude vs approximation. La comparaison par comme est naturellement orientée dans le sens d’une ressemblance ou similitude entre deux entités distinctes A et B, ayant en commun une manière identique d’être ou de faire. Cf. les exemples précédents, ou encore

Jean est comme mon frère Luc,

qui marque une ressemblance entre deux entités distinctes (Jean et mon frère Luc).

Mais elle peut aussi avoir une valeur d’approximation : Exemple :

Jean est comme mon frère,

(énoncé ambigu), pris au sens de ‘Jean est quasiment, presque, pour ainsi dire, mon frère, Jean est une sorte de frère pour moi’. L’énoncé ne compare plus deux entités A et B, mais concerne une seule entité (Jean) à laquelle il apporte une qualification : A est comme B  = A est une sorte de B, quasiment B. Le GN mon frère n’est pas employé comme expression référentielle mais comme expression attributive (Jean est comme s’il était mon frère, comme quelqu’un qui serait mon frère). Comme permet ainsi des formulations approchantes quand on ne trouve pas le mot exact qu’on cherche :

C’est comme tortue (mot de très jeune enfant voulant désigner un crabe, mais ignorant ce mot. Exemple rapporté par L. Danon Boileau).

L’effet d’approximation attaché à comme peut se réaliser dans la structure être comme Adj (ou participe passé) :

J’étais comme fou, comme hypnotisé = ‘j’étais comme (quelqu’un qui est) fou, hypnotisé’,

et même, occasionnellement, dans une forme verbale composée avec l’auxiliaire avoir : Il a comme hésité un instant (mais non dans une forme verbale simple : *il comme hésita). Voir aussi infra les structures sous 4).

La différence entre ressemblance et approximation peut être neutralisée, p.ex. dans

C’était comme un rêve : ‘C’était comme [est] un rêve’ (ressemblance) = ‘C’était comme une sorte de rêve’ (approximation).

2) Analogie de situation. Portée extra-prédicative : la comparaison (ressemblance) peut être étendue à deux situations.

Comme son père, Jean est maçon ; Jean est maçon (,) comme son père

Comme d’habitude, Lea est sortie à huit heures ; Léa est sortie à huit heures (,) comme d’habitude

Comme, adverbe de phrase, n’indique plus une manière sur un prédicat, mais marque que deux prédications ont en commun une certaine ‘manière d’être’ abstraite, une certaine conformité ou similarité, inscrite dans la nature des situations en question (éléments communs), mais non explicitée, - à charge au récepteur de la reconstruire. La subordonnée peut être liée ou détachée (périphérique, en position initiale ou finale).

Dans de nombreux cas, l’interprétation peut hésiter entre adverbe de manière et adverbe de phrase, la différence pouvant être facilement neutralisée ; exemple :

Il ment comme il respire = aussi naturellement, avec la même facilité. Identité de manière ou analogie ? Y a-t-il réellement deux interprétations à distinguer ?

À l’écrit, une virgule après le verbe est un indice de détachement (> analogie), mais l’absence de virgule peut laisser subsister l’ambiguïté.

Effets de sens :

- comparaison dite ‘de déviation’ :

Jean est un honnête homme (,) comme moi je suis la reine d’Angleterre ! (> Jean n’est pas un honnête homme)

- coordination : Il faut envisager le succès (,) comme l’échec.

3) Valeurs dérivées : portée extra-prédicative (très large, portant sur l’énonciation). L’interprétation de comme peut s’écarter encore davantage de la manière pour poser simplement l’existence d’un lien subjectif, quel qu’il soit (abstrait, discursif, argumentatif…), qui rend légitime d’associer deux propositions, bien que celles-ci ne présentent pas d’élément commun : le lien est présenté comme naturel, présumé admis par le récepteur. La plasticité subjective et le flou de la ‘qualité’ sont ici exploités pour relier deux situations. La subordonnée, adverbe de phrase, est nettement détachée, périphérique (en général à l’initiale). Plusieurs valeurs sont répertoriées, abondamment décrites et commentées dans les grammaires :

- valeur dite temporelle : concomitance (simultanéité) naturelle (non fortuite) :

(Juste) comme j’étais sur le point de sortir, le téléphone a sonné = C’est toujours comme ça, vous savez bien, le téléphone sonne toujours à un mauvais moment !

- valeur dite ‘causale’ : consécution naturelle :

Le téléphone a sonné, mais comme j’étais sur le point de sortir, je n’ai pas répondu = étant donné que, du fait que … : vous comprenez, je ne pouvais pas répondre dans ces conditions, vous auriez fait comme moi.

-valeur dite énonciative :

Comme je vous le disais, …Comme dit X…, Comme vous savez… Le locuteur se fonde sur une énonciation préalable, réelle ou supposée, ou sur une connaissance partagée ou présumée telle, pour présenter une énonciation ou information comme si c’était une réitération, une proposition validée par avance par l’interlocuteur, justifiée, allant de soi.

4) Emplois conjonctifs masqués : emplois qualifiants

Comme est encore présent dans de nombreuses configurations nominales sans verbe, d’usage courant, qui visent à qualifier une entité (et non à en comparer deux), et dans lesquelles son rôle conjonctif n’apparaît pas immédiatement. Toutes reposent sur la relation de base ‘A est comme B’, dans laquelle comme est dans son emploi princeps d’Adverbe conjonctif indiquant une manière d’être. Mais la structure résultante est tributaire, d’une part, de la complexité inhérente à la relation équative ‘A est B’ (avec l’assignation délicate des rôles référentiel et attributif), augmentée par comme, et, d’autre part, d’un puissant mécanisme d’ellipse, qui efface les éléments itérés, les places vides et les copules, pour ne plus laisser en surface que les quelques élément lexicaux non récupérables. Il en résulte des structures nominales réduites, pauvres en indices d’analyse (quelquefois présents au niveau des déterminants). On distinguera schématiquement trois types de configurations (cf. GSubF : 155-158) :

a) un bruit comme un grondement sourd = ‘une sorte de grondement sourd’.

Il s’agit d’une comparaison à valeur d’approximation (cf. supra), qui peut se réaliser comme un GN complexe sans verbe : on cherche à identifier A (trouver sa caractérisation adéquate), et B est une approximation :

un bruit comme un grondement sourd = ‘un bruit qui est une sorte de grondement sourd’ : A est une sorte de B.

A peut être indéterminé (quelque chose) ou même rester implicite, d’où un ‘GN sans tête’ :

Il y a comme un défaut = ‘il y a [(quelque chose) comme un défaut]’ ‘il y a une espèce de défaut’

J’ai comme un doute, J’ai comme l’impression que…  (En surface, comme se rapproche du fonctionnement d’un adverbe ordinaire)

Comme un éclair déchira le ciel (GN sans tête en fonction sujet).

b) Paul, comme expert, … = ‘Paul, en tant qu’expert, en qualité d’expert’

On qualifie A. B est attributif, marquant une propriété occasionnelle ou permanente (un rôle) : ‘Jean [est] comme [qqn qui est] expert’. Comme se rapproche ici du fonctionnement d’une préposition.

Paul, comme expert,… ; mobile : Comme expert (= en qualité d’expert) Paul a participé à…

Vous avez quoi comme (= en guise de) dessert ? - Comme dessert, nous avons des glaces

Je considère Paul comme un honnête homme = Je considère Paul comme (= quelqu’un qui est, ayant la qualité de) un honnête homme

Comptez sur moi, cher Berger, comme sur votre meilleur ami : Exemple de Voltaire (relevé par Damourette et Pichon, § 3125), à la fois comparant (‘Comptez sur moi comme vous comptez sur votre meilleur ami’) et qualifiant (‘Comptez sur moi en tant que je suis, comme étant, votre meilleur ami’).

c) Un homme comme vous… : ‘Vous, étant l’homme que vous êtes’ 

On qualifie B. A est réutilisé en emploi attributif, marquant une propriété essentielle, permanente, rapportée à B (référentiel). Comme est équivalent à tel que.

Un lecteur avisé comme vous ne s’y trompera pas = Vous, étant le lecteur avisé que vous êtes,…
un expert comme Paul : ‘un expert comme Paul est expert’ = ‘Paul, expert comme il l’est’ (cf. l’expert qu’est Paul …) ; Différent de Paul, comme expert … vu sous b)
un grand garçon comme toi = tel que toi, le grand garçon que tu es …
Un homme comme le Général … : ambigu : comparant (‘un homme comparable au Général, mais autre que lui’) ou qualifiant (‘un homme tel que le Général’ = le Général lui-même, étant l’homme qu’il est’).

Effet de sens d’exemplification : les langues romanes (comme le français et l’italien) …

Bilan des emplois de comme. Tous les emplois ramènent au fonctionnement princeps d’un adverbe indéfini de manière d’être ou de faire (qualité subjective), marqueur de variable, en emploi conjonctif (reliant deux propositions), avec une double incidence sur deux prédicats, glissant naturellement à l’expression d’une comparaison qualitative. Mais cette unité contraste fortement avec la diversité de ses points d’application.

D’une part, l’élargissement de la portée de comme (sur la phrase dans son ensemble, sur l’énonciation) induit des valeurs qui le rapprochent d’un connecteur interpropositionnel, sans toutefois que disparaisse jamais une certaine similitude subjective entre éléments, fondement de leur mise en relation par comme.

D’autre part, à la racine même du fonctionnement de comme, la structure ‘A est comme B’ recouvre un foisonnement interne de configurations (encore largement à explorer) et produit une pléiade de structures réduites dans lesquelles comme apparaît portant en surface sur des constituants variés, et est substituable selon le cas par : presque, quasiment, une sorte de, en tant que, en guise de, tel que, et… La difficulté est de rendre compte à la fois de l’unité (profonde) et de la diversité (de surface), ce que ne permet pas l’analyse grammaticale. Il n’est satisfaisant ni de se contenter d’ ‘adverbe conjonctif’ dans tous les cas, ni de dire que comme ‘est’ une préposition, ou une conjonction de coordination dans tel ou tel emploi . La moins mauvaise solution est sans doute de dire, à défaut de mieux, que comme ‘fonctionne comme’ une préposition (ou autre) dans un emploi donné, ou encore que ‘ce n’est pas une préposition, mais c’est comme une préposition’ : comme rendrait alors le service de s’auto-qualifier réflexivement ! (Moignet parlait de ‘quasi-préposition’ (1981 : 198)).

4.4.4. Que (Adv)

Que, adverbe indéfini, variable de quantité – degré, non interrogatif, a des emplois exclamatifs limités (Que c’est dur !) mais des emplois conjonctifs très importants, en particulier comme marqueur de comparaison (emplois parallèles à ceux du latin quam ) :

« Plus grand que = ‘grand à un degré supérieur au degré auquel …’ » (Moignet 1981 : 203)

Le fonctionnement fondamental est le même que celui des autres adverbes. La quantité (ou le degré) s’applique par définition à quelque chose de mesurable, de gradable (c’est-à-dire susceptible de plus ou de moins), et la mesure d’une propriété (d’un paramètre) quelconque engendre naturellement la comparaison des entités possédant la propriété mesurée. Par suite la mesure s’utilise comme moyen de cette comparaison.

Mais (différence avec comme) la comparaison en que est une évaluation différentielle qui ne se limite pas au constat d’une égalité : la mesure du paramètre peut être égale des deux côtés A et B, ou inégale (A supérieur à B, ou inversement), ce qui se traduit linguistiquement par une structure corrélative (autant que, plus que, …) dans laquelle des quantifieurs viennent valider (autant) ou invalider (plus, moins) la relation d’identité que porte que. La raison d’être de ce système comparatif différentiel est sans doute très simple, et de nature pragmatique : un système de mesure quantitative qui ne pourrait consigner que l’égalité entre deux grandeurs serait de peu d’intérêt, et laisserait trop à désirer.

Cette corrélation comparative est d’un type différent du diptyque corrélatif aux origines de la subordination conjonctive. La corrélation à l’œuvre dans le diptyque corrélatif consistait en l’association d’une variable en qu- et d’un résomptif (présent ou sous-entendu) qui entérinait sa double portée à l’identique : type quand … alors, qui … celui-là. La corrélation comparative associe une variable en qu- (l’adverbe de degré que), qui constitue un repère, et un marqueur différentiel qui n’est pas un anaphorique mais marque soit une égalité (aussi, autant, tant) soit une inégalité (plus, moins) par rapport au repère.

Les études sur que sont très nombreuses. Entre autres : Rivara1990, Hadermann & al. 2010, Muller 2013, Fuchs 2014. On examinera les emplois de que en parallèle avec ceux de comme :

1) la quantité mène à la comparaison,
2) avec une exploitation particulière : la conséquence,
3) et quelques emplois détachés ;
4) elle produit de plus des valeurs dérivées, avec ou sans corrélation,
5) ainsi qu’un emploi conjonctif masqué : le que dit ‘exceptif’.

1) De la quantité à la comparaison (quantitative)

Quantité. En dehors de quelques expressions figées (coûte que coûte : ‘que cela coûte ce que cela coûte’= ‘quoi que cela coûte’, ou vaille que vaille), que n’a pas d’emplois non corrélatifs comme marqueur de quantité :

Il y a des fraises, prends-en *que tu veux (> tant que tu veux).

Il s’utilise en corrélation avec une série d’adverbes quantifieurs (ou ‘déclencheurs’), bien décrits dans les grammaires : plus, moins, aussi, autant, tant, si (avec négation), davantage, toujours antéposés, qui peuvent être utilisés seuls, sans que (mais non l’inverse), parfois amalgamés avec le paramètre (meilleur). L’égalité est orientée vers la grande quantité (autant que = ‘autant ou plus’, différent de pas plus que).

Il existe bon nombre d’expressions quantitatives avec que, plus ou moins figées, souvent avec ça, ou avec des verbes modaux (vouloir, pouvoir, falloir), qui quantifient un seul procès (il n’y a pas de comparaison), et peuvent être des réponses à une question en combien. Il ne serait pas déplacé de parler à leur propos de ‘subordonnées de quantité’ :

Prends-en tant que tu veux ; Tu peux crier tant que tu veux ; Il a résisté tant qu’il a pu
Il n’y en a pas tant que ça ; Il ne fait pas plus chaud que ça
autant que possible ;  plus qu’il ne faut

Comparaison (quantitative). On passe de la simple expression d’une quantité à la comparaison (nécessairement corrélative : *Pierre est grand que Paul), quand il y a mise en relation de deux entités de même statut possédant la propriété mesurée :

Pierre est plus grand que Paul.

La mesure différentielle des deux grandeurs conduit à comparer Pierre et Paul du point de vue de leur taille respective. Que introduit un repère indéfini x (dans la subordonnée), par rapport auquel les adverbes corrélatifs ajoutent une évaluation différentielle. Le paramètre peut être n’importe quel constituant gradable (toute catégorie, toute fonction) : un N (comptable ou massif), un Adjectif, un Verbe (mais difficilement être seul, à la différence de comme), ou une partie quelconque d’un prédicat (y compris d’un prédicat second ou interne à un groupe) : la variété des structures est très grande. Quantité et comparaison ne s’excluent pas (même cas qu’avec comme) : il y a toujours une mesure quantitative dans une comparaison en que.

Égalité quantitative (autant que) vs égalité qualitative (comme) :

Marie travaille autant que Jean / Marie travaille comme Jean

La comparaison en que est strictement quantitative : elle désigne une quantité de travail mesurable, évaluée différentiellement (celle de Marie étant au moins égale à celle de Jean), sans impliquer de considérations qualitatives (genre de travail, …).

La comparaison en comme pourrait être une analogie de situation (adverbe de phrase). Interprétée comme comparaison de manière (même manière de travailler), elle est en elle-même indéterminée quant à cette identité de manière, qui renvoie nécessairement au contexte ou à la situation. Dans le cas où Marie et Paul travaillent avec la même ardeur infatigable, l’interprétation peut se rapprocher d’une évaluation quantitative.

La subordonnée en que est une subordonnée adverbiale, équivalente à un adverbe de degré ou de quantité, suppressible mais non déplaçable, non clivable. Elle est généralement elliptique, dans les mêmes conditions que les subordonnées en comme, et peut comporter un nombre de constituants variable. Le mode est l’indicatif (infinitif impossible).

Mais les subordonnées comparatives en que posent des problèmes d’analyse syntaxique (interne et externe) épineux et mal résolus. La structure interne est difficile à établir en raison des phénomènes d’ellipse, dont une syntaxe de surface ne peut rendre compte adéquatement : que est modifieur d’un prédicat généralement ellipsé, et la fonction des autres constituants est difficile à déterminer. Un courant de la tradition parlait simplement de ‘complément du comparatif’, étiquette purement ‘de surface’ : cette option n’est pas à négliger.

En ce qui concerne la fonction de la subordonnée, celle-ci a plusieurs points de rattachement, qu’il est difficile de hiérarchiser : dans Pierre est plus grand que Paul la subordonnée se rattache à la fois au déclencheur (plusque = GAdverbial modifiant grand), au paramètre (plus grand que…=  GAdjectival attribut), au prédicat (est plus grand / que … : la subordonnée  est modifieur du prédicat). Comment articuler au plan syntaxique la comparative dans une phrase telle que Jean a une voiture plus rapide que son frère (= ‘que n’est rapide la voiture que son frère a’ !). L’examen pousse à assigner aux comparatives un statut de modifieur adverbial toujours rattaché à un prédicat, souvent plus élevé qu’il ne semble en première lecture, - ce qui par ailleurs les rapproche des autres circonstancielles (cf. GSubF : 165-166).

