L'absence et la présence du ne de négation

C. Meisner,
A. Robert-Tissot,
 > Page pers.     E. Stark
(03-2016)

Pour citer cette notice :
Meisner (C.), Robert-Tissot (A.) & Stark (E.), 2016, « L'absence et la présence du NE de négation », in Encyclopédie Grammaticale du Français, en ligne : encyclogram.fr

 


1. Découpage du domaine



1.1. Définition et délimitation.

La négation est une catégorie cognitive, syntaxique, sémantique et pragmatique universelle, propre à toutes les langues humaines (Horn 2010:1, Horn/Kato 2000:1). Elle consiste sémantiquement dans le renversement de la valeur de vérité de la proposition affirmative correspondante. Les formes de marquage morpho-syntaxique de la négation sont multiples. (cf. entre autres Armstrong 2002, Armstrong/Smith 2002, Ashby 1976, 1981, 2001, Coveney 22002, Culbertson 2010, Diller 1983, Dufter/Stark 2007, Fonseca-Greber 2007, Hansen/Malderez 2004, Lüdicke 1982, Meisner 2010, Pohl 1968, Pooley 1996, Sturm 1981, van Compernolle 2009). L’expression de la négation varie, non seulement d’une langue à l’autre, ou au cours de l’histoire d’une langue, mais parfois aussi synchroniquement, à l’intérieur d’une ‘seule’ langue.

En français contemporain, la négation de phrase (NDP), illustrée en (1), est exprimée syntaxiquement par la combinaison de la particule ne (si elle est réalisée) et de pas ou un autre élément négatif, par exemple un pronom indéfini négatif comme personne ou rien, ou un adverbe négatif comme jamais ou plus, et elle porte sur le prédicat ou le focus informationnel non-marqué de l’énoncé :

(1)  La négation de phrase (NDP) :
(a) Elle n’est pas
(b) Vous n’avez vu personne ici en haut ce matin ?

Au niveau syntaxique et sémantique, la négation de phrase s’oppose à la négation de constituant, illustrée sous (2) :

(2)  La négation de constituant (NDC)
(a) C’est un comédien pas drôle.
(Peters 1999 : 116) (b) Je trouve dommage de ne pas s’exprimer.

Le critère de distinction entre les deux types de négation, outre la position de la particule postverbale (après le complément prédicatif en (2a) et non après le verbe conjugué) et la prosodie, est sa portée : la négation de phrase porte sur le prédicat et ses arguments, comme en (1), et la négation de constituant porte uniquement sur un constituant ou une partie d’un constituant, souvent un élément autre que le prédicat (Penka 2011:8), par exemple sur l’adjectif drôle en (2a) ou sur l’infinitif s’exprimeren (2b).

La présente notice a comme objet les différentes formes d’expression de la négation de phrase (NDP), et plus précisément les deux variantes de celle-ci, à savoir avec ou sans la particule ne:

(3)  La variation ±ne en français moderne
(a) je ne sais pas
(b) je sais pas

En français standard, la NDP est exprimée par deux particules, comme en (3a) le proclitique ne et la particule (généralement) postverbale pas (ou un pronom indéfini négatif personne, rien, un adverbe négatif jamais, plus etc.). En revanche, dans les corpus oraux, ou de graphie spontanée (p.ex. dans les SMS ou les chats etc., cf. Stark 2012, van Compernolle 2008a), la particule ne est souvent omise, et la négation de phrase est donc exprimée uniquement par l’autre élément négatif (souvent appelé forclusif dans les ouvrages traditionnels). Dans l’exemple (3b), seule la particule négative pas exprime la négation de phrase.


1.2. Cadres théoriques prépondérants

La variation binaire qui caractérise l’expression de la négation de phrase en français contemporain (absence ou présence de la particule ne) a été thématisée dans deux grands courants, partiellement opposés, de la linguistique contemporaine, à savoir le courant empiriste d’une part (étude de l’usage, analyse quantitative et qualitative de corpus), et la syntaxe formelle (générative), explicative, grammaticale, de l’autre. À cela s’ajoutent des descriptions diachroniques (souvent basées sur les travaux de Jespersen 1917, 1924, voir section 3.5) portant sur la grammaticalisation de noms, adverbes et pronoms postverbaux en simples particules négatives exprimant, de nos jours, la négation de phrase à elles seules dans certaines variétés du français (exemple (3b) ci-dessus). Ces travaux étudient l’usage dans des corpus (Martineau & Mougeon 2003 ; Martineau & Vinet 2005 ; Völker 2003), mais s’intéressent aussi aux développements du système dans une approche plutôt formelle (van Gelderen 2009).

Dans les approches empiriques d’inspiration sociolinguistique, les occurrences potentielles et réelles de ne dans un corpus sont repérées, et, si possible, l’influence de divers facteurs intra- et extralinguistiques sur ±ne est identifiée (statut sociodémographique du locuteur, situation de communication, contexte linguistique, pragmatique ou phonétique etc.), sur la base de calculs statistiques (Armstrong & Smith 2002, Ashby 1976, 1981, 2001, Coveney 22002 entre autres). Dans les ouvrages de syntaxe formelle et/ou de théorie linguistique, la modélisation syntaxique adéquate de la négation bi- ou monopartite est une question souvent traitée dans le cadre de la discussion sur le statut des pronoms clitiques sujets et des auxiliaires en français contemporain (Pollock 1989, Rowlett 1998, Culbertson 2010). Dans cette approche, l’absence de ne en français moderne est attribuée soit à un changement linguistique en cours (cf. les travaux inspirés du cycle de Jespersen, section 3.5 ci-dessous), soit à une variété spécifique de français (‘colloquial’, ‘des jeunes’, ‘du peuple’ ou ‘de l’immédiat’, voir Zribi-Hertz 2011). En fait, rares sont les études qui combinent l’approche empirique et théorique afin d’expliquer l’absence et la présence du ne (voir Meisner à paraître pour une explication/modélisation possible).


1.3. Problèmes terminologiques

1.3.1. Comme mentionné ci-dessus, il est important de distinguer d’abord la négation de phrase (NDP) de la négation de constituant (NDC), cf. les exemples (1) vs. (2) ci-dessus.

1.3.2. Ensuite, d’un point de vue logique, la négation met en jeu deux éléments réciproquement incompatibles. Le principe de contradiction prédit qu’une proposition p et sa négation ¬p (ou ~p) ne peuvent être vraies simultanément (« Law of contradiction », Horn 22001:18-21). Bien que l’opposition contradictoire soit exprimable par un élément linguistique de négation (en français, p.ex. par les particules négatives ±ne…pas), il faut mentionner que la négation dans les langues naturelles n’équivaut pas à la négation logique. Tandis qu’en logique deux négations successives ont pour résultat un sens affirmatif : ¬¬p = p (cf. par exemple non nullus (‘certains’) en latin classique), ceci ne vaut pas nécessairement pour toutes les langues naturelles (Bernini & Ramat 1996:2).

1.3.3. D’un point de vue sémantique, la négation peut remplir au moins deux fonctions principales différentes (e.a. Arrivé & al. 1986). Selon les approches qui distinguent deux fonctions (p. ex. Horn 1985, remontant à Russell 1905), la négation est dite soit descriptive (ou négation interne), soit métalinguistique (ou négation externe, voir aussi Muller 1991). Le critère de distinction est de savoir si la négation touche les aspects vériconditionnels (négation descriptive) de la phrase ou s’il s’agit du refus ou de la négation de présupposés et/ou d’implicatures conversationnelles ou d’énonciations précédentes (négation métalinguistique). La négation descriptive dans l’exemple (5a) nie un état-de-choses, tandis que dans son emploi métalinguistique, comme dans les exemples (5a) et (5b), la négation corrige p. ex. un énoncé (5a) ou une assomption (5b) .

(4)  La négation descriptive (Moeschler 1992:18)
Il ne fait pas beau.

(5)  La négation métalinguistique (Moeschler 1992:16 et 21)
(a) Pierre n’a pas cessé de fumer; en fait, il n’a jamais fumé.
(b) Je ne te promets pas d’être à l’heure. (Assomption: Le locuteur sera à l’heure.)

D’autres approches, p. ex. celle de Ducrot (1984), opèrent une tripartition de l’emploi de la négation, alignée sur la théorie de l’énonciation. À côté des emplois descriptifs et métalinguistiques, ces approches reconnaissent un emploi polémique (aussi appelé polyphonique) de la négation. Étant donné que la négation polémique refuse un point de vue et ne nie pas un état de fait, elle tombe sous la négation métalinguistique au sens de Horn. Les négations métalinguistiques et polémiques se distinguent par le point de vue refusé: lors de l’emploi métalinguistique, le point de vue refusé est celui du locuteur de l’énoncé positif (cf. les exemples en (5) ci-dessus), tandis que lors de l’emploi polémique, le responsable du point de vue contesté est l’énonciateur (l’agent de l’acte illocutoire) de l’énoncé négatif (cf. Moeschler 1992:17). Dans l’exemple (6), l’implicature contextuelle (si X est intelligent, alors X est sérieux) est contestée par B; les présupposés par contre sont conservés, contrairement à l’emploi métalinguistique de la négation, qui annule les présupposés .

(6)  La négation polémique (Moeschler 1992:18)
A: X est un garçon intelligent.
B: Mais il n’est pas sérieux pour autant.
(Implicature contextuelle : Si X est intelligent, alors X est sérieux.)

1.3.4. La distinction suivante, définie en (7), à savoir celle entre la négation standard vs. non-standard, se réfère à la description typologique de l’expression de la négation dans les langues du monde.

(7)  Négation standard vs. non-standard (selon Miestamo 2005:3)
(a) Négation standard: le procédé basique et productif d’une langue pour nier les phrases principales avec verbe conjugué ;
(b) Négation non-standard: tous les autres procédés de négation.

La négation standard décrit le procédé le plus basique et le plus neutre qui existe dans une langue pour nier une phrase principale (en français standard, ce serait par exemple la combinaison entre ne et pas). Le terme de négation standard selon Miestamo (2005:3,44) n’inclut pas les constructions négatives qui ajoutent une signification sémantique ou pragmatique à la négation même. Les adverbes négatifs comme jamais et les pronoms indéfinis négatifs comme personne et rien n’entrent donc pas dans le domaine de la négation standard. Selon Miestamo (2005), la négation standard concerne uniquement la négation verbale des phrases principales et déclaratives. Il est important de noter que la négation standard, étant une notion typologique, n’est pas identique à l’expression de la négation dans la langue standard, ce qui se réfère à la catégorie normative du standard linguistique comme il est décrit dans les grammaires de référence (par exemple Grevisse/Goosse 152011). Si l’on compare l’expression de la négation standard dans les langues du monde, on découvre trois types principaux de marqueurs négatifs dont deux sont illustrés dans les exemples suivants (Dahl 1979, 2010, Payne 1985 et Dryer 2011

(8)  La négation syntaxique vs. morphologique
(a) Pour lui, ce n’est pas possible.
(b) Pour lui, c’est impossible.