Quelques emplois remarquables et effets de sens :

- haut degré, parangon : plus blanc que neige

- emploi métalinguistique : Il gueule plus qu’il ne parle (plus = plutôt)

- valuation : valoir mieux, aimer mieux : J’aime mieux la ville que la campagne, d’où par extension préférer que (non admis par la norme)

- comparaison de proportion : d’autant plus (moins) que :

Paul a d’autant plus de mérite qu’il a travaillé dans des conditions difficiles = Il a un mérite supplémentaire à proportion du fait qu’il a travaillé dans des conditions difficiles.

La comparaison en que s’étend à l’expression de l’identité et de l’altérité : autre, même, tel que (et par extension pareil que, différent que, réprouvés par la norme), bien qu’il ne s’agisse plus de comparaison quantitative avec mesure d’un paramètre. Mais l’alternative entre autre et même (contradictoires) relève d’un choix binaire (0/1), qui est sans doute plus en accord avec l’univers calculatoire et discret de que (qui a évincé comme dans cet emploi) qu’avec le caractère impressionniste et continuiste de la comparaison en comme. Un autre que vous (= quelqu’un d’autre) n’a pas le même sens que Un autre comme vous (= quelqu’un d’autre, mais qui vous ressemble). Les constructions du type un homme tel que vous peuvent donner lieu aux mêmes ambiguïtés que un homme comme vous (vu supra, 4.4.3. fin), mais l’interprétation qualifiante (un seul référent) est dominante.

2) Une exploitation particulière, l’expression de la conséquence : le français a innové par rapport au latin, en utilisant des quantifieurs corrélatifs marquant l’égalité : tant…que, telle­ment…que, tel…que, (et si…que), pour exprimer la conséquence, qui est une sorte d’égalité métalinguistique entre deux situations différentes, dont l’une est le résultat de l’autre :

Paul est tellement bête qu’il n’a rien compris

= le degré de bêtise de Paul est égal à ‘il n’a rien compris’, d’où un effet de ‘haut degré’ : ‘il est bête à tel point que …'

La subordonnée consécutive, assertive (à l’indicatif) est intra-prédicative, complète (sans ellipse), non déplaçable, mais non clivable. Dans un registre recherché, une subordonnée consécutive peut être au subjonctif, après si ou tant avec une négation. La subordonnée marque alors une conséquence possible, envisagée (non réalisée) :

Paul n’est pas si bête qu’il ne puisse comprendre ça !

Emploi extra-prédicatif, courant à l’écrit derrière un point (avec autonomie énonciative) :

Il a toujours refusé la vérité. Si bien (de sorte) qu’à la fin…

3) Comparative détachée. Une subordonnée comparative en que, toujours liée à un corrélateur déclencheur, et concernant un paramètre précis, est peu mobile, peu sujette à des variations de place et de portée. Elle peut néanmoins être adverbe de phrase dans des emplois où elle est détachée, comme :

Plus (encore) que son frère (le paramètre est en attente), Max est accro à la cigarette,

ou dans des comparaisons de proportion qui, en fin d’énoncé, prennent une valeur de justification :

Il faut que je rentre tôt, d’autant plus (ou simplement d’autant) qu’on m’attend.

4) Valeurs dérivées. Que¸ associé à des marques de corrélation diverses (pas plutôt… que, à peine… que, que… à peine) ou non, peut aussi introduire des subordonnées (non elliptiques, post verbales) qui ne mettent pas directement en jeu une quantité, et qui ne sont pas comparatives au sens strict. Que souligne alors la coexistence, la mise en parallèle (forme d’égalité abstraite ?) de deux situations discordantes ou antithétiques que rien ne permettait a priori de rapprocher  :

- rapprochement temporel (proche de la simultanéité) entre situations plus ou moins antagonistes, le fait principal étant du côté de que :

Il n’était pas plutôt arrivé qu’il était assailli de questions
J’avais à peine commencé à parler qu’il s’est mis à hurler
La vie s’achève, que l’on a à peine ébauché son ouvrage
(La Bruyère) ;

- contraste :

On me donnerait ce truc-là pour rien que je n’en voudrais pas !

Dans ce type d’exemples, que est ‘explétif’, c’est-à-dire facultatif, suppressible, sans dommage ni pour la syntaxe ni pour l’interprétation : c’est le signe que sa contribution à la construction et au sens de l’énoncé est ténue. Son absence, par le choc paratactique qu’elle entraîne entre les propositions, n’est pas moins créatrice d’effet de sens que sa présence.

Dans un emploi comme Viens (,) que je t’embrasse !, la valeur consécutive de que se combine avec un subjonctif de visée, d’où l’effet de sens : ‘de sorte que, de manière à ce que, afin que…’.

Que s’emploie également en coordination, en reprise de quand ou comme (ou si) (outre la reprise des locutions conjonctives en que, ce qui va de soi) :

Quand il est entré et qu’il s’est rendu compte de la situation, …
Comme il faisait beau et que j’avais le temps, …

Ce relais par que (déjà évoqué en 4.4.) réalise une sorte de liaison conjonctive pure entre propositions, le sémantisme du connecteur s’effaçant derrière sa fonction conjonctive.

5) Emploi conjonctif masqué : ne que exceptif : Que du bonheur !

À l’instar de comme, que a aussi un emploi conjonctif masqué très courant, dans des structures de surface fortement elliptiques : le que (ou ne que) dit ‘exceptif’, synonyme de seulement. C’est l’adverbe de quantité utilisé dans une configuration où il s’interprète, sans corrélation, comme ‘autant et pas plus, c’est-à-dire seulement  :

Il (ne) boit que de l’eau = ‘il boit autant-que de l’eau (et pas plus, pas autre chose)’ = tout ce qu’il boit, c’est de l’eau = il boit uniquement de l’eau

Que du bonheur ! = ‘(il y a) autant-que du bonheur (et pas plus, rien d’autre)’ = tout ce qu’il y a, c’est du bonheur = il y a uniquement du bonheur !

Bilan des emplois de que adverbe conjonctif.

L’examen des emplois de que conduit sensiblement aux mêmes conclusions que celui des emplois de comme. Il met en évidence la valeur fondamentale de que, adverbe indéfini de quantité – degré reliant deux propositions. L’évaluation différentielle (avec quantifieur corrélatif) mène à la comparaison, d’égalité ou d’inégalité. La comparaison d’égalité peut s’étendre jusqu’à s’appliquer à des situations dissymétriques (relation de conséquence) et même à des situations dont le rapprochement se constate sans s’expliquer, que marquant alors une égalité purement métalinguistique (sans fondement quantitatif). D’autre part, que, comparatif d’égalité par lui-même, prend dans des structures fortement elliptiques la valeur de ‘autant et pas plus’, qui conduit au que exceptif. Les problèmes terminologiques (comment concilier l’unité du morphème et la diversité de ses emplois et valeurs de surface ?) sont les mêmes qu’à propos de comme.

Remarque : Emploi de ce que derrière que comparatif.

Ce que, structure supplétive de que pronom, utilisée ici dans un rôle d’adverbe de quantité (rôle adverbial déjà examiné en 3.4.3.) se rencontre couramment derrière que comparatif, dans certaines configurations :

plus que ce qu’il fallait = plus qu’il (ne) fallait
Il est plus grand que ce que je pensais = plus grand que je (ne) pensais.

Les deux formulations sont deux variantes équivalentes, de même sens. Ce que ajoute un niveau supplémentaire de mesure (sans nécessité ni apport sémantique). La décomposition livre : ‘il est plus grand [que [ce que je pensais [qu’il est grand]] est grand]’. La complexité de l’analyse contraste avec le naturel de l’emploi.


4.5. La variation dans les subordonnants conjonctifs

La variation dans les subordonnants conjonctifs est représentée essentiellement par l’utilisation de formes périphrastiques supplétives, sur le modèle de ce qui se passe pour les mots interrogatifs. Elle affecte essentiellement les pronoms : on l’a vu supra avec celui qui/e, de façon massive avec ce qui/e (suppléant que / quoi), et avec ce que complétif. On a signalé supra (4.2.2.) l’emploi de formes périphrastiques complètes (comme dans Je ne suis pas d’accord avec qu’est-ce que tu as fait).

La variation affecte moins les adverbes. On rencontre néanmoins des formes ‘renforcées’ non canoniques comme :

où c’est que ou où c(e) que : Mets ça où c’est qu’il faut
quand (c’est) que : J’veux qu’on rie et j’veux qu’on chante, Quand c’est qu’on m’mettra dans l’trou
(Jacques Brel).



5. Mots qu- subordonnants anaphoriques (relatifs


Un mot qu- peut aussi lier deux propositions autour d’une variable lexicale N (et non pas une variable ontologique), ce qui revient, en surface, à attacher une proposition à un terme nominal : c’est la subordination relative (structure des plus familières). Exemple :

Le livre qui est sur la table est à moi : ‘x (livre) est sur la table, x (livre) est à moi, x = x
(le livre x qui est sur la table est le même livre x qui est à moi)

Le pronom qui (pronom relatif) représente une variable dans le domaine correspondant au N ‘livre’, qui est son ‘antécédent’, et qu’il représente anaphoriquement (il réinscrit le N livre dans la subordonnée qu’il introduit) ; il est doté de fonction (qui est sujet de est sur la table). La subordonnée introduite par qui (subordonnée relative) est équivalente à un GAdjectival, et rattachée à livre en tant qu’épithète. Elle est enchâssée dans un GN (le livre qui est sur la table), sujet de est à moi.

Plan d’étude :
5.1. Analyse du pronom relatif : variable, liaison de proposition et anaphore
5.2. Le paradigme relatif standard
5.3. Structure relative et suppléance
5.4. La variation dans les subordonnants relatifs.


5.1. Variable, liaison de propositions, et anaphore

Les mots qu- relatifs partagent les propriétés des autres subordonnants (conjonctifs) :

- ils introduisent une proposition subordonnée,
- ils représentent une variable dans un domaine donné (en l’occurrence domaine lexical N),
- ils exercent une fonction dans la subordonnée qu’ils introduisent,

mais il ont en plus une propriété particulière (qui découle de leur domaine de variable et de leur mise en fonctionnement) :

- ils sont anaphoriques d’un N, leur antécédent.

Ce cumul de propriétés est remarquable : un pronom relatif est à la fois marqueur de variable et anaphorique, ce qui frôle la contradiction (le rôle anaphorique s’associe facilement à un démonstratif mais difficilement à une variable). On examinera successivement ces différents aspects des relatifs.

a) Les relatifs, marqueurs de variables

Comme les conjonctives, une relative peut également être la réponse à une question en qu- (cf. 4.1.), avec toutefois une variation de l’introducteur selon sa fonction :

Quel livre veux-tu ? – (Je veux) le livre qui est sur la table / que tu m’avais promis / dont tu m’avais parlé / où il est question de cette espèce particulière de fourmis / …

La nature de variable des pronoms relatifs, en général peu mise en avant, est clairement reconnue p. ex. par Huddleston et Pullum (2002). Leur analyse de l’exemple ci-dessous (même si ce qu’ils appellent ‘relative constructions’ déborde ce que nous appelons des ‘relatives’) est sans équivoque :

[Le sens de] « This is the letter which drew our attention to the problem can be given roughly as "This is letter x ; x drew our attention to the problem". This kind of meaning, with two occurrences of a single variable, is an essential and distinctive feature of all relative constructions. » (2002 :1037)

La variable ressort clairement, avec sa valeur indéfinie, dans un énoncé à interprétation générique comme :

Chien qui aboie ne mord pas : x (chien) aboie, x (chien) ne mord pas, x = x

La construction est la même que celle de Qui aime bien châtie bien (vu supra § 4.1.), la seule différence étant le domaine de x : dans Qui aime bien…, la variable concerne les humains (entités ‘+H’) et dans Chien qui aboie… elle concerne les chiens (entités de classe N ‘chien’). On a dans les deux cas la même relation d’implication ‘x (P1) implique x (P2)’. Bien entendu la variable N (comme les variables autarciques) peut aussi avoir une interprétation spécifique, comme dans Le livre qui est sur la table est à moi. Le prédicat est situationnel et il n’y a qu’un seul N livre qui vérifie P ‘est sur la table’.

Dans les deux cas (chien qui aboie, livre qui est sur la table), le prédicat de la relative permet de restreindre la référence du N antécédent : la relative est dite ‘restrictive’ (ou déterminative). Si le N antécédent est doté d’une référence par lui-même (Paul, qui se trouvait là, … ; Moi qui suis de bonne composition …), ou si sa référence est déterminée indépendamment de la relative (Les chiens, qui sont des quadrupèdes…), la variable ne joue plus de rôle dans la fixation de la référence, et le relatif est de fait purement anaphorique. La relative est dite ‘non restrictive’ (ou appositive) (cf. infra).

b) Les relatifs, marqueurs anaphoriques : c’est cette propriété, définitoire, unanimement reconnue, qui distingue les relatifs des autres subordonnants (conjonctifs). Différents aspects sont à souligner.

• l’anaphore portée par le relatif est une anaphore lexicale, et non pas référentielle (du moins dans les relatives par excellence que sont les relatives restrictives). Dans le livre qui est sur la table, le relatif qui reprend anaphoriquement le N ‘livre et non pas le N déterminé ‘le livre’ : l’anaphore concerne un ‘livre x indéterminé, indéfini, quel qu’il soit’, répondant à la seule propriété ‘être un livre’. La détermination du GN le livre (par l’article défini) marque la prise en compte, par anticipation, du prédicat situationnel de la subordonnée : on passe de ‘un livre quel qu’il soit’ à ‘un livre (unique) ayant la propriété d’être sur la table ici maintenant’, par identification (ou fléchage, selon le mot de Culioli). Le N livre tire sa référence du fait d’être ‘le … qui est sur la table’.

• la relation anaphorique (lexicale) avec un N antécédent rend ipso facto non pertinent le marquage du trait ontologique sur le relatif : les N portent en eux-mêmes les traits qui les rattachent à une catégorie ontologique, et l’anaphore de N transmet mécaniquement (automatiquement) cette catégorie. Par suite il est superflu que le mot anaphorique (le relatif) soit lui-même marqué ontologiquement, et, s’il l’est, c’est pure redondance : ainsi le relatif sujet qui ou le relatif objet que peuvent représenter n’importe quel N antécédent non restreint, indifféremment ‘+H’ ou ‘–H’, ou susceptible d’être rangé dans n’importe quelle autre catégorie ontologique (et il en va de même de dont ou de lequel) :

N ‘+H’ l’homme qui parle que je vois
N ‘-H’ le livre qui est sur la table que je lis
N de Lieu l’endroit qui s'étend sous nos yeux   que vous apercevez là-bas
N de Temps l’heure qui vient de s'écouler que nous avons passée ensemble
N de Manière les façons  qui sont les vôtres que vous nous avez enseignées
N de Quantité  la dose qui lui a été fatale que je lui ai administrée

Il n’y a donc pas lieu de rechercher dans le relatif les propriétés de marquage ontologique qu’on trouve dans les interrogatifs et les conjonctifs autarciques : elles n’ont plus de raison d’être, et leur absence n’a rien de surprenant ni d’anormal. C’est au contraire la présence d’un marquage ontologique (redondant) sur le relatif, dans l’opposition Prép + qui, avec antécédent ‘+H’, vs Prép + quoi, avec antécédent ‘-H’, qui constitue une anomalie appelant explication ou commentaire (on y reviendra infra).

• la relation anaphorique ne nécessite pas d’accord morphologique entre le marqueur d’anaphore et l’antécédent : l’anaphore est la même dans les femmes qui… (avec le relatif qui, invariable), et dans les femmes, lesquelles… (avec le relatif lequel, qui s’accorde en genre et en nombre). Dans les deux cas les marques de l’antécédent sont transmises de la même façon dans la subordonnée : les femmes qui/lesquelles sont grandes...

• En fin de compte, la valeur anaphorique du relatif n’est que la conséquence de la liaison qu’il réalise entre deux propositions autour d’un nom : les mots qu- relatifs ne sont pas en eux-mêmes des marqueurs anaphoriques (comme l’est par exemple il), mais c’est leur mise en fonctionnement qui les rend tels : ils renvoient à un N comme le ferait un déterminant. C’est pour la même raison qu’un pronom relatif fait de la subordonnée un constituant adjectival, bien qu’étant pleinement pronominal dans la subordonnée (discordance qui ne se retrouve pas dans les mots qu- conjonctifs autarciques). Voir infra 5.2.1. : Historique.

c) Les relatifs marqueurs de fonction. Le relatif exerce une fonction dans la subordonnée, comme les conjonctifs autarciques, mais avec cette particularité qu’il varie selon sa fonction : qui sujet s’oppose à que objet, etc. Les différents relatifs qui, que, quoi, dont, où, lequel sont des allomorphes (selon leur fonction), et on peut donc dire qu’il n’existe qu’un pronom relatif (au singulier), qui se présente sous diverses formes.

Conclusion : les relatifs sont des mots qu- (marqueurs de variables), mais ils ont certaines propriétés qui les distinguent des mots qu- interrogatifs ou conjonctifs, et ils constituent un paradigme différent.

Nous nous éloignons ici des positions de la grammaire générative : Chomsky a toujours présenté les ‘mots wh’ en traitant d’une manière indifférenciée les interrogatifs et les relatifs, et, par suite, en postulant une même source pour les relatives et les interrogatives. Il cherche des « rules for construction of relative clauses and interrogatives. These are related operations » (1964 : 37) : ainsi la suite ‘John admires Wh+someone’ est à la source ou bien de ‘(He met) someone who John admires’ ou bien de ‘Who does John admire ?’ (ibid.), mais les bases et les conditions du rapprochement sont peu explicites (1964 : 38). La même idée est reprise dans le Minimalist Programm : « Relative clauses are formed in much the same manner as interrogatives » (1995 : 70).

Une telle affirmation ne peut pas être maintenue telle quelle. L’origine commune des marqueurs interrogatifs et relatifs ne permet pas pour autant de les identifier et d’établir entre eux un rapport direct (quid de la série intermédiaire des conjonctifs ?) : ils constituent des paradigmes distincts, historiquement déterminés. De fait, l’indistinction alléguée entre marqueurs interrogatifs et relatifs, bien loin d’être universelle, est inspirée par la morphologie de l’anglais (bien qu’elle soit fortement contestable dans cette même langue ; cf. entre autres Gisborne & Truswell 2017) ; elle est en tout cas clairement exclue pour le français. Par ailleurs, les interrogatives et les relatives sont trop dissymétriques en termes de modalité énonciative et de place dans la construction des énoncés pour qu’on puisse les ramener à une seule et même catégorie, quel que soit le formalisme envisagé.

Une conséquence de cette conception exagérément unitaire des mots wh- (ou mots qu-) est qu’elle conduit (comme c’est le cas dans la GGF), à ne reconnaître comme authentiques ‘relatifs’ que les mots qu- gardant dans leur usage relatif les mêmes propriétés que dans leur usage interrogatif. Les seuls à satisfaire à cette condition en français sont qui et quoi quand (et seulement quand) ils sont employés derrière préposition, en tant que marqués respectivement ‘+H’ ou ‘-H’, (bien qu’il ne se limite pas au domaine spatial), et d’autre part lequel (qui s’accorde avec son antécédent). Sont donc exclus du paradigme qui sujet et que objet, ainsi que dont, c’est-à-dire les relatifs emblématiques, de très loin les plus utilisés, qui ne sont plus considérés comme des relatifs ni même comme des mots qu- : que est assimilé au que ‘complémenteur’, et qui est considéré comme une variante du complémenteur quand la subordonnée n’a pas d’autre sujet. Nous ne suivrons pas cette voie (voir GGF : Chap. XIII ; commentaire dans Le Goffic 2024, Information Grammaticale 182 : 25-38).

Aperçu sur les subordonnées relatives (syntaxe et sémantique)

Le relatif est toujours en position initiale, jamais in situ. Il ne peut jamais être utilisé seul. Il peut être inclus (sauf dont) dans un groupe introducteur complexe, quand il reprend le complément de nom d’un N lui-même complément prépositionnel dans la relative (des amis avec l’aide de qui…) ou le complément d’un Infinitif prépositionnel (Paul, pour plaire à qui …). Pour la dépendance lointaine, voir infra 8.

Antécédent : Étant donné sa nature de variable dans le domaine N, le relatif ne peut avoir pour véritable antécédent qu’un nom, ou un substitut pronominal, ou un équivalent (comme, sous certaines conditions, une proposition). Par extension, les antécédents adverbiaux (aujourd’hui où…) sont d’anciens corrélateurs devenus antécédents (cf. là où, 5.3.3.) et relèvent d’une sorte d’emploi nominal des adverbes, comme on le trouve dans les emplois nominaux de quand P (4.4.2.). Dans les cas allégués d’antécédent adjectival sans article tels que malheureux que je suis, on peut suspecter que l’adjectif est substantivé d’une certaine façon, ou que le mot que est en fait l’adverbe que en emploi conjonctif : = malheureux comme je suis [malheureux], ou malheureux au degré où je suis [malheureux].

Structure. Une relative a la structure d’une phrase déclarative ordinaire. Quelques cas existent d’ellipse du verbe : Un groupe de touristes, dont (ou parmi lesquels) quatre ressortissant français… (dénombrement)

Place du sujet : le sujet nominal est fréquemment postposé au verbe (inversion stylistique, le relatif occupant la position de premier constituant, à gauche du verbe) :

l’histoire que me racontait mon père / l’histoire que mon père me racontait.

Mode. Indicatif (pouvant poser des problèmes délicats de valeur assertive ou non assertive). Le subjonctif peut s’employer dans certains cas (le seul homme qui soit capable …). Les relatives à l’infinitif sont rares et soumises à des conditions particulières : relatif prépositionnel (ou , marquant le lieu uniquement), antécédent indéfini, et avec certains verbes seulement (qui se rapprochent de la ‘perspective percontative’) ; qui sujet, que objet et dont sont exclus (Kahane 2002, GGF : 1511 sq.) :

Je n’ai personne à qui confier mes clés
J’aimerais avoir un ami avec qui partager mes impressions
Je cherche un endroit où passer mes vacances.

Place de la relative. La relative suit normalement son antécédent (sauf recherche particulière : Il y avait là, qui attendait dans l’ombre, le sinistre Général …) : pas de permutation possible, pas de variation de portée. Pour la place de la relative dans le GN, par rapport aux autres expansions du N tête, voir p.ex. GSubF : 208.

Fonction. Une relative est équivalente à un GAdj et remplit une fonction adjectivale au sein d’un GN : prototypiquement épithète du N antécédent, pouvant commuter ou se coordonner avec un adjectif (sur l’origine adjectivale du relatif, voir Historique infra). Une relative ne peut pas s’employer comme un attribut ordinaire (*N est qui …). Il existe néanmoins différentes constructions dans lesquelles la relative (introduite uniquement par qui) ne forme pas un constituant avec son antécédent mais est complément du verbe : relatives dites ‘prédicatives’ : J’entends les oiseaux qui chantent, On l’a trouvé qui dormait (relative attribut de l’objet), ou ‘continuatives’ : Un Cosaque survint, qui prit l’enfant en croupe. Pour les clivées, voir 6.

Sémantique. On a déjà mentionné ci-dessus l’opposition entre relative restrictive, ou déterminative (Chien qui aboie ne mord pas, Le chien qui m’a mordu est une sale bête) et relative non restrictive, ou appositive, ou descriptive (Les chiens, qui sont des quadrupèdes, … ; Paul, qui passait par là, …). C’est la célèbre opposition des deux types de relatives, source inépuisable de réflexions (et de perplexités) depuis la Grammaire de Port-Royal, aussi nette et incontestable dans son principe que difficile à mettre en œuvre sur une bonne partie des occurrences dans n’importe quel texte. Les relatives non restrictives (présentes en latin dès les plus anciens textes) attestent d’une utilisation élargie de la variable en qu-, qui ne contribue plus à opérer de sélection, et dont le rôle d’anaphore du N antécédent (assimilable à une constante) devient prédominant. La valeur anaphorique du relatif culmine dans le ‘relatif de liaison’ du latin, où il est proche d’un démonstratif anaphorique. Le français n’a pas été aussi loin.


5.2. Paradigme relatif standard

Le Tableau 8 ci-dessous présente le paradigme standard (conforme à la norme) des pronoms relatifs :

 

Fonction du relatif Mot qu- relatif
Sujet (nominatif) qui (lequel) 
Régime direct (accusatif) que
Régime indirect
  Prép de (génitif)
  toutes Prép (génitif, datif, ablatif)

dont
Prép + qui (+H) / lequel (+H) / quoi (-H)
Compl. de Lieu, Temps (locatif) où(que)

Tableau 8 : Les mots qu- subordonnants anaphoriques (paradigme relatif standard)

Les mots qu- figurant dans ce Tableau figurent tous (sauf dont) dans le paradigme interrogatif – exclamatif (Tableau 1) mais aucun ne se retrouve avec les mêmes propriétés dans ce nouveau paradigme : c’est un deuxième paradigme qu-, profondément différent (même matériel autrement utilisé).

Ce paradigme frappe d’emblée par sa complexité et son hétérogénéité. En effet, il puise à plusieurs sources : 1) les pronoms hérités du latin (qui, que, quoi), 2) des adverbes également d’origine latine (où, *ont dans dont), 3) un pronom de création romane (lequel). Par ailleurs il s’organise selon plusieurs logiques concurrentes : il est largement dominé par un principe d’organisation fonctionnel (ou casuel), exclusif de toute prise en compte de la dimension ontologique, mais la dimension ontologique se retrouve marginalement derrière Prép (avec l’opposition qui/quoi, en concurrence avec lequel, à antécédent non restreint), et affleure avec où ; enfin le pronom lequel est le seul à suivre un principe de congruence morphologique entre le relatif et l’antécédent (accord en genre et en nombre). Derrière Prép, la situation apparaît peu claire, à la fois redondante et concurrentielle, - source de difficultés prévisibles.

5.2.1. Formation du paradigme

D’où provient ce paradigme hétéroclite, manifestement étrange et peu satisfaisant ? L’histoire éclaire les conditions de sa formation : les relatives se sont constituées en latin, avec une belle régularité, mais le paradigme des relatifs s’est profondément modifié dans le processus de transmission au français.

Historique.

Les grandes lignes du processus peuvent être présentées comme suit (cf. Le Goffic 2023) :

a) Le relatif latin : un déterminant employé comme pronom anaphorique

Au départ se trouve le diptyque corrélatif de base, avec un mot qu- déterminant :

Quem librum scripsisti,  is optimus est       littéralement :
‘quel livre tu-as-écrit,   celui-là (ou : il) est excellent’

C’est le schéma conjonctif déjà vu supra (4.1.) : P1 topical avec variable en qu-, P2 avec reprise (anaphorique) de la variable (par is). Mais ici la variable qu- n’est pas un pronom ou un adverbe, mais un déterminant, marqueur de sélection, antéposé au N qu’il détermine, avec lequel il s’accorde en genre, nombre et cas (en l’occurrence quem : accusatif masculin singulier de qui, quae, quod, déterminant conjonctif, accordé avec librum ‘livre’, lui-même à l’accusatif en tant que Cod de scripsisti).

Le réaménagement formel joue à plein, comme dans le cas général des conjonctives, et donne lieu à plusieurs réalisations, telles que p.ex. :

Is liber optimus est,  quem scripsisti
‘ce livre est excellent  quel [sous-entendu : livre] tu as écrit,

ou encore (réalisation devenue prédominante au fil du temps en latin) :

Is liber quem scripsisti          optimus est
ce livre quel [ss-entendu : livre] tu as écrit  est excellent
= le livre que tu as écrit          est excellent.

On a toujours les mêmes marqueurs quem et is, mais quem (initialement déterminant conjonctif antéposé) est devenu à lui seul introducteur d’une proposition et représentant anaphorique du N liber, avec indication d’une fonction grammaticale : il est devenu (à nos yeux) un ‘pronom relatif’ introduisant une ‘proposition relative’. Symétriquement, is est passé de pronom résomptif (anaphorique) à déterminant (cataphorique). Le N liber qui figurait initialement dans la subordonnée (Cod de scripsisti) est désormais sujet du verbe principal (est). Dans le dernier exemple (Is liber quem scripsisti…), la structure d’ensemble est complètement réanalysable selon nos canons modernes : nous y voyons un véritable Groupe Nominal composé de ‘déterminant (is) + N (liber) + relative (quem scripsisti)’ : un GN enchâssant une relative, introduite par un pronom relatif, et sujet de est.

En résumé, l’émergence des relatives en latin (développement historiquement constaté), peut être représentée schématiquement par la transformation de structure suivante :

Quem librum scripsisti, is…  >   Is liber quem scripsisti…
Quel livre tu as écrit, celui-là…  >   Le livre que tu as écrit…

Ce simple schéma donne à voir immédiatement la différence entre le latin et le français : là où le latin garde la même morphologie, le français nécessite des changements, comme le font voir les gloses. En latin, les pronoms relatifs ne sont pas autre chose que des déterminants en qu- pronominalisés : une forme unique avec deux faces, adjectivale (ancien déterminant portant les marques du N antécédent, d’où le caractère adjectival de la relative), et pronominale (ayant une fonction dans la subordonnée qu’il introduit). (Un relatif construit sur un adjectif ou déterminant (comme en latin) se rencontre dans de nombreuses langues : roumain, russe, …. Cf. aussi l’originale adjectivale des relatifs anglais which ou all. welcher.) Le système morphologique du latin, très souple, permet parfaitement ce double emploi, facile et régulier, et les différentes structures distinguées ci-dessus comme des étapes successives sont également des variantes interchangeables en synchronie, équivalentes, disponibles ad libitum au gré du locuteur latin de l’époque classique : l’indifférenciation morphologique entre déterminant et pronom est totale en latin (comme en général dans les langues indo-européennes anciennes, cf. Meillet 1964 : 325, et à la différence du français, cf. GGHF : 620) ;  il n’existe pas en latin, à proprement parler, de ‘pronom relatif’ en tant que partie du discours distincte, sui generis. Rien ne garantit même qu’un ‘pronom relatif’ ait existé comme tel dans la conscience linguistique des locuteurs latins.

Remarque. Les grammairiens grecs anciens, pour leur part, faisaient un rapprochement entre le pronom relatif et l’article défini de leur langue (sur des bases que la philologie moderne récuse, mais ce point importe peu ici), et analysaient le relatif comme un ‘article postpositif’, une sorte de déterminant postposé (cf. Lallot 1989 : 189 sq.). On peut faire un rapprochement avec all. der, tantôt article défini, antéposé à N, tantôt pronom relatif, postposé à N : il existe plusieurs stratégies possibles dans les langues, pour créer un ‘pronom relatif’.

b) Du latin au français : une transmission difficile

Par la suite, la construction conjonctive initiale (Quem librum scripsisti, is…) est sortie de l’usage en latin tardif, mais le latin a néanmoins gardé la structure que nous interprétons comme relative (Is liber quem scripsisti…), avec le même matériel. Cette structure est ainsi devenue une structure syntaxique à part entière (coupée de la forme ancienne qui donnait la clé de sa formation, et n’étant plus paraphrasable), et s’est transmise au français (qui n’a jamais connu de déterminant conjonctif), à travers une histoire complexe (voir p.ex. Väänänen 1981, Kunstmann 1990, Zink 1994, GGHF 2021).

Le relatif du latin classique comportait 3 genres (masculin, féminin, neutre), 2 nombres (singulier, pluriel), et 5 cas, générant un paradigme de 30 formes distinctes, inventaire imposant (même s’il était de fait réduit de moitié par des homonymies, en particulier dans les cas obliques). De multiples facteurs (évolution phonétique, perte des distinctions de genre et de nombre, disparition des cas obliques, …) ont entraîné dès les premiers siècles de l’empire romain une réduction drastique du paradigme, qui s’est réduit à un très petit nombre de formes : qui, que, quoi (auxquelles s’ajoutait cui, ancien datif, disparu en moyen français, et qu’on laisse ici de côté pour simplifier l’exposé). Dès lors, un système aussi réduit ne permettait plus d’assurer à la fois (comme faisait le déterminant-pronom du latin classique) l’accord morphologique avec le N antécédent (genre et nombre) et les marques de fonction (cas) dans la subordonnée. Une longue période de tâtonnements s’en est suivie, avec de multiples variations selon les dialectes de l’ancien français : les relatifs ont perdu leur caractère originel de déterminant au profit de leur caractère pronominal, et la tendance à privilégier le marquage de la fonction du relatif a prédominé dans l’ensemble, mais non sans laisser des traces d’hésitation : c’est un véritable ‘bricolage’ qui s’est déroulé, - qui a permis de sauvegarder l’essentiel : le précieux fonctionnement du relatif, à la fois marqueur de variable et anaphorique.

Remarque. Au vu de l’histoire, on comprend la rareté des relatives telles que les nôtres dans les langues du monde : elles supposent la réunion et la convergence de toute une série de facteurs morpho-syntaxiques favorables, dont seule notre accoutumance aux relatives nous empêche de percevoir le caractère exceptionnel. Même parmi les langues qui ont des conjonctives avec des marqueurs identiques aux interrogatifs, nombreuses sont celles qui n’ont pas développé de conjonctives reposant sur un déterminant, c’est-à-dire de relatives (c’est p.ex. le cas du chinois).

Qui s’est imposé comme relatif sujet : le nominatif masculin qui s’est généralisé dans la fonction sujet, au détriment du féminin, et ultérieurement du neutre, au singulier comme au pluriel, pour tous les types de N, sans considération de l’ontologie (en cela, qui ne faisait que prolonger le relatif latin qui, lui-même extérieur aux considérations d’ontologie). Un sujet neutre que est attesté sporadiquement dans l’ancienne langue, avant sa disparition complète.

Que régime direct (objet, attribut) : que (aboutissement phonétique de toutes les formes d’accusatif du latin) s’est largement employé pour tous les types de N, de façon complète et définitive après élimination de cui. L’alternance qui sujet / que objet s’est fixée de bonne heure en afr. (on la trouve dans les Serments de Strasbourg) ; elle est typique du français au sein des langues romanes.

Pour les cas obliques, la situation est complexe, si ce n’est confuse (cf. Kunstmann, 1990).

- Pour les cas obliques non prépositionnels : les marqueurs (tels cui) ont disparu, à l’exception de que (héritier de diverses formes latines aux cas obliques), dans quelques emplois de locatif temporel, bien représentés dès les premiers textes en afr., et toujours vivants, du type : le jour qu’il est venu.

- Pour les cas obliques prépositionnels (= régime indirect) : que a connu quelques rares emplois derrière Prép, mais il a disparu en mfr., au profit de formes toniques, non élidables (plus appropriées à l’emploi derrière Préposition). Une concurrence s’était instaurée (dès le latin tardif) entre Prép + qui et Prép + quoi, sans répartition nette selon le caractère ‘+/- H’ de l’antécédent (cf. Kunstmann 1990 : 466, Zink 1994 : 104), et s’est prolongée jusqu’au 17e s. C’est à cette époque que s’est fixée la norme qui est la nôtre encore actuellement, sous l’influence semble-t-il des grammairiens et ‘remarqueurs’ : Vaugelas recommande d’utiliser qui derrière Prép avec un antécédent +H, et quoi avec un antécédent – H (cf. Kunstmann 1990 : 460).