Le type de négation standard le plus commun est représenté par les particules négatives qui expriment la négation, comme en (8a). Ce type se trouve dans 50% des langues, entre autres en français (ne et pas), en anglais (not), en allemand (nicht) et en latin (non) (Dahl 2010:19 et infra section 4). Ensuite, la négation morphologique ou affixale, qui est illustrée en (8b) à l’aide d’un exemple français bien qu’elle ne constitue pas la négation standard dans cette langue, est utilisée par un tiers des langues comme négation standard des phrases principales (p.ex. le turc, selon Bybee 1985 et Miestamo 2005, cités par Dahl 2010:19). Enfin, les verbes négatifs constituent le troisième moyen pour exprimer la négation standard. Ceux-ci sont utilisés par environ 12% des langues (p.ex. le tongien, selon Dahl 2010:20-21).

Outre la négation standard, les langues du monde disposent d’une multitude de termes négatifs et ‘apparemment négatifs’ («  apparent expressors of negation », Ladusaw 1996: 337), comme fr. personne, it. nessuno ou angl. anybody (appelés mots-n dans la terminologie de Laka 1990). Ces termes montrent des comportements très divers quant à leur coprésence mutuelle et avec la négation standard : leurs possibilités de cooccurrence s’appellent concordance négative ou association négative dans la terminologie de Muller (1991) et Larrivée (2004), voir section 4.

Deux groupes de termes contribuent à l’expression de la négation non standard: les pronoms, les déterminants et les adverbes négatifs d’un côté, (1. dans le tableau (9) ci-dessous), et les termes de polarité de l’autre (2. en (9)). Tandis que les premiers expriment la négation de phrase comme le font les particules négatives (Jäger 2008:15, de Swart 2010:11), les seconds encodent les extrémités d’échelles pragmatiques qui sont déterminées contextuellement. La distinction entre ces deux groupes est particulièrement délicate en français, puisque certains éléments (par exemple personne, jamais et rien) apparaissent dans les deux groupes.

(9)  Les termes négatifs et de polarité (Werle 2002:1, légèrement modifié)

Tableau-1

Les pronoms et déterminants indéfinis négatifs (cf. angl. série de no: no, nothing, no one/nobody) sont des quantifieurs universels ou existentiels sous la portée d’une négation. Ils combinent la quantification et la négation (Stark 2006:191) et expriment une valeur négative en isolation (p.ex. angl. Who came ? Nobody). En combinaison avec la négation de phrase ou avec un autre quantifieur négatif, ils donnent lieu à une lecture de multiple négation (langues sans concordance négative).

La classification des termes négatifs en français moderne est assez complexe. Premièrement, les pronoms et déterminants négatifs n’y forment aucune série morphologiquement reconnaissable (contrairement p.ex. à l’anglais : nobody ‘personne’, nowhere ‘nulle part’, never ‘jamais’ etc.), et ils sont à définir en fonction de critères purement syntaxiques et sémantiques. En accord avec Jäger (2008:21) et de Swart (2010:11), et contrairement à Muller (1991) et Larrivée (2004), nous traitons personne et rien comme des pronoms indéfinis négatifs et aucun N, nul N comme des déterminants négatifs, étant donné que ces syntagmes peuvent se trouver en position d’argument (sujet/objet, (10)) dans une phrase négative et expriment une valeur négative dans les réponses elliptiques (11) :

(10)  Les pronoms indéfinis négatifs
(a) personne ne s’est mû
(b) j’attends / et rien ne se passe
(c) Ulysse ne nous montre aucun intérêt dans le dialogue

(11)  Les pronoms indéfinis négatifs comme réponses à la question: qui / quoi as-tu vu ?
(a) Personne.
(b) Rien.
(c) Aucun/nul homme.

On pourrait se demander pourquoi personne et rien, qui peuvent évidemment apparaître avec ne, sont classés comme pronoms indéfinis négatifs (PIN), donc en analogie avec angl. nobody et nothing, et non pas comme termes de polarité négative (TPN), en analogie avec angl. anybody et anything. Notre classification est empiriquement motivée : outre la possibilité d’exprimer la négation dans les réponses négatives, dont anybody et anything sont privés, Mathieu (2001) décrit la possibilité d’une lecture de négation multiple lorsque personne et rien apparaissent en cooccurrence, tout comme en allemand et en anglais standard :

(12)  Les PIN permettent une lecture de double négation
Personne a rien dit. (Mathieu 2001:331-332)
(i) concordance négative : ∃x (∃y (dire(x,y)))  ≅ ‘Personne n’a parlé’, ‘No one said anything.’
(ii) double négation :   ∃x (~∃y (dire(x,y))  ≅ ‘Personne n’a gardé le silence’, ‘No one said nothing’

Vu que les deux lectures de l’exemple (12), celle de concordance négative en (i), et celle de double négation en (ii), sont disponibles, nous pouvons supposer que personne, rien, aucun N et nul N sont des pronoms, respectivement des déterminants négatifs (DetN). Par ailleurs, personne et rien sont également employés comme termes de libre choix non-négatifs (voir ci-dessous).

Les adverbes négatifs (AdvN) expriment la négation inhérente (cf. angl. nowhere, never), comme les PIN et les DetN, et ajoutent, en plus, une nuance sémantique à la négation. Pour cette raison, Werle (2002) les classe avec les PIN et DetN comme des quantifieurs négatifs. Les adverbes négatifs jamais, plus et guère s’opposent sémantiquement à toujours, encore et très bien/beaucoup. Les équivalents positifs de nulle part sont des syntagmes prépositionnels comme dans le jardin, les adverbes locatifs comme ici ou , ou des syntagmes indéfinis quantifiés comme quelque part. Nullement et aucunement expriment une intensification de la négation, tout comme l’ajout de du tout au négateur standard ±nepas du tout. La plupart des AdvN (à l’exception de plus) peuvent s’employer comme des réponses elliptiques négatives (13) :

(13)  Les AdvN comme réponse négative elliptique
(a) Es-tu d’accord ? - Nullement/aucunement/jamais.
(b) Tu les as trouvés ? - Jamais/nulle part.