Adverbes : Dès le latin tardif, des adverbes de lieu se sont introduits dans la déclinaison du relatif, pour marquer des cas spatiaux, et même remplacer le génitif et l’ablatif.

- (latin ubi) représente le cas locatif du relatif (= à qu- , dans qu-). C’est cette fonction qui le caractérise, et non le caractère propre spatial (ou temporel) du N antécédent : à preuve, son emploi avec des N qui ne sont pas intrinsèquement spatiaux ni temporels (dans l’état où il est…, un livre où il est question de…), même si, par congruence naturelle, la fonction locative va généralement de pair avec des constituants spatiaux ou temporels. De fait, a connu une grande extension en fr classique : Il peut haïr les hommes en général, où il y a si peu de vertu (La Bruyère, cit. Fournier 1998 : 197).

- dont = de-+ ont (du latin unde), marquant initialement le lieu origine, s’est rapidement imposé pour couvrir tous les emplois de la préposition de, et faire fonction de génitif.

Le pronom lequel, formé de l’article défini + quel, qui s’accorde en genre et en nombre avec son antécédent, est le dernier arrivé en afr. : c’est une création romane, apparue au 12e s. dans des traductions du latin, sous la plume de clercs bilingues latin - français (Kunstmann 1990 : 10, 470 sq.) qui cherchaient sans doute consciemment ou inconsciemment à recréer un relatif analogue à celui du latin, sur une base adjectivale. Lequel a connu une grande extension à la période de la Renaissance (période de relatinisation du français), avant de régresser fortement.

Le déterminant ou adjectif quel n’a jamais été utilisé (couramment, du moins) ni comme conjonctif (il ne nous reste que la formule corrélative tel quel), ni comme relatif. Damourette et Pichon relèvent néanmoins un exemple (isolé) de quel déterminant conjonctif (§ 1294) : Allez, allez, vous pourrez avoir avec eux quel mal il vous plaira, ils [= les médecins] vous trouveront des raisons pour vous dire d’où cela vient (Molière, L’Avare, I,5). En français moderne, le tour équivalent le plus simple de ‘avoir quel mal il vous plaira’ serait ‘avoir le mal qu’il vous plaira’, avec une relative banale (où se perd ce que quel pouvait comporter de valeur qualitative ou quantitative). Molière emploie la construction qui était celle du latin quas litteras scripsisti, et qui préfigurait la relative (cf. supra). S’agit-il d’une recréation latinisante tardive de sa part ?

Pour clore cet aperçu historique, le Tableau 9 ci-dessous donne une vue d’ensemble des différents pronoms en qu- du latin et du français : deux paradigmes distincts existent dans chaque langue, mais ils ne sont pas superposables : la coupure entre les deux n’est pas au même endroit en latin et en français.

 

  Interrogatif Subordonnant
autarcique (conjonctif)
Subordonnant
anaphorique (relatif)
Latin
classique
quis, quae, quid
pronom = dét. interr.
qui, quae, quod
pron = dét. conjonctif  =  pronom relatif    

Français
moderne
qui, que/quoi
pronom interrogatif = pronom conjonctif 

qui,que,quoi,dont,où,lequel
pronom relatif
quel
dét. interrogatif 

*

Tableau 9 : Pronoms en qu- : comparaison latin / français

On revient maintenant à l’examen des pronoms relatifs du français contemporain.

5.2.2. Qui (sujet)

Relatif emblématique : largement prédominant dans tous les usages et tous les types de relatives (seul possible dans certains types de relatives prédicatives). Continuateur direct de qui nominatif latin, il permet de greffer sur un N une proposition dans laquelle ce N est sujet (degré le plus élevé sur une ‘échelle d’accessibilité’ de la relativisation). Lequel ne lui fait qu’une très faible concurrence (uniquement dans une relative appositive, et de caractère recherché).

Qui relatif sujet se distingue de qui interrogatif ou conjonctif : il est anaphorique, non marqué ontologiquement, spécialisé selon la fonction, et phonétiquement réductible. Pour les emplois de qui relatif derrière Prép, avec des propriétés en partie différentes, voir 5.2.4.

Antécédent : Qui relatif sujet (variable de domaine N) peut représenter tout type de N, non restreint (indifféremment ‘+H’ ou ‘-H’) :

l’homme / le livre / l’endroit / le moment / la manière / la quantité  qui…

Il transmet les marques morphologiques de son antécédent (sans les manifester par lui-même) : personne, genre et nombre, dans la mesure où la syntaxe interne de la relative le comporte :

les lettres qui sont arrivées ce matin (féminin pluriel)
nous qui sommes grandes (personne, féminin, pluriel : ce sont des femmes qui parlent).

Les cas d’ambiguïté (quel est le N antécédent ?) ne sont pas exceptionnels : p.ex. le fils de la voisine qui revient. Problématique déjà relevée par les remarqueurs de l’époque classique et abondamment discutée (stratégies de bon emploi, d’interprétation, de désambiguïsation, …). L’antécédent peut être un pronom, de n’importe quel type : moi qui, ce qui, celui qui, quelqu’un qui, y compris un pronom interrogatif : Que dire qui ne soit l’histoire de tant d’autres ? (Nerval). Mais qui ne peut plus prendre comme antécédent une proposition, qui doit être reprise par ce qui (sauf dans l’expression archaïsante qui plus est).

Fonction : strictement limitée au sujet (à la différence de qui interrogatif ou conjonctif) :

la lettre qui est arrivée (qui relatif sujet) s’oppose à la lettre que j’ai lue (que relatif Cod).

Phonétiquement réductible devant voyelle : dans le livre qui est sur la table, le segment ‘qui est se prononce normalement en une seule syllabe /kje/. Il se réduit même couramment à /ke/, avec amuïssement total du i : la réalisation /ke/ (le livre /ke/ sur la table), en diction rapide, passe inaperçue dans une élocution naturelle.

5.2.3. Que (régime direct)

Fait couple avec le qui sujet : emploi très courant, sans concurrence. Que pronom relatif se distingue de que interrogatif ou conjonctif : il est anaphorique, non marqué ontologiquement, réductible phonétiquement mais non clitique, et ne comporte ni blocage ni commutation avec quoi. Pour les emplois adverbiaux (le jour que), voir 5.2.8. Pour les emplois non standards, voir 5.4.1.

Antécédent : De même que qui sujet, que relatif régime direct peut représenter tout type de N, non restreint (indifféremment +H ou -H) :

l’homme / le livre / l’endroit / le moment / la manière / la quantité que …

De même, il ne porte pas les marques morphologiques de l’antécédent mais peut les transmettre :

les personnes que j’ai rencontrées (accord du participe passé au féminin pluriel).

L’antécédent peut être un pronom, de n’importe quel type, mais pas une proposition (> ce que). La reprise d’adjectifs antécédents (malheureux que je suis) soulève des difficultés d’analyse évoquées en 5.1.

Fonction : uniquement régime direct

- Cod : l’homme que je vois, la décision que j’ai prise
- attribut : le spécialiste que vous êtes
- complément de V impersonnel : les milliers de manifestants qu’il y avait, les moyens qu’il faut.

Pour les emplois en dépendance lointaine voir 8.

Il n’existe en français contemporain aucune possibilité de relative dans laquelle que serait sujet d’un verbe. On avance parfois quelques survivances du type Faites ce que bon vous semble, mais l’interprétation la plus probable est qu’il s’agit d’anciennes constructions impersonnelles sans sujet il exprimé : Faites ce que bon [il] vous semble (de faire), Faites ce qu’il vous semble bon (de faire).

Phonétiquement réductible devant voyelle (réduction marquée par l’élision qu’), mais non clitique.

5.2.4. Qui / Quoi (derrière Prép.)

Derrière Prép., on trouve qui et quoi (formes toniques, non réductibles), avec une spécialisation sémantique : qui ne peut reprendre qu’un N antécédent ‘+H’, et quoi un antécédent ‘-H’ :

Paul, à qui je parlais … / La chose à quoi je tiens le plus ...

Cette opposition de nature ontologique (inattendue dans le système du relatif, et apparue tardivement en français, comme on l’a noté supra en 5.2.1.) ne joue que de façon très limitée : uniquement derrière Prép, et sans jamais représenter un choix inévitable : chacun des deux termes oppositifs est lui-même en concurrence avec un relatif non restreint (lequel), sinon deux (dont et lequel). De surcroît l’opposition +/-H telle qu’elle se joue dans les relatifs n’a pas la rigueur de celle qui existe dans les interrogatifs : qui représente parfois des N qui entrent mal dans la catégorie +H (choses non personnifiables), et quoi ne représente que très faiblement le pôle -H. Au total, l’opposition entre qui et quoi derrière Prép. est un phénomène secondaire, marginal dans le dispositif d’ensemble des relatifs, et qui ne s’inscrit en aucune façon dans une continuité historique à partir du latin.

Par suite, la distinction entre les ‘deux qui relatifs’ n’a pas la signification et la portée que certains lui attribuent (p.ex. la GGF : 1470) : rien ne permet de tracer une ligne de continuité directe entre qui interrogatif et qui relatif derrière Prép., et de les assimiler, pour les opposer conjointement à qui relatif sujet, qui serait d’une autre nature (cf. notre article 2024 dans L’Information Grammaticale).

Prép + qui (avec antécédent +H) :  N(+H) à qui, avec qui, pour qui, de qui, …

Paul et Marie, ce sont des amis à qui on peut faire confiance.

Qui derrière Prép. a des propriétés hybrides : comme qui relatif sujet, il représente une variable de domaine N, il est anaphorique, spécialisé dans une fonction : régime indirect, derrière Prép. (mais il est non réductible : toujours accentué derrière Prép.) ; comme qui interrogatif - conjonctif, il est marqué ontologiquement (antécédent N +H). Il est usuel, malgré la concurrence de lequel ; voir infra 5.2.6.

Prép + quoi (avec antécédent -H) : n’a que des emplois très limités, essentiellement derrière quelques antécédents ‘-H’ indéterminés (chose, quelque chose, rien) ou ce :

… la chose à quoi je tiens le plus
Il n’y a rien à quoi je tienne davantage
C’est ce à quoi nous travaillons
,

ou avec un antécédent P : P, après quoi, sans quoi …, souvent en emploi appositif, après ponctuation forte : Il a dit P. A quoi je répondrai que …(dans ce cas, on parle souvent de ‘relatif de liaison’).

Dans la très grande majorité des cas, le relatif reprenant un N antécédent -H derrière une Prép. est lequel (une maison à laquelle je suis très attaché).

5.2.5. Dont

Dont, doublet de d’où, est un GPrép adverbial à lui tout seul (= de qu-), devenu anaphorique et intégré au paradigme relatif ; à ce titre, il est considéré comme un pronom relatif à part entière. Il couvre tous les emplois de la préposition de. Sa nature originellement adverbiale entraîne un comportement syntaxique particulier qui le distingue des formes pronominales : dont est toujours seul introducteur (il n’entre jamais dans un groupe complexe).

Antécédent : N non restreint, pronom (de n’importe quel type), mais non pas une proposition (> ce dont).

Fonction : toutes les fonctions d’un Groupe Prépositionnel en ‘de + qu-’ :

- dont complément de V :

Cplt de Lieu : le pays dont je viens = d’où je viens (origine)
Coi : la personne dont je parle ; l’affaire dont je m’occupe
Circonstant : la façon dont on travaillait autrefois ;   dix blessés, dont trois enfants (= parmi lesquels, avec ellipse du verbe)

- dont complément d’Adj : un résultat dont je suis fier
- dont complément de N, sujet ou régime direct de la relative :

complément de N sujet : une maison dont le toit est en ardoises
complément de N Cod : une maladie dont on cherche la cause
complément de N attribut : un sénateur dont je suis l’ami
complément de N complément de V impersonnel : un coffre dont il manque la clé.

Dont ne peut pas être complément d’un N qui est lui-même régime indirect (prépositionnel) du verbe de la relative : *une maison dont je suis chargé de l’entretien (> de l’entretien de laquelle), sauf emploi non standard : *un personnage dont on se méfie des excès (> des excès duquel).

Dans tous les cas où il est possible, dont est prédominant dans l’usage (voir 5.2.6.).

Pour le tour Un candidat dont on pense qu’il va gagner, voir 8.

5.2.6. Lequel

Pronom relatif de formation romane (cf. supra 5.2.1.), dont la spécificité est de s’accorder avec l’antécédent en genre et en nombre (lequel, laquelle, lesquels, lesquelles), à la manière d’un adjectif ou d’un déterminant, et de comporter des formes amalgamées avec une préposition : auquel, duquel, etc.

Antécédent : N non restreint (indifféremment +/- H). Certains pronoms sont exclus : pronoms personnels (moi, toi), indéfinis (*quelqu’un auquel), ce. Emploi impossible pour reprendre une proposition.

Fonction. Les emplois (modernes) de lequel pronom relatif sont de plusieurs types, très différents : un emploi essentiel, composant important du paradigme relatif standard, et deux emplois de caractère marginal

- lequel relatif régime de Prép : c’est, de très loin, l’emploi essentiel : lequel vient compléter le dispositif casuel hors ontologie (qui sujet / que régime direct) en fournissant un relatif utilisable derrière préposition pour tous les types de N. Emploi courant :

les gens auxquels je me suis adressé
les raisons pour lesquelles j’ai agi.

Lequel a en outre deux autres emplois marginaux, uniquement en relative appositive :

- lequel sujet : emploi rare, archaïsant et recherché, uniquement sujet dans une relative appositive (ses emplois comme objet ont disparu) :

Un de mes amis, lequel disait toujours …

Il marque alors une reprise accentuée du N antécédent, et s’utilise dans des conditions plus ou moins comparables au ‘relatif de liaison’ latin (cf. Combettes 2007 : 123, Goux 2019 : 63-65). Cet emploi peut éventuellement permettre de lever une ambiguïté sur l’antécédent : la femme du voisin, laquelle ….

- lequel adjectif relatif : lequel N… Emploi rare, d’allure latinisante,

- soit avec reprise du N antécédent : J’ai revu Paul, lequel Paul … (relance discursive),
- soit avec recatégorisation d’un contenu propositionnel antécédent, en particulier dans la formule auquel cas...

Note succincte sur la concurrence entre relatifs derrière Préposition

- Si la Préposition est de : choix entre dont / duquel (de laquelle, …) / de qui / de quoi.
Principe général : très forte prépondérance de dont (sauf impossibilité d’emploi).

Avec N +H, de qui est également courant, duquel reste possible :

un personnage dont / de qui / duquel je me méfie

mais de qui est problématique si le relatif est complément de nom :

un dirigeant dont / duquel / (?)de qui l’intégrité a toujours été reconnue.

Avec N -H, duquel est possible, de quoi est d’emploi très restreint :

un succès dont / duquel / *de quoi je suis fier.

Cas où dont est exclu : quand le relatif est complément d’un N lui-même prépositionnel :

un individu sur le compte de qui / duquel des bruits ont couru

une maison sur le toit de laquelle il y a des panneaux solaires (seule possibilité)

l’entreprise au service de laquelle je travaille (seule possibilité).

- Si la Préposition est autre que de (dont est exclu) :

Avec N +H, Prép + qui et Prép + lequel sont possibles :

Marie, à qui / à laquelle je parlais ce matin
les gens à qui / auxquels je pense
une collègue avec qui / avec laquelle je travaille.

Avec N -H, Prép + lequel est usuel, Prép + quoi est d’emploi très restreint :

l’affaire à laquelle (/ ( ??)à quoi je pense
les circonstances dans lesquelles / *dans quoi ça s’est passé.

5.2.7.

Adverbe intégré au paradigme relatif, reprenant anaphoriquement un antécédent, et de ce fait considéré comme un pronom relatif. Exerce une fonction de locatif dans la relative.

Antécédent : N non restreint : essentiellement des noms de Lieu ou de Temps, ou ayant une composante spatiale dans leur dénotation, mais on a déjà signalé en 5.2.1. que peut prendre comme antécédent n’importe quel N auquel est dévolu un rôle de locatif (au sens propre ou figuré) dans la relative (même s’il ne répond pas à une question en ), p.ex. : état, situation, circonstance, hypothèse… Avec antécédent P : Il a refusé, - d’où je conclus que… L’antécédent peut être un adverbe :

là où (substituable à conjonctif dans la plupart des emplois, cf. 4.4.1., 5.3.3.)
partout où je suis allé, …,  Ici où nous nous trouvons, …
aujourd’hui où, maintenant où (concurrence de que).

Fonction dans la relative : locatif, complément de lieu ou de temps, au sens large. peut être précédé de certaines prépositions (mais non de à ni dans) : d’où, par où, jusqu’où.

- locatif spatial (avec ou sans déplacement) :

l’endroit où je vais, d’où je viens, par où je passe …,  la maison où je suis né
Spatialité plus ou moins métaphorique :
le livre où j’ai puisé mon inspiration ;  une combinaison d’où il ressort que …

- locatif temporel :

le jour où je suis né, …  le moment où tout se joue
la fois où il est venu
(familier)
Cf. locutions conjonctives : au moment où, à partir du moment où, l’année où.

Remarque : relatif temporel (le jour où) prend la place qui pourrait être celle de quand. Mais certains emplois de quand peuvent admettre une interprétation anaphorique : le premier jour quand il est venu (sans coupure après jour) peut être équivalent à le premier jour où il est venu. Cette remarque peut s’étendre à comment, dans un exemple comme la façon comment il a fait ça (à côté de la formulation canonique la façon dont il a fait ça).

5.2.8. Que (locatif)

Que se rencontre dans quelques emplois de locatif temporel du type : le jour qu’il est venu (en concurrence avec ), et dans des locutions conjonctives comme : maintenant que, chaque fois que, du moment que, tout le temps que. Il s’agit d’un type d’emploi ancien dans la langue, devenu plus ou moins marginal, et même éventuellement suspect aux yeux de la norme. On peut néanmoins y voir le point de départ de l’extension des emplois de que comme marqueur de régime indirect généralisé, dans un paradigme relatif simplifié, en dehors du paradigme standard (5.4.1.).


5.3. Structure relative et suppléance

On a déjà signalé (3.2.4.) qu’une question en quel N … ?, avec un N générique, est équivalente à une question comportant un mot qu- interrogatif : À quel endroit est-ce ? équivaut à Où est-ce ?, Quelle personne as-tu vu ? équivaut à Qui as-tu vu ?, etc. Or il en va de même dans le rapport entre une subordonnée relative et la subordonnée conjonctive correspondante : une relative, autour d’un antécédent N hyperonymique, avec de multiples possibilités sur le choix de son déterminant, est équivalente à une subordonnée conjonctive :

-équivalence avec qui (pronom autarcique +H, conjonctif) :

(la, une, toute) personne qui/e…, quelqu’un qui/e…, un type qui/e…, des gens qui… :
Allez voir la personne que vous voulez est équivalent à Allez voir qui vous voulez
Je dirai ça aux gens qui voudront m’écouter est équivalent à Je dirai ça à qui voudra m’écouter

- équivalence avec que / quoi (-H) :

quelque chose qui/e, un truc qui/e, … : 
Quelque chose qui se conçoit bien s’énonce clairement ;

- lieu : à l’endroit (au lieu, …) est équivalent à (conjonctif autarcique) ;
- temps, au moment (temps, …) où (et ‘locutions conjonctives’) = quand ;
- qualité–manière, de la façon dont = comme. à la manière dont.
- quantité, voir 5.3.2.

De ce fait, toute liaison entre deux propositions peut s’exprimer par le moyen d’une relative, autour d’un N antécédent, aussi bien dans une interprétation générique (comme dans les exemples ci-dessus) que dans une interprétation spécifique : la personne qui m’a insulté l’autre jour …, le truc qui me fait mal au genou…, l’endroit où nous nous trouvons actuellement…, la façon dont on me traite…. - ce qui fait des relatives l’instrument privilégié de toute subordination, au détriment des conjonctives, et même, dans une certaine mesure, des subordonnées interrogatives : on dira facilement Indiquez-moi l’adresse à laquelle il faut expédier ce colis à la place de Indiquez-moi à quelle adresse …,  ou  Je cherche l’endroit où …à la place de Je cherche à quel endroit…

Dans ce cadre, les relatives ayant comme antécédent ce (ou celui, à un degré moindre) occupent une place particulière : ce qui/e devient alors un marqueur de variable totalement équivalent au pronom que / quoi, et apte à le suppléer dans les nombreuses situations où son emploi est bloqué. Dans ce rôle, le démonstratif n’est pas anaphorique (comme il l’est dans Jean est parti, ce qui a surpris tout le monde : ce est anaphorique de P = ‘Jean est parti’). Il n’est néanmoins pas ‘vide’, comme on a l’habitude de dire par facilité, mais il représente la catégorie ontologique ‘-H’ dans toute sa généralité. Le démonstratif et le relatif représentent conjointement une variable reconstituée, apte à jouer un rôle conjonctif, le démonstratif portant la dimension ontologique, le relatif assurant la liaison syntaxique, avec une valeur aussi bien spécifique (déictique en situation : Ce que tu viens de faire est ignoble), que générique (Ce que tu as fait une fois, tu peux le refaire).

Historique et Terminologie.

L’analyse du Groupe Pronominal formé de ‘démonstratif + relatif’ fait difficulté : quelle en est la tête ? Le démonstratif s’interprète naturellement comme antécédent du relatif et Tête du groupe (sur le mode du fonctionnement standard des relatives), mais il s’apparente aussi à un déterminant donnant une ‘assiette’ à un contenu sémantique porté par la relative, selon un processus analogue au cas des ‘adjectifs substantivés’. La discussion sur le statut respectif du démonstratif et du relatif est ancienne (cf. Damourette et Pichon : § 1276), mais reste toujours ouverte (cf. Muller 2020). Cette difficulté n’est pas sans rappeler l’indistinction qui prévalait en latin entre les pronoms et les déterminants, qu’on a rappelée en 5.2. à propos de la formation des relatives, et  qui se retrouve dans la formation de ce qui et de celui qui : un diptyque corrélatif de départ, avec mot qu- conjonctif autarcique, est réaménagé par permutation, et réanalysé en ‘antécédent + relatif’ :

Qui bene amat, is bene castigat   > Is qui bene amat bene castigat
‘Qui aime bien, celui-là châtie bien’  > ‘Celui qui aime bien châtie bien’
Quod habuit, id perdidit …(Plaute)   > Perdidit   id quod habuit
‘Quoi il-avait, cela il-a-perdu    > ‘Il-a-perdu ce que il-avait’

Permutation et réanalyse se font en latin sans changement morphologique, mais, comme on l’a vu dans le mécanisme général de formation des relatifs, il n’en va pas de même en français : le mot qu- devenu relatif a perdu sa valeur ontologique, qui s’est reportée sur le démonstratif, et il est devenu anaphorique et marqueur de fonction.

Le rapport résultant entre d’un côté qui, pronom autarcique, et celui qui, avec qui relatif, et de l’autre entre que / quoi et ce qui/e, a été décrit en 4.4. : le pronom simple et sa variante supplétive sont sémantiquement équivalents mais de constitution interne différente, - source de difficultés pour la description grammaticale du français. Les Groupes Pronominaux ce qui/e et celui qui/e sont exempts de blocage et présentent un certain nombre d’avantages (facilité d’utilisation) par rapport aux pronoms simples. Sémantiquement, ils se prêtent indifféremment à une interprétation générique ou spécifique (ce qui n’est pas le cas du pronom qui). Syntaxiquement, la dualité ‘démonstratif + relatif’ facilite la dissociation des fonctions respectives de la structure d’ensemble dans sa matrice d’accueil, et du relatif dans la relative : des séquences comme pour celui dont .., ou de celui pour lequel .., ou avec ce pour quoi… ne soulèvent aucune difficulté. Ce n’est que dans le cas de double fonction prépositionnelle, avec la même préposition, que l’avantage de la simplicité et de la clarté est du côté du pronom conjonctif: Je voterai pour qui je voterai est plus économique que Je voterai pour celui pour qui je voterai. Mais ce cas de figure, même s’il correspond au schéma prototypique de la subordination conjonctive (identité de fonction), est rare et marginal dans l’usage. La seule limite d’emploi de la structure duale est de ne pas pouvoir s’employer avec un infinitif.

L’emploi de base, fondamental, de la structure duale est l’emploi conjonctif : ce qui/e ou cel- qui/e n’ont rien par eux-mêmes d’interrogatif, et relèvent a priori de la ‘perspective intégrative’ plutôt que de la ‘perspective percontative’ (4.1.) : ils sont pris pour ce que leur valeur est, et non pour une discussion sur ce qu’elle est. Ce n’est que par extension que ce qui/e (et, occasionnellement cel- qui/e) peut s’employer dans une structure interrogative avec, comme on l’a vu, une marge importante d’ambiguïté ou d’indétermination entre les deux perspectives.

Les emplois de ce qui/e et de celui qui/e ont déjà été examinés, en rapport avec chaque mot qu- conjonctif suppléé. On se bornera ici à un rappel synthétique.

5.3.1. Ce qui/e

Le groupe ce qui/e occupe une place essentielle dans l’ensemble du dispositif des mots qu- du français. Quand ce ne reprend pas une proposition ou une expression prédicative, le groupe ce qui/e représente une variable ‘-H’. Il est alors équivalent au pronom que / quoi, dont on a souligné les carences à plusieurs reprises, et qu’il supplée dans ses emplois conjonctifs ou interrogatifs ; il peut aussi suppléer le que complétif, et même, par extension, l’adverbe de quantité que.

a) Ce qui/e, variante supplétive du pronom que / quoi

emploi conjonctif. Ce qui/e prend place de façon obligatoire dans le paradigme (voir 4.2.2., et Tableau 7). Emploi extrêmement fréquent, avec interprétation générique ou spécifique :

Ce que tu as fait une fois, tu peux le refaire ; Ce que tu as fait ce matin est ignoble.

emploi interrogatif. Ce qui/e peut entrer dans la perspective percontative, et s’inscrit dans le paradigme des introducteurs de subordonnée interrogative (voir Tableau 5) :

Dis-moi ce que tu veux.

L’ambiguïté (ou souvent l’indétermination) est courante entre l’emploi conjonctif (intégratif) et l’emploi interrogatif (percontatif) : Je n’ai pas pu dire ce que je voulais (4.2.).

L’emploi dans une interrogation indépendante (voir Tableau 4) nécessite l’ajout d’un élément proprement interrogatif à l’initiale, d’où la formation de qu’est // ce qui/e, procédé d’interrogation périphrastique, parfois dite ‘renforcée’ (3.2.1., 6.2.). Suppléance obligatoire pour la fonction sujet ‘-H’ (*Quoi > Qu’est-ce qui… ?), préférentielle pour les fonctions Cod et attribut ‘-H’ (Qu’est-ce que… ?), optionnelle pour les questions ‘+H’ (Qui est-ce qui… ?, Qui est-ce que… ?), ainsi que pour les fonctions indirectes (A qui, à quoi est-ce que… ?) et les adverbes  (Quand, Comment est-ce que… ?). Cette distribution a pour effet d’installer dans le sentiment linguistique des locuteurs une ‘locution interrogative’ … est-ce que… ?, perçue comme inanalysable et accompagnant facultativement un mot qu- interrogatif.

b) Ce que, variante supplétive de que complétif

Ce que P, devenu variante combinatoire de que P, permet l’emploi de la complétive derrière une préposition (séquence interdite avec que, sauf exceptions). Cf. l’alternance :

Je veux que vous veniez / Je tiens à *que > ce que vous veniez.

La répartition entre que P et ce que P a été exposée en 4.3.

Cette suppléance de que complétif est à la base de l’emploi de est-ce que dans Est-ce que P ? (Est-ce que vous êtes d’accord ?), formule d’interrogation totale : Est (= est-ce le cas, est-il Vrai) ce que P [est] ?

c) Ce que, variante supplétive de que Adv de Quantité

Ce que, formation pronominale remplissant des fonctions nominales, peut prendre une valeur quantitative, par exemple pour marquer un prix (Dites-moi ce que ça vaut), et glisser progressivement vers un fonctionnement adverbial (Tu peux crier tout ce que tu veux = tant que tu veux), avec des cas intermédiaires ou indécidables. En tant que marqueur de quantité, ce que supplée que Adverbe dans certains emplois conjonctifs, et comme exclamatif.

emploi conjonctif (4.4.4.)

ça vaut ce que ça vaut (marque d’égalité stricte = ça ne vaut pas plus que ça ne vaut)
Il a pris tout ce qu’il a pu comme argent (= autant d’argent qu’il a pu)
Avec ce qu’il reste comme provisions, on peut tenir encore un bon moment

dans une comparaison : Jean est plus fort que ce que je pensais (4.4.4.)

emploi exclamatif (3.4.3) :

Ce que c’est dur ! = Que c’est dur !
Concurrence de la forme périphrastique : Qu’est-ce que c’est dur !
En subordonnée exclamative (3.5.) : Vous n’imaginez pas ce que c’est dur !
C’est terrible, ce qu’il peut boire ! C’est affreux, ce qu’il peut embêter les autres !

5.3.2. Celui qui/e

L’association du pronom démonstratif celui et du relatif, pour former un équivalent au pronom autarcique ‘+H’ qui, est parallèle à celle de ce et du relatif pour former un équivalent à que/quoi, mais l’équivalence se réalise dans des conditions à la fois plus limitées et plus complexes.

emploi conjonctif : celui qui/e concurrence le pronom conjonctif qui :

Celui qui ne risque rien n’a rien = Qui ne risque rien n’a rien (4.2.1.).

L’interprétation spécifique est possible (alors qu’elle ne l’est pas avec qui) : Celui qui a parlé le premier a fait un beau discours. Le démonstratif pluriel ceux est également très utilisé, avec la même valeur : Ceux qui ne risquent rien n’ont rien. Mais celui, forme de masculin singulier, et ceux¸ masculin pluriel, peuvent être interprétés de deux façons : soit comme représentant la catégorie ‘+H’ dans toute sa généralité (sans distinction de sexe), soit comme représentant exclusivement le sexe masculin. Des ambiguïtés ou controverses peuvent s’ensuivre, ainsi que le développement de formules alternatives du type : Toutes celles et tous ceux qui voudront nous rejoindre sont invité(e)s à …

emploi interrogatif (occasionnel) en subordonnée : Dis-moi celui (ou celle) qui a fait ça.

Pas d’utilisation dans une interrogation indépendante : la forme périphrastique usuelle est non pas Qui est *celui qui a fait ça ?, mais Qui est-ce qui a fait ça ? (avec ce qui, employé à la fois pour +H et pour -H : Qu’est-ce qui… ?).

5.3.3. Là où

On peut ajouter aux formations pronominales le cas de là où : l’adverbe, représentant type du lieu, est manifestement un ancien corrélatif (résomptif) passé en position d’antécédent :

Reste là où tu es (avec relatif) = Reste où tu es (avec conjonctif) (cf. 4.4.1.).

Cette équivalence ne justifie pas de qualifier de ‘relatif sans antécédent’ quand il est employé seul, dans son fonctionnement normal de mot qu- conjonctif (parallèle à quand).
L’analyse de là où peut sans doute être étendue à partout où.


5.4. La variation dans les subordonnants relatifs

On ne cherche pas ici à faire un catalogue des emplois de relatifs déviants par rapport à la norme (non transmission de marques : moi qui est…, absence d’accord lequel derrière Prép., emploi étendu de dont : une situation dont on se rend compte des dangers), mais à mettre en lumière des versions alternatives du paradigme standard. A côté de cas ponctuels de renforcement périphrastique (concernant en particulier  : à l’endroit où c’est que…, où ce que …, où que… ; voir 6.2.), le système relatif français a toujours connu des variantes alternatives tendant à sa simplification, en particulier en ce qui concerne les fonctions obliques, pour lesquelles la concurrence entre diverses formes n’a jamais été réglée de façon stable. Ces systèmes alternatifs simplifiés, qui font l’objet de nombreuses études actuelles (entre autres Gadet 2017, GGF 2021, Blanche Benveniste et Sabio 2023), n’ont jamais été avalisés par la norme. Deux voies de simplification peuvent être distinguées :
5.4.1. Réduction du paradigme : que régime indirect
5.4.2. Décumul et redondance.

5.4.1. Que régime indirect : paradigme relatif réduit

Dans certains usages (déviants par rapport à la norme), que est utilisé sans préposition comme régime indirect ; il remplace alors les relatifs canoniques dont, auquel, à qui/quoi ou même où :

Prenez les choses que vous avez besoin      (standard : les choses dont …)
C’est pas le genre de trucs qu’on se sert le plus  (standard : … dont…)
Voici la personne que je vous ai parlé      (standard :… dont …)
Vu la façon qu’il s’est comporté avec moi…    (standard : … dont…)
C’est un endroit que je vais souvent        (standard : … …)
Emploi fréquent avec (tout) ce que : tout ce que j’ai besoin, ….

Cet emploi (emploi souvent dit ‘généralisé’ de que) comporte des limitations : il se produit uniquement dans des relatives restrictives, avec un petit nombre de verbes préférentiels, et plutôt avec des antécédents ‘-H’. Il conduit à un paradigme simplifié à trois termes (qui sujet, que régime direct, que régime indirect), reproduit dans le Tableau 10 ci-dessous : paradigme purement fonctionnel, étranger à toute prise en compte de l’ontologie (antécédents non restreints).

 

Fonction du relatif Mot qu- relatif
sujet qui l'homme qui est là-bas
une maison qui est là-bas
régime direct que l'homme que j'aperçois
la maison que j'aperçois
régime indirect que (non canonique) l'homme que je vous ai parlé
la maison que je vous ai parlé

Tableau 10 : Paradigme relatif réduit (non standard)

Ce paradigme pourrait être décrit comme un paradigme à deux termes, sur le modèle de la déclinaison de l’ancien français à deux cas : cas sujet qui / cas régime que. Mais ce modèle binaire ne correspond plus au modèle général de la syntaxe du français moderne : à l’intérieur du cas régime, la distinction régime direct / régime indirect joue un rôle primordial. Et cette distinction recoupe ici le point de vue de la norme : que est reconnu par la norme en tant que relatif régime direct, et rejeté en tant que régime indirect.

Dans cet emploi comme régime indirect, que n’est pas un simple introducteur de subordonnée, mais bien un relatif : il marque une variable de domaine N, et réinscrit anaphoriquement son antécédent N dans la subordonnée qu’il introduit, avec une fonction donnée (Voici l’homme que je vous ai parlé = ‘Voici un homme x, je vous ai parlé d’un homme x, x = x). En tant que marqueur de fonction, il n’est pas spécialisé (comme l’est le que régime direct du paradigme canonique) mais ambigu ou plutôt polyvalent (comme l’étaient déjà bon nombre de relatifs latins) : l’assignation de sa fonction exacte dépend de la structure de la subordonnée (p.ex. complément du verbe parler). Il ne peut pas être assimilé au que complétif, dont les propriétés sont différentes (que complétif n’est ni anaphorique ni doté de fonction dans la subordonnée qu’il introduit). Cet emploi de que tire sans doute sa source de l’emploi de que, héritier de diverses formes de relatifs latins aux cas obliques, comme locatif derrière des N temporels : le jour que, tout le temps que (depuis l’afr. ; cf. infra 5.2.8.).