Les termes de polarité négative (TPN) (angl. negative polarity items) sont des termes ou expressions indéfinis limités à la négation directe ou aux contextes de polarité négative (CPN) (esp. nada, nadie, en ninguna parte, nunca). Hoeksema (2000:115) les définit comme suit:

Negative polarity items are expressions (either words or idiomatic phrases) with a limited distribution, part of which always includes negative sentences. Simplifying a bit, we can say that negative polarity items are items that give rise to minimal pairs of affirmative and negative sentences, of which only the negative member is grammatical.

Les contextes de polarité négative (CPN), donc ceux qui permettent l’occurrence des TPN indéfinis, comprennent aussi bien les contextes négatifs morphologiquement transparents, comme ±nepas, que les adverbes non proprement négatifs, comme rarement, des prédications, comme douter, les phrases hypothétiques et les interrogations totales (Ladusaw 1996: 327). Le groupe des TPN comprend des indéfinis comme quiconque ou un/une N quelconque et des expressions complexes dénotant les quantités insignifiantes (le/la moindre N que ce soit ; lever le petit doigt), la non-spécificité (qui que ce soit ; quoi que ce soit) ou une caractéristique extrêmement générale du référent comme [+animé] (âme qui vive). À ces termes s’ajoutent les termes de libre choix (TLC) (angl. free choice items) qui sont des items indéfinis limités aux interprétations non-spécifiques (selon Haspelmath 1997) et qui n’expriment aucune négation (cf. esp. cualquier, cualquier cosa, cualquier persona etc.). En français, la classe des TLC coïncide avec les PIN et les AdvN: les PIN personne et rien et l’AdvN jamais sont employés en tant que négations propres (PIN et AdvN) et en tant que TLCs. Dans les propositions simples, personne, rien et jamais expriment la négation inhérente. Par contre, dans les contextes interrogatifs, hypothétiques ou de comparaison, ils s’emploient, depuis le Moyen Âge jusqu’en français moderne, comme des TLCs sans exprimer une négation, comme le montre l’exemple (14). Dans ces contextes, ils peuvent être remplacés par les TPN ou les pronoms indéfinis positifs et sont équivalents aux termes anglais anybody, anything ou ever, comme illustré par les exemples (15) :

(14)  L’emploi non-négatif de rien au 17e siècle (Martineau 2011:188-200)
As-tu rien vu de plus joli ?(Molière, 1665, Dom Juan, Acte 2, scène 3)

(15)  Les emplois non-négatifs de personne, rien et jamais en français moderne (Wilmet 1998:274)
(a) As-tu vu personne (/quoi que ce soit/quelque chose)? ‘Have you seen anybody?’
(b) Savez-vous rien (/quoi que ce soit/quelque chose) de Pierre? ‘Do you know anything about Peter?’
(c) As-tu jamais (/déjà) visité Paris ? ‘Have you ever visited Paris?’

 


2. Références bibliographiques importantes.


Ashby, William J. (1981): «The loss of the negative particle ne in French: a syntactic change in progress», Language 75, 674–687.

Etude sociolinguistique clé sur la perte de la particule ne

Coveney, Aiden (22002): Variability in spoken French. A sociolinguistic study of interrogation and negation, Bristol, UK / Portland, USA: Elm Bank.

Ouvrage fondamental qui offre une synthèse de l’état des lieux jusqu’à la fin du 20e siècle, une démarche méthodologique concise et de nombreuses données empiriques.

Dufter, Andreas / *Stark, Elisabeth (2007): «La linguistique variationnelle et les changements linguistiques ‘mal compris’. Le cas de la ‘disparition’ du ne de négation», in: Combettes, Bernard / Marchello-Nizia, Christiane (édd.): Études sur le changement linguistique en français, Nancy: Presses Universitaires de Nancy, 115-128.

Cet article traite la variation du ne dans l’histoire du français. L’analyse de Dufter/Stark fournit des arguments en faveur de l’hypothèse de la variation stable en section 3.5.

Haegeman, Liliane (21996): The syntax of negation, Cambridge: Cambridge University Press.

Ouvrage syntaxique fondamental pour l‘analyse de la négation dans les langues humaines.

Horn, Laurence R (22001): A natural history of negation, Stanford, Calif.: CSLI.
Horn, Laurence R. (éd.) (2010): The expression of negation, Berlin / New York: Mouton de Gruyter.

Deux ouvrages fondamentaux en linguistique générale moderne.

Jespersen, Otto (1992 [1924]): La philosophie de la grammaire Paris: Gallimard.

Ouvrage fondamental en linguistique générale, proposant pour la première fois le ‘cycle de la négation’.

Larrivée, Pierre / Ingham, Richard P. (édd.) (2011): The evolution of negation. Beyond the Jespersen Cycle, Berlin / New York: de Gruyter.

Collection récente d’articles traitant des phénomènes particuliers par rapport à l’histoire de la négation.

Martineau, France / Vinet, Marie Thérèse (2005): «Microvariation in French negation markers: an historical perspective», in: Batllori, Montse / Hernandez, Maria L. / Roca, Francesc (édd.): Grammaticalization and parametric variation, New York: Oxford University Press, 194–205.

Étude empirique et théorique détaillée, indispensable pour ceux qui s’intéressent à l’évolution de la variable ±ne.

Meisner, Charlotte (à paraître): La variation pluridimensionnelle. Une analyse de la négation en français. Berne : Lang.