5.4.2. Décumul et redondance

Une autre voie de simplification du paradigme standard consiste à dissocier les différents rôles du pronom relatif, et à les répartir sur différents marqueurs. On parle alors de ‘décumul’.

Régime direct. Dans un cas comme

C’est des choses que tout le monde peut pas se les payer
(version standard : … que tout le monde ne peut pas se payer),

le N antécédent est repris dans la relative, d’une façon purement redondante, par un élément anaphorique supplémentaire (ici, par le pronom personnel les ; dans d’autres cas, par un autre élément anaphorique comme un déterminant possessif), qui indique également sa fonction grammaticale. La relative, qui se rapproche d’une phrase ordinaire derrière que, est souvent qualifiée de ‘phrasoïde’ (terme de Damourette et Pichon, §1322 sq., dont les travaux ont été précurseurs en la matière).

Régime indirect. Cette reprise anaphorique se produit en particulier quand le relatif est le que régime indirect dont il vient d’être question, tel qu’il figure dans le Tableau 10 :

C’est un type qu’on peut pas lui faire confiance
(version standard : … à qui (ou auquel) on ne peut pas faire confiance)

Dans ce genre de structure il est difficile de répartir les rôles de marqueur anaphorique et d’indicateur de fonction entre que et l’élément anaphorique subséquent : la séquence … un type que … est construite sur le modèle général de ‘N antécédent + relatif’, avec que réinscrivant l’antécédent dans la relative (propriété définitoire du relatif) ; on peut considérer que la doublure anaphorique redondante a le double effet de conforter et rafraîchir l’anaphore, tout en spécifiant la fonction du terme relativisé, - fonction mise en attente par que. Le rappel anaphorique (redondant) peut être implicite derrière certaines prépositions ou avec dessus :

des choses qu’on a du mal à se passionner pour (cit. GGF : 1533)
[une chaise c’est] une chose qu’on s’assoit dessus (cit. Damourette et Pichon § 1322)

Sujet. Le décumul peut même affecter le relatif sujet, dans une mesure limitée, sans doute à partir de l’amuïssement de qui devant voyelle (qui a = /ka/ ; amuïssement normal : cf. supra 5.2.2.), qui annule la différence entre qu(i) et qu(e), et peut conduire à réinterpréter /ki/ comme qu(e) i(l). D’où, au pluriel,

des gens /kiz/ ont de l’argent,

qui repose sur ‘des gens qu(e) i(l)s ont de l’argent’ (avec /iz/ = trace du pronom personnel sujet i(l)s),

et par suite, qu(e) + pronom sujet à initiale vocalique :

nous qu’on est des gens sérieux…  (version standard : nous qui sommes…)
Voilà une idée qu’elle est bonne ! (ludique),

et même que + pronom sujet  à initiale consonantique : moi que je… :

C’est moi que je vous le dis (dans le clivage).

Dans que je, que (forme réduite de qui) évite la séquence *qui je, avec double sujet formellement exprimé.

Que ne peut néanmoins pas être considéré comme un ‘relatif universel’ en toute fonction : il n’est jamais relatif sujet dans des structures ordinaires : l’homme qui travaille ne peut jamais être *l’homme que travaille.

Remarque : comme le rappellent Blanche-Benveniste et Sabio (2023 : 137), la reprise anaphorique redondante est facilitée par la complexité de la relative, en particulier quand la relative comporte une sous-subordonnée :

la retraite, c’est une chose que, quand on est jeune, on y pense pas
(version standard : … une chose à laquelle (ou à quoi), quand …, on ne pense pas)
des petites bricoles que si on les fait pas, après on est mal.

Dans ce dernier exemple (cit. Blanche-Benveniste et Sabio 2023 : 138), le rappel de l’antécédent par les s’effectue immédiatement dans une sous-subordonnée introduite par si derrière que, et non pas dans la subordonnée proprement introduite par que : que n’a pas de fonction assignable par rapport à on est mal et reste d’une certaine façon ‘en l’air’. Mais il a un effet anaphorique puissant : il reprend et installe des petites bricoles comme topique de la période ‘si …, (alors) on est mal’. L’effet est semblable à ce que serait un enchaînement du type des petites bricoles telles que… La construction syntaxique se laisse interpréter sans aucune difficulté, mais elle est anomale, alors même que, comme le relève F. Sabio (ibid.), il est difficile voire impossible de lui trouver un équivalent normatif. D’une manière générale, la reprise anaphorique redondante offre une solution de facilité (néanmoins refusée par la norme) pour les cas (complexes et controversés) où le relatif est en relation avec le prédicat d’une sous-subordonnée, en particulier quand il est sujet (voir infra 8.) :

Il y en a d’autres qu’il faut qu’ils attendent quatre ans pour être docteurs (cit. Damourette et Pichon, § 1322)
C’est un coureur que je suis sûr qu’il gagnera un jour le Tour de France.



6. Mots qu- pseudo-relatifs : dispositifs syntaxiques


Le paradigme relatif réduit à 3 termes présenté dans le Tableau 10 (qui sujet, que régime direct, que régime indirect hors norme) se retrouve, cette fois d’une façon parfaitement admise par la norme, dans plusieurs constructions complexes très courantes, et anciennes dans la langue, qu’on appellera, faute de mieux, ‘dispositifs syntaxiques’ : 1) le clivage, 2) l’interrogation périphrastique, 3) le tour indéfini concessif. L’analyse de ces constructions montre que les mots qu- concernés ne sont pas des relatifs ordinaires, de type standard : pour cette raison, nous parlerons plutôt de ‘pseudo-relatifs’.


6.1. Paradigme réduit

Le Tableau 11 ci-dessous donne une vue d’ensemble des données concernant le clivage et l’interrogation périphrastique (il sera complété dans la suite par les cas de concurrence entre plusieurs formulations possibles).

 

Mot qu- (fonction) Clivage Interrogation périphrastique
qui
sujet
  C'est X qui...
C'est Marie qui a gagné
C'est le vent qui fait ce bruit
C’est ce livre-ci qui me plaît
  Qu- est-ce qui...?
Qui est-ce qui a gagné?
Qu'est-ce qui fait ce bruit?
Quel livre est-ce qui vous plaît?
que
(régime direct)
  C'est X que...
C'est Marie que j'aime
C'est ça que je veux
C'est de l'argent qu'il me faut
C'est le jeudi que je préfère
  Qu- est-ce que...?
Qui est-ce que tu aimes?
Qu'est-ce que tu veux?
Qu'est-ce qu'il vous faut?
Quel jour est-ce que vous préférez?
que
(régime indirect)
(comp. adverbial)
  C'est Prép X que...
 
C'est à Marie que je pense
C'est d'amour que j'ai besoin
C'est dans le social que je travaille
C'est à Paris que j'habite
C'est demain que je pars
C'est en forgeant qu'on devient forgeron
  Prép + qu- est-ce que...?
   QuAdv est-ce que...?

À qui est-ce que tu penses ?
De quoi est-ce que tu as besoin ?
Dans quelN est-ce que tu travailles ?
Où est-ce que tu habites ?
Quand est-ce que tu pars ?
Comment est-ce qu’on devient forgeron?

Tableau 11 : Les mots qu- dans le clivage et l’interrogation périphrastique

Le Tableau fait ressortir un parallélisme très net entre le clivage et l’interrogation périphrastique, sur la base du paradigme relatif réduit. Mais l’analyse habituelle distingue deux cas de figure :

- quand le mot subordonnant est qui sujet ou que régime direct, qui et que sont généralement considérés sans discussion comme des relatifs ordinaires (en particulier dans le clivage), et la subordonnée qu’ils introduisent comme une relative (avec parfois des réserves) ;

- dans les autres cas, que n’est plus considéré comme un relatif, mais comme faisant partie d’une locution inanalysable (c’est … que dans le clivage, est-ce que dans l’interrogation), et il n’est plus question de relative.


6.2. Clivage

Un énoncé clivé (bibliographie abondante, cf. Rouquier 2018, et toutes les grammaires) est un énoncé par lequel un terme X (‘focalisé’ : le ‘foyer’) est identifié par c’est comme saturant (remplissant) une certaine fonction, représentée par un mot qu-, d’où la valeur de ‘mise en relief’ (on laissera ici de côté la distinction entre focalisation étroite et focalisation large). Exemple : dans C’est Marie qui a gagné, Marie est identifiée comme étant le sujet de a gagné : ‘x (a gagné) = Marie’. Le mot qu- introduit une subordonnée qu’on peut appeler, par commodité, ‘subordonnée clivée’ (malgré l’inconvénient d’appliquer la même étiquette à l’énoncé dans son ensemble et à la subordonnée qu’il comporte).

Formation.

On peut présumer que cette identification repose sur un diptyque de base dont la structure serait : Qui a gagné, c’est Marie, *Quoi fait ce bruit, c’est le vent, le c(e) de c‘est étant un anaphorique résomptif. Cette forme de base peut conduire à plusieurs réalisations.

D’une part ce diptyque peut se réaliser en surface, sans autre modification que le remplacement des pronoms conjonctifs par une variante supplétive :

(?)Qui a gagné… > Celle qui a gagné, c’est Marie (visée spécifique ; celle, féminin par anticipation)
*Quoi fait ce bruit… > Ce qui fait ce bruit, c’est le vent.

On a alors le type de subordonnée appelé ‘pseudo-clivée’  >Notice  .

D’autre part les termes du diptyque peuvent permuter (comme on l’a vu dans la genèse des relatives), ce qui entraîne fusion prosodique et réanalyse, et produit le clivage :

C’est Marie qui a gagné, C’est le vent qui fait ce bruit. 

Le mot qu- n’a plus de dimension ontologique, et relève du paradigme fonctionnel du relatif. En même temps, les relations sont devenues difficiles à démêler entre ce, le terme focalisé (Marie, le vent), et qui.

a) C’est X qui (sujet), C’est X que (régime direct) 

C’est le cas emblématique du clivage. Cf. les exemples du Tableau 11, auxquels on peut ajouter un exemple de que attribut :

C’est vice-président qu’il est (et non pas Président)

Qui et que sont généralement considérés comme étant ici dans leur emploi ordinaire de relatifs, anaphoriques de leur N antécédent, et marqueurs de fonction, comme en témoignent la contiguïté d’un N et d’un mot qu- (…Marie qui…), et le transfert de marques dans C’est moi qui ai fait ça (1ère personne) ou C’est elle que j’ai vue (accord du participe passé). Les rôles fonctionnels respectifs de qui sujet et que régime direct sont conformes à ce que prévoit le paradigme standard des relatifs.

Mais la détermination d’un antécédent n’est pas aussi simple qu’il peut paraître : on peut aussi proposer pour ce rôle le ce de c’est (cf. ci-dessus), repris très naturellement par qui. En fin de compte, qui et que ne peuvent pas être assimilés entièrement à des pronoms relatifs ordinaires : ils représentent une variable de fonction (fonction sujet ou régime direct : tout ce qui peut être sujet ou objet, hors de toute considération ontologique), instanciée par un terme X, et non pas une variable lexicale, transportée anaphoriquement vers une fonction donnée (sujet ou objet). L’anaphore par un pronom relatif suppose deux propositions distinctes, apportant chacune une contribution de même niveau à la signification et à la référence de l’énoncé : ainsi Le livre qui est sur la table est à moi concatène ‘un livre x est sur la table’ et ‘un livre x est à moi’ par le pronom relatif qui (‘x = x’) ; de même, mutatis mutandis, dans une relative appositive : dans J’ai rencontré Paul, qui a gagné la course, le N Paul est repris de la proposition ‘J’ai rencontré Paul’, et anaphorisé (transporté) dans une autre proposition, où il reçoit une fonction (sujet de a gagné),

Mais C’est Marie qui a gagné n’est pas la réunion de deux propositions distinctes qui seraient ‘C’est Marie’ et ‘x a gagné’ : les deux prédicats verbaux ne sont pas sur le même plan, une seule proposition est en jeu, dont le contenu est souligné par un jugement métalinguistique explicite, qui peut être affirmatif, négatif (Ce n’est pas Marie qui a gagné), ou interrogatif (Est-ce Marie qui a gagné ?). C’est Marie n’a pas d’autre signification que métalinguistique : c’est identifie une constante X au représentant de la variable sujet (qui a gagné). Autrement dit, le foyer Marie n’est pas l’antécédent d’un relatif qui le transporterait anaphoriquement dans une autre proposition où il serait sujet, mais c’est un terme identifié comme sujet d’une proposition unique, ce qui n’est pas la même chose.

Le clivage n’entre donc pas dans le schéma général de la subordination qui a été exposé jusqu’ici, à savoir la liaison de deux propositions par une variable commune. Il s’en rapproche mais il en reste distinct, et la subordonnée clivée n’est pas une relative, mais une ‘pseudo-relative’, qui n’est pas enchâssée dans un GN, et n’est pas équivalente à un Adj.
Qui et que ont ici un mode de fonctionnement qui n’est exactement ni celui des mots qu-conjonctifs (le qui de Qui dort dîne : variable ontologique, autarcique, valable pour toute fonction), ni celui des relatifs (le livre qui est sur la table : variable de domaine N, anaphorique, spécialisée en fonction), d’où leur étiquetage de ‘pseudo-relatifs’ : ils représentent une variable fonctionnelle, instanciée par une constante

b) C’est X que (complément circonstanciel)

L’identification marquée par c’est peut s’étendre à des fonctions non nominales : elle peut concerner n’importe quel complément intra-prédicatif. Cf. les exemples de fonctions circonstancielles du Tableau 11, ou encore :

C’est avec plaisir que j’accepte votre invitation

C’est bien parce que c’est vous qui me l’avez demandé que j’ai accepté : le foyer ‘parce que P’ (C’est parce que P que j’ai accepté) englobe lui-même une seconde construction clivée (c’est vous qui me l’avez demandé).

Il n’y a plus ici d’antécédent nominal repris anaphoriquement par un relatif, et le mot que ne correspond plus à une fonction aisément caractérisable ; c’est… que… est donc senti et catalogué comme une ‘locution inanalysable’ servant à ‘mettre en relief’ un constituant, et la subordonnée en que, qui n’est plus une relative, n’est pas qualifiée d’autre chose que de ‘clivée’.

Il n’en demeure pas moins que le fonctionnement mis en jeu dans un énoncé comme C’est en forgeant qu’on devient forgeron est le même que celui de C’est Marie qui a gagné. Dans les deux cas, on a affaire à un jugement métalinguistique relatif à une proposition unique : c’est identifie un terme X (le foyer) au représentant d’une fonction marquée par un mot qu-. Et que représente une gamme étendue de fonctions obliques pour lesquelles le système relatif n’offre pas de marqueur dédié ni de combinaison prépositionnelle adéquate (*C’est du plaisir avec quoi je réponds à votre invitation) : compléments adverbiaux ou équivalents prépositionnels, dans des fonctions qu’on peut appeler ‘circonstancielles’ au sens large : relations temporelles, logiques, ou de nature diverse, comme la manière dans C’est en forgeant qu’on devient forgeron. Que est un que généralisé (cf. 5.4.1.), qui subsume toutes ces relations : une sorte d’instrumental au spectre très large. Son indétermination est compensée par le foyer, qui porte en lui-même tous les éléments permettant l’interprétation précise de sa fonction (avec plaisir, en forgeant, …). Le terme que joue donc le même rôle dans C’est en forgeant qu’on devient forgeron ou C’est avec plaisir que je réponds à votre invitation que qui dans C’est Marie qui a gagné : même processus d’identification à une fonction, seule la fonction marquée par le mot qu- diffère. Par suite que réputé ‘inanalysable’ n’est ni plus ni moins ‘relatif’ ou anaphorique (même si on ne songe plus guère à parler d’anaphore) que qui sujet (même si c’est que est perçu différemment dans notre sentiment linguistique, qui le considère comme inanalysable).

c) Marquages en concurrence

Entre C’est Marie qui … et C’est avec plaisir que … se situe une zone intermédiaire : quand la fonction à saturer est de type régime indirect, correspondant approximativement à ce qu’on peut appeler objet indirect, le foyer étant alors un GPrép nominal. Dans ce cas, plusieurs procédés de clivage sont en concurrence.

a) marquage de la fonction Coi sur le mot qu-, sur le modèle de C’est Paul qui …, dans le cadre du paradigme relatif standard :

C’est Paul à qui je parle : ‘x (je parle à-) = Paul’
C’est ça dont j’ai besoin : ‘x (j’ai besoin de-) = ça’

marquage de la fonction par que généralisé (comme dans C’est avec plaisir que…), avec indication de la fonction sur le foyer (cf. les exemples du Tableau 11) :

C’est à Paul que je parle
C’est de ça que j’ai besoin

c) double marquage, sans doute par contamination des deux procédés :

C’est à Paul à qui je parle
C’est de ça dont j’ai besoin.

L’usage en français contemporain est encore flottant, non stabilisé, entre ces trois possibilités, dont l’acceptabilité est variable et controversée selon les locuteurs, pour chaque cas particulier. La formule avec marquage sur X + que invariable (illustrée par les exemples du Tableau 11) est la forme non marquée, la plus commune, toujours acceptée, la plus facile d’emploi.

Au total, le clivage, mis à part une zone médiane instable, apparaît bien comme un dispositif organisé sur un principe unique : les subordonnées clivées en c’est que (circonstanciel) appartiennent au même type que les subordonnées clivées en qui ou que (régime direct), et ni les unes ni les autres ne sont de véritables relatives.