Étude empirique et récente visant à une explication intégrale de la variation du ±ne en français.

Pollock, Jean-Yves (1989): « Verb Movement, Universal Grammar, and the Structure of IP“, Linguistic Inquiry 20-3, 365-424.

Analyse syntaxique fondamentale, qui fournit la base pour l’analyse syntaxique de la négation en termes de NegP, devenue l’analyse standard depuis.

Rowlett, Paul (1998): Sentential negation in French, New York / Oxford: Oxford University Press.

Basée sur les travaux de Pollock 1989, cette thèse propose une première analyse générative complète de la négation en français. 

van Gelderen, Elly (éd.) (2009): Cyclical change, Amsterdam / Philadelphia: Benjamins.

Ouvrage général sur le changement linguistique / la grammaticalisation, qui est considéré comme fondamentalement cyclique.

Zanuttini, Raffaella (1997). Negation and Clausal Structure: A Comparative Study of Romance Languages. Oxford: Oxford University Press.

Ouvrage syntaxique de linguistique romane comparée.

 


3. Analyses descriptives.



3.1. Descriptions et analyses morphosyntaxiques.

Dans pratiquement toutes les grammaires de référence (p.ex. Riegel/Pellat/Rioul 52008:415-418), l’emplacement de la particule négative ne est clairement décrit : dans les phrases tensées, ne se place devant le verbe conjugué, où il fait partie d’une séquence de clitiques (clitic cluster). Dans les constructions infinitives en revanche, il précède l’élément négatif non-clitique, qui précède à son tour l’infinitif (ne pas rentrer).

Les analyses syntaxiques détaillées et explicatives de la négation en français se situent majoritairement dans le cadre de la théorie générative, courant de linguistique théorique qui a ses débuts dans les premiers travaux du linguiste nord-américain Noam Chomsky (1957, 1965), et qui a connu depuis plusieurs étapes et modèles de la faculté du langage humaine (cf. pour le ‘programme minimaliste’, p.ex. Chomsky 2001, 2013). Les analyses de la négation française formulées dans ce cadre se servent d’une représentation arborescente de la structure des constituants et postulent l’existence de ‘têtes fonctionnelles’ (à côté des éléments lexicaux traditionnels comme les verbes (VP), noms (NP) ou adjectifs (AP)), c’est-à-dire d’éléments grammaticaux responsables de la structure grammaticale bien formée d’une phrase (p.ex. le temps =TP, la négation = NegP). Dans ce qui suit, nous allons résumer les analyses les plus pertinentes dans cette discussion, dont la compréhension ne sera peut-être pas immédiatement accessible pour les lecteurs non expérimentés en linguistique théorique. Le contenu de cette notice pourra, pourtant, être compris entièrement sans la lecture de ce sous-chapitre.

a) L’analyse ‘classique’ (Rowlett 1998) se base sur Pollock (1989), qui développe l’hypothèse de la SplitInfl = Split Inflectional Phrase, ‘syntagme flexionnel éclaté / divisé’, et sur Haegeman (21996). Cette analyse conçoit la négation en termes d’un syntagme fonctionnel négatif (NegP) propre, situé en dessous de la projection fonctionnelle temporelle TP (= la tête de la proposition), dont la particule ne est la tête, pas étant situé dans le spécificateur.

(16)  Jean n’embrasse pas souvent Marie (Pollock 1989:414)
Structure de (16) sous l’hypothèse de la SplitInfl :

tableau-2

NegP se trouve entre AgrP (le lieu/la tête de l’accord sujet-verbe) et TP (la tête de la phrase/le lieu du temps verbal). La particule de négation pas réside en SpecNegP, alors que ne est situé en position de tête et cliticisé au verbe, qui se déplace d’abord en Agr° (pour recevoir les marques de personne et nombre du sujet) et ensuite en T° (pour être marqué pour un temps verbal). Cette représentation part donc de l’hypothèse que ne, contrairement à pas, est l’élément central dans la négation de phrase bipartite française, en dépit de son absence fréquente. Son emplacement préverbal, différent de sa position originale comme tête du syntagme fonctionnel NegP, est expliqué par ses propriétés prosodiques (il s’agit d’un élément faible, clitique, qui a besoin d’un hôte pour ‘s’y appuyer’). Pour expliquer l’absence de ne, que nous observons dans les corpus de français spontané, certains syntacticiens prévoient une règle qui supprime la particule clitique post-syntaxiquement (donc après que la structure de la phrase soit établie) dans les variétés informelles (p.ex. Jones 32007:368).

Pour étayer l’analyse qui voit dans ne l’élément central, la tête de la négation, on peut indiquer des cas dans lesquels la particule ne exprime la négation sans pas ou d’autres négateurs, comme montrent les exemples en (17). Il s’agit de vestiges de l’ancien français. En français moderne, ces constructions sont possibles uniquement avec certains verbes (cesser, oser, pouvoir, savoir) ou dans des contextes particuliers (par exemple dans les phrases hypothétiques).

(17)  La négation exprimée par ne seul (Jones 32007:362)
(a) Il ne cesse de travailler
(b) Je n’ose lui parler
(c) Si je n’avais pris la voiture, l’accident ne serait pas arrivé.

Le fait que les deux particules négatives, ne et pas, sont capables d’exprimer la négation et à elles seules et en combinaison/cooccurrence pose un problème pour les analyses syntaxiques qui traitent l’un ou l’autre comme l’élément principal (tête) de la négation de phrase. Il est donc difficile de trancher la question de savoir quel élément est associé avec la valeur négative [+neg], qui opère la négation au niveau sémantique. Rowlett (1998) propose une solution à cette question. Il approfondit le modèle de Pollock (1989), suivant le modèle de Haegeman (21996), en supposant un opérateur couvert, Op, qui véhicule la propriété [+neg] (par analogie à l’opérateur Op [+WH] qui opère la force interrogative) (cf. (18)).