Variation dans le clivage

On retrouve des faits des variation (non standards) déjà vus à propos des authentiques relatives (cf. 5.4.) :

C’est ça que j’ai besoin (comme dans les choses que j’ai besoin) : que est régime indirect sans que le foyer porte d’indication de fonction, ce qui constitue une quatrième variante à côté de C’est ça dont …, C’est de ça que…, C’est de ça dont…

C’est moi que je vous le dis : décumul et redondance sur la fonction sujet (cf. 5.4.1.).


6.3. Interrogation périphrastique

Le même paradigme d’introducteurs se retrouve dans l’interrogation périphrastique , déjà mentionnée et examinée à plusieurs reprises : 3.2.1., 5.3. :

Qui est-ce qui a fait ça ?

La combinaison interrogative Qui est-ce qui… ? associe un premier mot qu- interrogatif + c’est + un second mot qu- relevant du paradigme relatif réduit. (Exemples dans le Tableau 11 supra). La source de ce dispositif et son développement, qui aboutit à la constitution d’un véritable ‘paradigme interrogatif bis’, complet, ont été rappelés § 3.2.1 : ce dispositif n’est autre qu’une version interrogative du clivage. À partir d’une phrase clivée comme C’est X qui …, une interrogation sur X génère C’est quoi qui … ?, qui, remis en ordre canonique, devient Qu’est (*Quoi est) ce qui … ? puis Qu’est-ce qui … ? L’interrogation périphrastique présente donc de grandes similarités avec le clivage, et pose les mêmes problèmes pour la description, mais elle s’est davantage grammaticalisée, perdant au fil du temps l’essentiel de sa valeur expressive (que le clivage a conservée), et elle se prête moins à une décomposition analytique, même si celle-ci reste toujours possible, à un niveau théorique.

a) Qui est-ce qui / Qu’est-ce qui ? (sujet), Qui est-ce que ? / Qu’est-ce que ? (régime direct)

Voir les exemples du Tableau 11 . Qui et que soulèvent les mêmes difficultés d’analyse que dans le clivage (détermination d’un antécédent : l’interrogatif initial ou ce ?). Leur rôle est essentiellement l’indication d’une fonction. Ces formations complexes sont généralement considérées globalement comme des pronoms interrogatifs de forme composée, équivalents à des formes simples.

On note que dans Qui est-ce qui ? (+H) et Qu’est-ce qui ? (-H), et de même dans Qui est-ce que ? (+H) et Qu’est-ce que ? (-H), la distinction +H/-H est marquée dans le pronom interrogatif initial mais n’est pas reprise dans ce qui, indifférencié : on ne dit pas *Qui est celui qui est d’accord ? ou *Qui est celui que tu as vu ? mais Qui est-ce qui est d’accord ? ou Qui est-ce que tu as vu ?. Le rôle global de ce qui est purement fonctionnel (comme l’est celui de qui par lui-même).

b) Qu- est-ce que … ? (régime indirect ou adverbial)

Dans tous les autres cas (voir Tableau 11), est-ce que accompagne (facultativement) un adverbe interrogatif (Où est-ce que … ?) ou un GPrép interrogatif (A qui est-ce que… ?). Comme dans le clivage, ce que incarne toutes les fonctions indirectes ou adverbiales, et les représente par rapport au prédicat qui suit, mais ces fonctions sont déjà marquées au niveau de l’élément interrogatif initial, et ne sont pas intuitivement reportées au compte de que.

Par différence avec le clivage, il n’y a pas de concurrence (formes alternatives) pour le régime indirect (derrière Prép.) : il n’y a pas de marquage prépositionnel sur le relatif (*Qui est-ce à qui tu parles ?, *Qu’est-ce à quoi tu penses ?, *Qu’est-ce dont vous parlez ?), ni de double marquage (*A qui est-ce à qui tu parles ? *A quoi est-ce à quoi tu penses ? *De quoi est-ce dont vous parlez ?). La seule possibilité est le marquage sur l’interrogatif initial suivi de est-ce que :  A qui est-ce que tu parles ?, etc.

Au total, l’interrogation périphrastique est bien un dispositif organisé exclusivement à partir du paradigme relatif réduit (qui sujet / que régme direct / que régime indirect ou adverbial) : il n’y a pas de zone de conflit entre différents marquages, et toute concurrence avec le paradigme standard est exclue, à la différence du clivage. Sans doute est-ce pour cette raison que les mots qu- de la locution est-ce qui/e ? sont encore plus éloignés de pouvoir être caractérisés comme de véritables relatifs que dans c’est … qui/e.

Variation dans l’interrogation périphrastique.

En subordonnée interrogative, que peut être régime indirect Qu’est-ce que tu as besoin ? (non standard) comme dans la relative … les choses que j’ai besoin ou la clivée C’est ça que j’ai besoin.

L’interrogation périphrastique se présente aussi sous deux autres formes, non acceptées par la norme. La variation porte sur l’ordre des composants de la locution : à côté de la forme canonique Qu- est-ce qui/e… ?, on peut avoir Qu- c’est qui/e… ? ou C’est qu- qui/e… ?

1) Qu- c’est qui/e… ? (non standard)

Qui c’est qui a fait ça ? Quel jour c’est qu’on part ?
À qui c’est que tu parles ?
Où c’est qu’on va ? Où c(e) qu’on va ? Quand, comment, combien c’est que… ?

Avec ellipse de être :

Qui qui t’a fait ça ? À quoi qu’on joue ? Où (ce) qu’on va ? Pourquoi que tu dis ça ?

En subordonnée interrogative :

Dis-moi qui c’est qui t’a fait ça ; Dis-moi où (c’est) qu’on va.

Diffusion du ‘renforcement’ périphrastique des mots qu- :
conjonctifs : quand c’est que où c’est que
relatifs : l’endroit où c’ qu’elle [la bombe] tombe (Boris Vian)

2) C’est qu- qui/e… ? (non standard)

C’est qui qui a dit ça ? C’est quoi qui fait ce bruit ? C’est quel jour qu’on part ?
C’est à qui que tu parles ?
C’est où, quand, comment, combien que… ?


6.4. Tour indéfini concessif

On a encore le même paradigme relatif réduit à 3 termes dans un autre dispositif : le tour ‘concessif’ qui que tu sois, dans lequel le premier mot qu- est un indéfini, et le deuxième est généralement qualifié de relatif. Ce tour, très ancien dans la langue (et qui a entraîné la formation de quelque = quel que), a déjà été présenté, et examiné pour ce qui concerne le mot indéfini, en 2.1. L’ensemble est parfois qualifié de ‘relatif indéfini’.

a) qu- qui (sujet), qu-- que (régime direct)

Sujet (emploi peu fréquent) :
La séquence qui qui est mal acceptée : (??)qui qui ait fait ça tend à être remplacé par la forme redoublée quel que soit celui qui a (ou ait) fait cela.

La séquence quoi qui est mieux acceptée (quoi qui puisse arriver,…), mais tend néanmoins à être remplacée par le tour impersonnel quoi qu’il (quoi qu’il puisse arriver).

La séquence quelque N qui (quelque difficulté qui puisse survenir,…) tend à être remplacée par quel que soit le N qui.

Régime direct :

- Cod : qui que tu préfères, … ; quoi qu’on fasse,… ;  quelque envie que j’aie, …

- attribut : qui que tu sois,… ;  quoi que ce soit,… ; quelles que soient les circonstances,…

- avec V impers : quoi qu’il y ait.

L’analyse du second mot qu- comme relatif, ayant pour antécédent le premier (l’indéfini), ou le GN dont il fait partie, ne soulève pas de difficulté particulière.

b) que pour les compléments adverbiaux ou prépositionnels

Le premier constituant qu- porte l’indication de sa fonction, et le relais se fait uniquement par que, généralisé :

à qui qu’on s’adresse, c’est toujours la même réponse
à quoi qu’on se consacre, …
que j’aille
de quelque façon qu’on s’y prenne
quelque brillamment qu’il ait réussi,…

Le procédé est le même que pour qui sujet et que régime direct, mais la séquence excède les capacités de reprise anaphorique reconnues à un relatif standard. Que, qui n’est généralement pas analysé pour lui-même, pourrait être catalogué comme un relatif anomal, ou étendu : un ‘pseudo-relatif’.

c) Il existe une faible zone de concurrence, dans les mêmes conditions que dans le clivage (mais à un moindre degré, et dans un registre recherché) :

quelque façon dont on s’y prenne…/ (?)de quelque façon dont…./ de quelque façon qu’on s’y prenne…, à côté de quelle que soit la façon dont on s’y prend (ou prenne), … (avec un relatif standard).



7. Locutions conjonctives en qu-


La tradition fait état, à côté des dites ‘conjonctions simples’ (quand, comme, que), d’une pléiade de ‘locutions conjonctives’ : pour que, parce que …, formant un inventaire ouvert (on peut en énumérer au moins une centaine), qu’elle considère comme des connecteurs interpropositionnels, et classe selon leur sens (locutions causales, temporelles, etc.) sans chercher à les analyser.

Mais les locutions sont, par définition, des formations composées, dont l’analyse est le plus souvent transparente, et en tout cas toujours légitime (comme l’ont proclamé en leur temps Jespersen, Damourette et Pichon, Moignet, Tesnière, et bien d’autres). Elles se composent toujours d’un premier élément, qui peut être de nature diverse, duquel dépend un mot qu-, qui dans la quasi-totalité des cas est que (dans quelques cas, où : au cas où). C’est ce mot qu-, qui, en toute rigueur syntaxique, marque le début de la subordonnée. L’analyse doit donc déterminer de quel type de subordonnée (essentiellement en que) il s’agit : que complétif (p.ex. dans pour que, ou, avec variante ce que : jusqu’à ce que, parce que), que conjonctif (comparatif ou consécutif : si bien que), ou que relatif (une fois que). Les locutions conjonctives rentrent ainsi dans le cadre général de la subordination.

L’analyse syntaxique de la locution correspond également à sa décomposition sémantique : dans pour que tu sois content, la complétive que tu sois content (au subjonctif) énonce une situation envisagée (comme dans J’aurais préféré que tu sois content), et c’est la préposition pour qui lui donne son statut de visée ou de but ; dans parce qu’il est trop tard, le contenu de la complétive introduite par ce que P est un fait (comme dans Je constate qu’il est trop tard), et c’est la préposition par qui assigne à ce fait une valeur de cause. C’est donc le premier élément de la locution qui détermine son sens, ainsi que la catégorie syntaxique du groupe à l’initiale duquel il figure, en général Groupe Prépositionnel ou Groupe Adverbial : pour que P et parce que P sont des GPrép dans lesquels est enchâssée une complétive, si bien que P est un GAdv dans lequel est enchâssée une consécutive, etc.

Les difficultés d’analyse qui peuvent exister pour certaines locutions sont de deux ordres :

1) difficulté à caractériser le ou les éléments dont dépend le marqueur subordonnant. Tous les degrés intermédiaires existent entre d’un côté une combinaison d’éléments aisément reconnaissables, librement dissociables (en admettant que, au moment où, de telle manière que) et de l’autre un bloc insécable, figé, fait d’éléments mal reconnaissables, n’admettant ni variation ni expansion (tandis que, puisque). L’histoire a apporté son lot de soudures graphiques (parce que, afin que, lorsque) et d’éléments archaïques conservés, comme fur (vieux mot synonyme de mesure) dans au fur et à mesure que, ou enseigne (= ‘signe, preuve’) dans à telle enseigne que (= ‘comme le montre le fait que’). Les seuls cas véritablement opaques sont ceux de tandis que et puisque : anciens comparatifs (étymologiquement : puis-que = ‘après que, plus tard que’, avec une prononciation insolite du -s- médian, tan-dis-que = ‘aussi-longtemps-que). Mais ces difficultés (peu nombreuses au total) n’empêchent jamais de percevoir ce qui fait l’essentiel d’une locution conjonctive : la réunion d’un élément sémantique initial et d’un élément qu-.

2) difficulté à déterminer la nature de que. Cette difficulté est plus sérieuse pour l’analyse, mais elle n’est nullement propre aux locutions conjonctives : elle s’inscrit dans la problématique générale des cas d’ambiguïté (ou de syncrétisme) entre les différents que. On peut hésiter dans quelques cas comme p.ex. :

- de façon (manière) que : peut être la réduction soit de de telle façon (manière) que (avec que consécutif), soit de de façon (manière) à ce que (avec que complétif) : problème indécidable (et dénué d’enjeu) ;

- du fait que P : que complétif (‘du fait [de ce] que P [est]’), ou relatif (‘du fait que P [est]’ : P est le fait en question) ? Les deux reviennent au même ;

- locutions construites sur lors : adverbe donnant lieu à des formations diverses : lorsque, dès lors que, alors que ;

- dans un groupe particulier de locutions construites sur des adverbes (bien que, encore que, déjà que, surtout que, non que), la nature complétive de la subordonnée en que ne fait pas de doute, mais le mécanisme de constitution de la locution (sans doute d’origine paratactique) n’est pas entièrement clair.

Sémantique. Dans de nombreux cas, les locutions conjonctives répondent à des locutions interrogatives cf. 3.2.5.) : jusqu’à ce que… répond à Jusqu’à quand ?, à condition que … répond à A quelle condition ?, parce que… (qui a fini par remplacer pour ce que, longtemps usité) répond à Pourquoi ?, etc. Globalement, elles jouent un rôle complémentaire par rapport aux adverbes qu- conjonctifs (les ‘conjonctions’ de la tradition), en raffinant les catégories ontologiques fondamentales (cf. l’abondance des locutions conjonctives temporelles : en même temps que, pendant que, aussitôt que, avant que, après que, …), ou en exprimant des relations que ne couvrent pas les mots qu- : par exemple les relations logiques comme le but, la cause, la concession, etc. L’analyse syntaxique des locutions conjonctives, requise au plan grammatical, n’exclut donc pas de les regrouper en parallèle par champ sémantique (temps, but, cause, …), et de retrouver par là un accord avec la présentation traditionnelle des circonstancielles, ainsi qu’avec un certain sentiment linguistique des locuteurs. On trouvera des inventaires et des tableaux des locutions conjonctives dans la GSubF : 128 sq., ou dans la GGHF : 899 sq. Ci-dessous sont donnés quelques exemples des principaux types.


7.1. Que complétif

Les locutions complétives sont très nombreuses, utilisées dans tous les domaines sémantiques des circonstancielles (à l’exception de la comparaison). On y retrouve les emplois et propriétés des complétives vus en 4.3. Les éléments introducteurs sont très variés : verbe, nom, préposition non régie… La complétive, constituant nominal, commute en règle générale avec un Infinitif, avec ou sans de (ce qui soulève le problème de la coréférence des sujets), et/ou avec un GN. La question de l’alternance que / ce que se pose souvent : voir 4.3. Le mode peut être Indic ou Subj selon l’élément introducteur. Exemples :

• complétive complément d’un verbe :
Cod d’un Inf : à supposer que, sans compter que…
Cod d’un gérondif : en admettant que, en attendant que, en supposant que, sachant que…
Sujet d’un participe passé (souvent considéré comme une préposition) : attendu que, étant donné que, étant entendu que, supposé que, vu que, pourvu que, …

complétive complément d’une préposition non régie :
Prép + ce que :

à ce que (On l’a reconnu à ce qu’il avait une cicatrice), jusqu’à ce que
de ce que (De ce que P, Jean a conclu que…)
parce que
cependant que
(ce et que séparés)

Prép + que (avec de nombreuses fluctuations historiques entre Prép + que et Prép + ce que) :

après que, avant que, depuis que, dès que, pour que, pendant que, sans que, …

complétive complément d’un Nom (liste ouverte, série productive). Locutions fixées à des époques différentes, d’où des traits archaïques et des degrés de cohésion divers :

N (de ce) que :

à condition que, sous prétexte que, de peur que, afin que, …
le temps que, compte tenu que
au lieu que
(lieu métaphorique)
à mesure que, au fur et à mesure que
au début que
(non standard) : Au début que j’étais à Bordeaux… ; le sens n’est pas ‘j’étais à Bordeaux au début’ mais ‘au début de ce que (= quand) j’étais à Bordeaux’

N à ce que :

de manière (façon) à ce que

ce N (ça, cela) que :

à cette condition que, à ceci près que (complétive ou relative ? : cf. 4.3.)
avec ça que

• complétive complément d’un Adverbe (en général suivi d’une Prép.) :

Adv (de ce) que : loin (de ce) que, indépendamment de ce que
Adv (à ce) que : d’ici (à ce) que
lorsque
= lors [de ce] que ?, dès lors que 
bien que, encore que, déjà que, surtout que, non que (analyse incertaine, évoquée supra).


7.2. Que conjonctif (comparatif ou consécutif)

Les locutions avec que comparatif ou consécutif sont des formations transparentes : que est en corrélation avec un adverbe ou un adjectif déclencheur (les formules comparatives types plus / moins / autant que pourraient déjà être considérées comme des locutions conjonc­tives). Pas d’alternance avec ce que, pas de commutation avec un Inf ou un GN. Locutions utilisées dans les domaines de la comparaison et de la conséquence, ainsi que du temps.

adverbe + que

tant que : tant que, d’autant que, d’autant plus que, tant et si bien que
tandis que
(= étymologiquement ‘aussi longtemps que’)
si que : ainsi que, sitôt que, aussitôt que, aussi longtemps que, si bien que
plus … que : plutôt que
moins que :  à moins que 
: ‘P1, à moins que P2’ = si non P2
puisque (= étymologiquement ‘plus tard que, après que’ : du temps à la cause)

• adjectif + que

même que : de même que, en même temps que, de la même façon que…
pareil que
(en dehors de la norme : Il a fait ça pareil que moi)
tel que : à tel point que, à telle enseigne que, de telle façon (manière, sorte) que (peut se réduire à de façon (manière, sorte) que)

La corrélation déclenchée par tel peut l’être par un simple démonstratif (à ce point que) ou un article défini (au point que).


7.3. Que (ou ) relatif

Les locutions relatives sont utilisées essentiellement pour le temps ou le lieu. La subordonnée peut dans certains cas commuter avec de + Inf ou GN (au moment de partir, du départ).

• antécédent N + où / que :

à l’endroit où
au cas où, dans l’hypothèse où,
en cas que
(ou que complétif : [de ce] que ?)
au moment où (temporel), du moment que (causal)
le jour où / que
la fois où, chaque fois que / où, pour une fois que, des fois que
(familier)
À signaler une formation particulière : quoique (= ‘quoi que P [soit]’, cf. 2.1.)

• antécédent Adverbe + où / que

là où, partout où
aujourd’hui que / où, maintenant que
alors que



8. Dépendance lointaine des mots qu-


Les mots qu-, qu’ils soient interrogatifs ou subordonnants, ont la propriété de pouvoir se rattacher non pas au premier prédicat qui les suit, mais à un deuxième prédicat situé dans la dépendance du premier (propriété qui ne doit pas être confondue avec la récursivité).
Exemple : interrogatif a un rattachement simple dans Où vas-tu ? : il porte directement sur le verbe aller. Mais le prédicat peut devenir plus complexe, par exemple s’il comporte une modalité, qui peut être suivie d’un infinitif (Où veux-tu aller ?) ou d’une complétive (Où veux-tu que j’aille ?). est alors en ‘dépendance lointaine’  : c’est toujours au verbe aller qu’il se rattache mais il doit pour cela ‘sauter par-dessus’ une frontière de proposition. Exemples de dépendance lointaine :

interrogatif:   Où veux-tu que j'aille?
subordonnant interrogatif:  Dis-moi où tu veux que j'aille
conjonctif: J'irai où tu voudras que j'aille
relatif: J'irai dans le pays où tu voudras que j'aille?

La dépendance lointaine correspond donc à la structure suivante : mot qu- + noyau prédicatif de transition (Sujet Verbe) + que P (complétive, au prédicat de laquelle se rattache le mot qu-). Le noyau prédicatif de transition (sorte d’insertion modale qu’on peut appeler ‘pont’) peut être lui-même complexe, fait de plusieurs structures emboîtées :

Je suis allé où tu m’as souvent dit et répété que tu voulais que j’aille.

La dépendance lointaine est très souvent masquée par des phénomènes d’ellipse : J’irai où tu voudras que j’aille est généralement réduit à J’irai où tu voudras.

Avec les mots qu- relatifs, le pont peut aussi être suivi d’une subordonnée interrogative (partielle ou totale) ou d’une autre relative (où même d’une clivée) :

une ville où on se demande qui aurait envie d'habiter
une île déserte où je ne sais pas si je pourrais survivre
un endroit où je connais quelqu'un  qui va tous les jours
un endroit où c'est vous qui avez eu l'idée d'aller le premier

Tous les mots qu- interrogatifs ou subordonnants sont concernés, dès lors qu’ils ont une fonction (nécessaire par définition pour pouvoir se reporter à distance, ce qui exclut le que complétif, ainsi que, bien entendu, si), y compris les formes renforcées ou substitutives des pronoms. Exemples pour les formes supplétives du pronom ‘-H’ :

  Qu’est-ce que vous voudriez que je fasse ?
J’ai fait ce que tu voulais que je fasse 
J'ai pris ce dont je pensais qu'on aurait besoin

Il faut signaler néanmoins que les mot qu- exclamatifs ne peuvent pas être en dépendance lointaine : *Comme (/*ce que) vous vous rendez compte que c’est difficile !, ce qui confirme la nécessité de les distinguer d’avec les interrogatifs.

Mais il existe des différences importantes selon la fonction du mot qu- : la dépendance lointaine se réalise avec facilité quand le mot qu- est un adverbe ou qu’il est derrière Prép, mais elle est bloquée avec un mot qu- en fonction sujet. Le cas d’un mot qu- régime direct appelle une remarque particulière.

a) mot qu- adverbe ou complément d’une Prép.
La dépendance lointaine est alors naturelle. Exemples (voir GSubF : 239 – 243) :

: exemples ci-dessus
Quand Je suis parti quand on m'a dit que je devais partir
Comme : Je ferai comme tu voudras que je fasse
Combien : Combien de fois faudra-t-il que je le répète?
que Adv : Je le répéterai autant de fois qu'il sera nécessaire que je le répète!
Prép + qui : À qui
J'ai remis les clés à qui
un ami à qui
faut-il
on m'avait dit
vous savez
que je remette les clés?
que je devais les remettre
que vous pouvez vous fier
Prép + quoi : À quoi
une chose à quoi
croyez-vous
je suis sûr
que je passe mon temps?
que vous avez déjà réfléchi
dont : un livre dont
une réalisation dont
je ne sais plus
c'est vous
quel est l'auteur
qui êtes l'initiateur
Prép + quel :  un voyage auquel
un collègue avec lequel
je regrette
je ne vois pas
que vous ne participiez pas
comment je vais travailler

Dans ces exemples, le pont s’interprète clairement comme une sorte de modalité insérée, qui vient interrompre provisoirement le cours de la proposition inaugurée par le mot qu- ; ce cours reprend ses droits dans la proposition suivant le pont, dans laquelle arrive le prédicat attendu. Aucun rapport ne s’établit entre le mot qu- et le prédicat (modal) du pont.

b) mot qu- en fonction sujet : dépendance lointaine bloquée. 
Mais un mot qu- sujet ne peut pas être en dépendance lointaine. L’insertion d’une modalité pont (comme dans les exemples ci-dessus) aboutit à des énoncés impossibles : mal formés et agrammaticaux, et en définitive ininterprétables. À partir de Qui va gagner ?, il est impossible de former

*Qui (sujet) crois-tu que va gagner ?
*le coureur qui je crois que va gagner
*la solution qui je crois qu'est la meilleure

Le ‘pont’ aurait deux sujets exprimés (qui + tu ou je), la complétive (que va gagner, que est la meilleure) n’en aurait aucun : double agrammaticalité. De même avec des formes périphrastiques :

*Qui est-ce qui tu crois que va gagner ?
*Qu'est-ce qui tu crois que sera le mieux ?
*Fais ce qui tu crois que sera le mieux

On doit donc recourir à une structure alternative pour contourner la difficulté  :

Qui crois-tu qui va gagner ?
Qui est-ce que tu crois que va gagner ?
le coureur que je crois qui va gagner
Que crois-tu qui serait le mieux ?
Qu'est-ce que tu crois qui serait le mieux ?
la solution que je crois qui est la meilleure
Fais ce que tu crois qui sera le mieux

Le premier mot qu- (ou la première forme périphrastique) est un Cod, y compris le qui initial de Qui crois-tu qui va gagner ? (cf. la version périphrastique : Qui est-ce que tu crois… ?). Le dernier mot qu- est le relatif qui, sujet de la proposition qu’il introduit. La structure s’analyse comme une construction à prédicat de l’objet autour du verbe croire, comme dans Je crois Paul innocent ou Voilà ce que je crois (être) le mieux, ou comme c’est le cas avec les verbes de perception (Je vois les enfants qui jouent dans la cour). Cf. Van Der Auwera 1993, Guimier 1999 : 207-228, GSubF : 244-246. Il n’y a donc à proprement parler plus de dépendance lointaine : celle-ci a été en quelque sorte contournée. Cette solution n’est toutefois possible que si le verbe pont admet des constructions à attribut de l’objet : c’est le cas pour croire, mais non pour être certain, d’où l’impossibilité (ou la très faible acceptabilité) de *J’ai fait ce qu’il est sûr qui est le mieux.

Une autre analyse a été proposée par la grammaire générative (Kayne 1974), et souvent reprise (p.ex. in GGF : entre autres 92, 1480 sqq) ; elle cherche à préserver la structure générale des dépendances lointaines (une complétive enchâssée dans une relative), moyennant un chassé-croisé formel entre que et qui. Selon cette analyse, dans Voici la solution que je crois qui est la meilleure, qui est un introducteur de complétive qui remplace que en raison de l’absence de sujet dans la complétive, et que remplace qui en raison de la présence d’un sujet dans la proposition qu’il introduit : conjectures ad hoc, qui détruisent l’architecture d’ensemble du système des mots qu-, pour un faible profit escompté (l’analyse d’une structure marginale).

En tout état de cause, ces constructions imbriquées impliquant un relatif sujet, source de controverses depuis Vaugelas, sont rares et d’acceptabilité variable selon les locuteurs. L’analyse comme construction à prédicat de l’objet en fournit l’explication la plus simple et la plus en accord avec le système général des mots qu-.

Il existe encore une autre façon de contourner l’impossibilité de dépendance lointaine du sujet : un détour par le relatif dont, avec reprise anaphorique du mot qu- initial par un pronom personnel dans la proposition amenée par le pont (ce qui n’est pas sans rappeler le décumul et la redondance vus en 5.4.2.) :

un coureur dont il est probable qu'il gagnera un jour
une solution dont on peut penser qu'elle est la meilleure
J'ai fait ce dont je suis convaincu que c'est la meilleure solution

c) mot qu- en fonction objet : remarque

Les cas où la dépendance lointaine concerne un mot qu- en fonction de régime direct peuvent se ramener sans discussion au cas le plus général et le plus simple : un mot qu- régime direct + un pont + une complétive au prédicat de laquelle se rattache le mot qu- initial. Ainsi on peut considérer naturellement que le premier mot qu-, en dépendance lointaine, est le Cod du verbe de la complétive (introduite par que complétif), par-delà le ‘pont’, dans

Qui pensez-vous que Marie va épouser ?
Que pensez-vous que je dois faire ?
la femme que Jean dit qu'il a aimée
ce que j'ai dit que je voulais faire

Il peut subsister toutefois une certaine insécurité sur l’analyse, concernant le que complétif : dans ‘la femme que Jean dit qu’il a aimée’, il n’est pas évident que l’accord du participe passé (aimée) ne puisse pas être mis au compte du que qui précède immédiatement le verbe (… qu’il a aimée), ce qui ferait de lui non pas un introducteur de complétive mais un relatif, introducteur d’une relative, anaphorique de femme¸ son antécédent, en relais du premier que. Et cette analyse peut être étendue aux autres exemples ci-dessus. Dans ce cas, on serait alors à nouveau en présence d’une structure à prédicat de l’objet autour du verbe dire, le second que étant un relatif ayant le premier pour antécédent.

Cette analyse alternative est possible uniquement si le verbe pont se prête à une construction à attribut de l’objet : la question peut se discuter pour le verbe dire. Dans ‘…la femme qu’il est de notoriété publique que Jean a aimée’, la question n’a plus lieu d’être, c’est clairement un cas général de dépendance lointaine par-delà un pont entraînant une complétive.



Conclusion


Le Tableau 12 récapitule les différents emplois des mots qu- (en laissant de côté les emplois indéfinis).

 

Domaine Interrogatifs-Exclamatifs Subordonnants (non interrogatifs)
Entités '+H' qui qui (+ formes supplétives)
Entités '-H' que / quoi (+ formes supplétives) que / quoi (+ formes supplétives)
que complétif (+ forme supplétive)
Lieu
Temps quand quand
Qualité-Manière comment comme
quel
comme
Quantité-Degré combiem combien
que
(+ supplét.)
que
Domaine lexical N quel
lequel
qui,que,quoi,dont,où,lequel

Tableau 12 : récapitulatif des emplois et pradigmes des mots qu-

Les deux colonnes de mots qu- présentent un parallélisme remarquable, et ne constituent en fait qu’un seul et même paradigme, organisé selon les catégories ontologiques, - sauf en ce qui concerne les marqueurs du domaine lexical N, où les interrogatifs et les subordonnants divergent, ces derniers constituant un second paradigme de mots qu- (les pronoms relatifs).

Sous les relatifs, au bas de la colonne de droite, pourrait être ajoutée une cellule supplémentaire, pour le paradigme réduit des ‘pseudo-relatifs’ qui, que (régime direct), que (régime indirect).

Le Tableau 13 récapitule les différents types de subordonnées, tels qu’ils découlent directement du système organisé des mots qu- (Tableau précédent).

 

Tableau 13 : Les différents types de subordonnées du français

Le schéma d’ensemble est clairement structuré. Cinq types se dégagent (cf. GSubF). Point de divergence avec la présentation traditionnelle : la catégorie des subordonnées actancielles, indûment considérées par la tradition comme des ‘relatives sans antécédent’.

Les subordonnées en si (marqueur de variable Vrai / Faux) peuvent s’intégrer à une place naturelle dans ce schéma :

- subordonnée interrogative (totale) : savoir si P = ‘savoir : P est-il Vrai ?’

- subordonnée circonstancielle (totale) = conditionnelle : si P, …= ‘prenons le cas que P est Vrai, alors…’

On pourrait ajouter, à la droite du Tableau, une catégorie supplémentaire de subordonnées non interrogatives : les ‘dispositifs syntaxiques’ (le clivage, l’interrogation périphrastique, le tour indéfini concessif), formés sur le paradigme réduit des ‘pseudo-relatifs’.

Pour conclure brièvement cette notice : l’idée centrale de ce travail est de traiter les mots qu- comme des marqueurs de variables, ce qui fournit un principe général de description et d’explication de leurs emplois.

1. Variable et langage. La notion de variable est à approfondir pour elle-même. L’enquête menée donne à penser que son acquisition, au plan cognitif, en parallèle avec la constitution d’une grille de catégories ontologiques, pourrait avoir été un des éléments permettant l’émergence et le développement de la faculté de langage : elle donne accès à la quantification, à l’interrogation et à la subordination , et rend naturelle l’hypothèse que la subordination serait apparue en même temps que l’interrogation (cf. Givon 2009, Victorri 2007). Les liens entre interrogation, indéfinition et subordination sont-ils similaires dans les différentes langues ? Comment et quand la notion de variable est-elle acquise par les enfants ? Peut-on espérer mettre au jour les opérations sous-jacentes dont on postule l’existence, et dont les marqueurs de surface sont la trace ?

2. Le thème kw– occupe une place particulière dans la réflexion générale sur les variables dans les langues. Il est présent non seulement dans toutes les langues indo-européennes, anciennes et modernes, comme interrogatif et indéfini, et comme subordonnant dans une partie d’entre elles (Szemerényi 1996), mais encore dans la ‘superfamille’ dont l’indo-européen fait partie : l’eurasiatique, qui regroupe la plus grande partie des langues de l’hémisphère Nord de la planète, et dont toutes les branches attestent un interrogatif « k » (selon Greenberg 2003). Plus encore, selon Merritt Ruhlen (1994, trad. fr. : 234), dont les vues sont certes à prendre avec quelque circonspection, la « racine mondiale » la plus répandue dans les langues du monde est KU(N) « qui ? » (suivi par un autre interrogatif MI(N) « quoi ? », peu représenté en eurasiatique mais largement répandu par ailleurs).Que penser de cette prééminence des interrogatifs, et de ‘k’ en particulier ? Pour les langues dont les marqueurs de variables ne sont pas interrogatifs, de quel type sont-ils :  déictiques, anaphoriques,… ?

3. Les mots qu- du français ont une longue histoire, dont le présent porte la trace, et où se lisent à la fois la stabilité des ressorts fondamentaux (liaison par variable, solidité des catégories ontologiques structurantes, …) et la souplesse adaptative des marqueurs, dans une évolution où intervient une part de phénomènes contingents (évolution phonétique) ou inexpliqués. Ils sont soumis à une utilisation intense, qui entraîne une diversification de leurs emplois, éloignés de leur valeur prototypique initiale, au moins en apparence : ainsi des subordonnants devenus anaphoriques (les relatifs), ou se rapprochant de simples connecteurs interpropositionnels sémantiquement peu marqués, ou tendant à ne plus être que de purs outils syntaxiques (instruments de nominalisation, de focalisation …). La prise en compte de la diachronie est à la fois une nécessité de principe incontournable, et une aide pour relier les emplois particuliers au fonctionnement général des mots qu-.



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Liste des tableaux


 >  Tableau 1 :Les mots qu- interrogatifs et exclamatifs§ 1.1.
 >  Tableau 2 :Les mots qu- dans le tour indéfini concessif§ 2.1.
 >  Tableau 3 :Les indéfinis en qu- du français§ 2.3.
 >  Tableau 4 :Que / quoi interrogatif (et formes supplétives)§ 3.2.1.
 >  Tableau 5 :Que / quoi (et formes supplétives) en subordonnée interrogative§ 3.3.
 >  Tableau 6 :Les mots qu- subordonnants autarciques (conjonctifs)§ 4.1.
 >  Tableau 7 :Que / quoi (et formes supplétives) en subordonnée conjonctive§ 4.2.2.
 >  Tableau 8 :Les mots qu- subordonnants anaphoriques (paradigme relatif standard)§ 5.2.
 >  Tableau 9 :Pronoms en qu- : comparaison latin / français§ 5.2.
 >  Tableau 10 :Paradigme relatif réduit (non standard)§ 5.4.1.
 >  Tableau 11 :Les mots qu- dans le clivage et l’interrogation périphrastique§ 6.
 >  Tableau 12 :Tableau récapitulatif : emplois et paradigmes des mots qu-Conclusion
 >  Tableau 13 :Tableau récapitulatif : les différents types de subordonnées : emplois et paradigmes des mots qu-Conclusion


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