(18)  NegP selon Rowlett (1998:20) :

Tableau-3

Selon Rowlett (1998), l’opérateur négatif est associé avec le spécificateur du syntagme négatif, donc la position de la particule négative pas, ce qui permet d’expliquer les cas d’absence de ne dans les énoncés négatifs (la valeur négative est présente sur l’élément pas en dépit de l’absence de la tête du syntagme). Pour expliquer également les rares cas dans lesquels la négation de phrase est exprimée à travers le seul ne (exemples (17)), qui ne porte pas l’opérateur négatif, Rowlett (1998) assume, suivant Rizzi (1996), un processus d’accord dynamique (dynamic agreement) entre l’opérateur en SpecNegP et l’élément dans la tête de NegP (donc ne, s’il est présent). Ce processus permet de dissocier la valeur négative [+neg] du matériel lexical (donc des particules ne et/ou pas, qui peuvent toutes deux  exprimer la négation de phrase à elles seules, mais aussi ensemble sans provoquer une lecture de  double négation, voir les exemples (10) supra). L’opération de négation est associée avec la position SpecNegP, dans laquelle se trouve la particule pas. Par conséquent, à l’aide de l’accord dynamique, le spécificateur ‘partage’ ses propriétés négatives avec ne situé dans la tête du syntagme (18a). Dans les constructions où ne seul peut exprimer la négation, il reçoit ses qualités négatives de l’opérateur couvert en SpecNegP (18b).

b) Une proposition plus récente de Déprez (2003) et Roberts (2007) conçoit la négation bipartite comme une opération d’accord négatif (negative concord), dans le cadre du programme minimaliste, plus précisément le modèle des sondes et des phases (Chomsky 2000, 2001). Déprez (2003) et Roberts (2007:64) décrivent la (micro-)variation entre différentes langues et variétés quant à l’interaction entre plusieurs termes négatifs dans une phrase comme une relation d’accord (cf. aussi Biberauer/Roberts 2011 et Zeijlstra 2004). D’une manière générale, les relations d’accord existent entre les éléments ayant les mêmes propriétés formelles (p. ex. personne, nombre, genre ou cas), dans une configuration syntaxique spécifique (appelée c-commande en terminologie générative). Les définitions de l’accord et de la relation c-commande selon Roberts (2007:66) sont les suivantes :

(19)  L’accord selon Roberts (2007:66) :
α Agrees with β where:
  α and β have non-distinct formal features;
  α asymmetrically c-commands β.

(20)  La relation de c-commande selon Roberts (2007:66) :
α asymmetrically c-commands β if and only if β is contained in the structural sister of α.

Si les conditions d’une relation d’accord citées en (19-20) sont satisfaites, α est considéré comme une sonde (angl. probe) et β comme la cible (angl. goal) de la relation d’accord. La configuration d’accord de la phrase négative (21) est figurée en (22) ci-dessous. Roberts (2007:69) propose que les mots-n comme personne soient caractérisés par un trait négatif interprétable (donc pertinent pour l’interprétation de la phrase), ce qui reflète également leur emploi isolé en tant que réponse négative à une question. Par contre, la particule négative ne porte un trait négatif non-interprétable (donc pas pertinent pour l’interprétation de la phrase, pour empêcher une lecture à double négation), ce qui est justifié par son occurrence dans des contextes non-négatifs (emplois explétifs), et ce qui est une propriété des sondes, éléments grammaticaux responsables de l’accord. Roberts (2007:68) ne dit pas d’où provient la particule ne. Il se limite à affirmer qu’elle se situe en T° avec le verbe conjugué.

(21)  Jean n’a vu personne (Roberts 2007: 68)

(22)  La structure de (21):

Tableau-4

Roberts (2007:69f) étend cette approche à d’autres constructions négatives du français standard, à savoir à la négation standard Agreeneg (nepas) (23a), et aux cas dans lesquels un mot-n apparaît dans la position du sujet (23b). En (23b), personne occupe la position du sujet qui c-commande ne. Nous sommes donc portées à conclure que la relation sonde-cible est alors renversée, et que personne peut agir en tant que sonde. Ceci implique que les mots-n possèdent également un trait non-interprétable qui les rend actifs en tant que cibles. Cette approche s’applique par ailleurs aux cooccurrences de deux mots-n avec ne comme en (23c). Roberts (2007:70) conclut que dans (23c) il y a deux relations d’accord Agreeneg (ne, personne) et Agreeneg (ne, rien) qui donnent lieu à une seule relation d’accord Agreeneg ((ne, personne) (ne, rien)).

(23)  L’accord négatif selon Roberts (2007:69-70)
(a) Je n’ai pas vu Marie.
(b) Personne ne m’a vu.
(c) Personne n’a rien fait.
(d) Je n’ai pas vu personne.

Par contre, dans les exemples du type de (23d), les deux relations d’accord ne se combinent pas et provoquent une interprétation de double négation. Roberts (2007:70) explique cela par le fait que pas, contrairement à ne et aux mots-n, ne possède qu’un trait négatif interprétable et ne peut donc pas être une sonde. En (24) figurent les traits négatifs des termes négatifs français que nous sommes portées à assumer selon Roberts (2007:71).

(24)  Les propriétés négatives en français standard selon Roberts (2007:71) :
(a) pas [i-neg] → goal
(b) mots-n [u-neg], [i-neg] → goal et probe
(c) ne [u-neg] → probe

Cette approche permet de modéliser les structures à concordance négative du français standard en termes minimalistes, où la coprésence de deux éléments négatifs (ne…pas/personne/rien) dans une phrase n’engendre pas une double interprétation (à comparer à l’accord sujet-verbe, où l’information du nombre – singulier ou pluriel – n’est interprétée qu’une seule fois, sur le sujet). Elle tient compte du fait que ne seul n’a pas de valeur uniquement négative et du statut négatif indubitable des pronoms indéfinis négatifs comme personne ou rien.

D’un point de vue variationnel, la problématique principale de ces deux approches réside dans le rôle central qu’elles attribuent à la particule ne. Dans l’optique de Déprez (2003), Roberts (2007) et Rowlett (1998), c’est la particule ne qui déclenche l’accord négatif et qui porte le trait [u-neg]. Ainsi, ne constitue la réalisation explicite d’une tête fonctionnelle, tête pourtant fréquemment muette ou vide, du moins dans le français colloquial (un fait acquis aussi naturellement par les enfants). Cela reviendrait à postuler la présence du ne dans la syntaxe et son élimination post-syntaxique (phonologique, à voir Meisner à paraître). D’ailleurs, Roberts (2007:80) renonce à donner une modélisation pour l’absence du ne en français non standard. Il mentionne simplement que, d’un point de vue diachronique, les traits négatifs de ne, d’abord interprétables, sont devenus non-interprétables, ce qui a permis le développement de l’accord négatif. Seule l’approche (également minimaliste) de Peters (1999, 2014) ci-dessous prend en compte systématiquement l’absence de ne observée dans les corpus de français non-standard colloquial (infra § 3.2) dans son analyse syntaxique.

c) L’analyse minimaliste de Peters (1999, 2014) conçoit la négation également comme un accord négatif. Mais, contrairement aux analyses citées ci-dessus, Peters met la particule pas au centre de l’opération syntactico-sémantique de négation. Plus précisément, il suppose un accord entre un trait négatif non-interprétable sur le verbe [u-neg] et un trait négatif interprétable [i-neg] sur pas. Par contre, le clitique ne (si réalisé) est conçu comme un élément clitique en T°, qui peut être présent dans les constructions négatives, mais qui ne porte aucun trait négatif. Cette analyse reflète donc les résultats d’analyses empiriques de la négation en français qui montrent que c’est plutôt pas qui exprime la négation de phrase en français moderne, tandis que ne est souvent absent.

(25)  Paul (n)’a pas rencontré Marie.

(26)  La structure de (25) selon Peters (1999:128)

Tableau-5

L’analyse de Peters fait l’économie de la projection NegP en supposant que pas, doté d’un trait négatif interprétable [i-neg], est employé aussi bien comme négateur de phrase que comme négation d’un constituant (p. ex. dans un comédien pas drôle, Peters 1999:113-122 pour une analyse syntaxique). Dans les phrases tensées, pas est positionné dans un spécificateur en vP, si le verbe possède un trait négatif non-interprétable [u-neg]. La relation d’accord entre pas et le verbe élimine la propriété [u-neg] du verbe et la phrase reçoit une interprétation négative. La particule ne, qui est adjointe à T°, n’a aucune propriété négative et se trouve cliticisée au niveau phonologique (FP) sur le premier hôte à sa droite. La position de pas comme négation de phrase est déterminée en fonction de sa distribution par rapport aux adverbes et aux quantifieurs flottants (27)

(27)  La position de pas selon Peters (1999:123) :
(a) Les enfants (ne) sont (*tous) pas tous partis.
(b) Ils ont décidé de (*tous) (ne) pas tous partir.
(c) Tous les enfants (ne) sont pas partis.

La particule pas précède obligatoirement le quantifieur flottant en (27a-b). En (27c) le quantifieur se déplace (ensemble) avec le sujet (selon l’hypothèse du sujet interne à la VP, cf. Koopman/Sportiche 1991) dans la position initiale, ce qui donne lieu à une phrase ambiguë (Lecture 1: Aucun enfant n’est parti. Lecture 2: Seulement quelques enfants sont partis.). Les données en (27) nous amènent à conclure que pas est inséré dans une position entre TP et VP, car il précède en (27a-b) le quantifieur tous dans la position de base du sujet (Spec,vP) et il suit toujours le verbe fléchi, qui se trouve dans la position T°.

L’hypothèse de Peters (1999), selon laquelle pas se trouve dans un deuxième spécificateur du syntagme verbal (comme dans la structure (26)), est soutenue par la distribution de pas en comparaison avec l’adverbe négatif jamais. Contrairement à jamais, pas n’est pas librement adjoint à une catégorie flexionnelle, mais reste associé à vP, comme montrent les données (28) :

(28) La distribution de pas et jamais (Peters 1999:122) : (a) Jamais ses parents n’accepteront cela. (b) *Pas ses parents n’accepteront cela. (c) Ses parents jamais n’accepteront cela. (d) Ses parents *pas n’accepteront cela. (e) Ses parents n’accepteront jamais/pas cela.

Donc, comme pas est relativement immobile dans la phrase, il n’y a guère de sens à l’engendrer dans une projection NegP individuelle. En revanche, vu la possibilité de plusieurs spécificateurs, il semble cohérent de supposer que le marqueur négatif pas se trouve dans un spécificateur additionnel du vP (cf. Peters 1999:124, Abeillé/Godard 1997).

d) L’analyse empirique récente de Meisner (à paraître) explique l’absence et la présence de ne par la structure prosodique du français contemporain, donc comme phénomène post-syntaxique. L’analyse est alors compatible avec les propositions de modélisation sous a) et b) ci-dessus. Cette analyse prend en compte le fait que ne est souvent absent en présence d’autres clitiques, et qu'il est même catégoriquement absent dans les structures redoublées du type moi je, mais il est presque toujours réalisé en présence d’un sujet lexical :

Patron de la variation ±ne souvent observé dans les corpus (Meisner à paraître) :

Tableau-6

Meisner soutient que c’est la structure oxytone du français qui facilite la chute de ne dans des séquences proclitiques (comme je ne, tu ne etc.) au début d’un groupe intonatif. En revanche, les éléments lexicaux précédant un clitique ont un effet de ‘protection’ prosodique, qui empêche l’omission du clitique ne. Sur la base d’une analyse empirique, Meisner conclut que la variation ±ne observée dans les corpus oraux peut être expliquée par la fréquence variable des sujets prosodiquement lourds et légers. Ainsi, les syntagmes nominatifs, les noms propres ou les pronoms indéfinis sont rares dans les corpus oraux. Mais, lorsqu’ils sont employés en tant que sujets de phrases négatives, ils ‘protègent’ la particule ne de l’omission. En revanche, les sujets prosodiquement légers, comme les clitiques je, tu, ce etc., qui sont extrêmement fréquents dans le parlé, provoquent la chute de ne. Ainsi, l’absence de ne dans les corpus de français moderne, qui pourrait être interprétée comme le résultat d’un changement linguistique (p.ex. Ashby 1981), semble être la conséquence structurale d’une tendance discursive pragmatique universelle (cf. le terme de Preferred Argument Structure Du Bois 1987 et la section 5.2).

Pour terminer, il faut mentionner les études, encore très rares, qui présentent des analyses syntaxiques de l’absence obligatoire du ne négatif dans les impératifs négatifs ‘sous-standard’ (p.ex. (*ne) dis-le pas, cf. Rowlett 2014 et Peters 1999, 2014).


3.2. Descriptions variationnistes

3.2.1. Analyses diatopiques

Même si peu d’analyses comparent systématiquement deux ou plusieurs points d’enquête géographiques quant à la réalisation du ne en français (parlé), la vue d’ensemble des résultats globaux des analyses diatopiques disponibles peut donner quelques indications sur sa répartition dans l’espace :

Carte 1 : Les taux de réalisation de ne dans les corpus de français oral en Europe [Note 4].

Carte-1

Quant au français européen, la plupart des analyses de la variable ±ne proviennent de la région parisienne. C’est également dans le nord de l’Hexagone que les taux de ne semblent être les plus bas en France: Hansen & Malderez (2004), par exemple, y trouvent un taux de seulement 8,2% de ne réalisés chez les locuteurs adultes possédant une formation universitaire. Comparée à ces valeurs, la négation bipartite semble encore bien enracinée au Midi (Diller 1983: 65,7% +ne) et en Belgique (50,2%+ne mesuré par Moreau 1986). D’une manière générale, vu que les études du ne hors de l’Île de France sont rares et en partie vieillies, des études diatopiques de grande échelle seraient absolument nécessaires pour obtenir une idée de la distribution géographique du ne (cf. § 5.3). Pour la Suisse romande, Fonseca-Greber (2007) trouve des taux de réalisation du ne nettement plus bas: 2.5% +ne. En France, une telle fréquence de la négation monopartite se trouve jusqu’à présent seulement chez les adolescents à Dieuze (1,8% +ne), examinés par Armstrong (2002). Pour ce qui est de la Francophonie mondiale, les travaux de Poplack & St-Amand (2009) et de Sankoff & Vincent (1980) montrent que des fréquences extrêmement basses de 1% à 2% de ne, mesurées récemment en Europe, s’observent depuis plus longtemps déjà au Canada. Dans les années 1940 à 1960, le ne y était utilisé uniquement dans des formules et dans des contextes de caractère ‘normatif’ (Poplack & St-Amand 2009).

3.2.2. Analyses sociolinguistiques

Bon nombre d’analyses de la variable ±ne sont de nature sociolinguistique (Armstrong & Smith 2002, Ashby 1976, 1981, 2001 Coveney 2002, entre autres). Elles se basent généralement sur des corpus oraux et visent à tester empiriquement des hypothèses sociolinguistiques, comme par exemple si les jeunes ou les locuteurs socialement défavorisés utilisent davantage la variante sans ne. Ces hypothèses sont en partie confirmées par les corpus, mais les résultats sont parfois tellement contradictoires selon les enquêtes que, d’une manière générale, la variation ±ne ne peut pas être attribuée exclusivement à un certain groupe de locuteurs. Par exemple, dans l’étude d’Ashby (1976), la couche ‘populaire’ manifeste les taux de +ne les plus élevés, tandis que ce même groupe de locuteurs montre les taux les plus bas dans Ashby (2001). À cela s’ajoute le fait que l’échantillonnage des corpus utilisés diffère énormément d’étude en étude, ce qui rend presque impossible une comparaison directe des résultats quantitatifs (taux d’omission ou de réalisation du ne) dans les différentes études. Chez Moreau (1986), par exemple, il s’agit de locuteurs adultes qui parlent à la radio, tandis qu’Armstrong (2002) analyse l’usage linguistique d’adolescents à l’école. Dans l’ensemble, la variation de ±ne semble relativement répandue parmi tous les francophones européens, indépendamment du statut social respectif.

Un facteur interpersonnel semble assez pertinent pour la variation du ne, à savoir celui de l’âge des locuteurs. Une comparaison des résultats d’Armstrong (2002), Ashby (1967, 1981, 2001), Coveney (22002), Hansen & Malderez (2004) et Sturm (1981) montre que le taux des ne réalisés est plus bas chez les adolescents que chez les locuteurs adultes. Cependant, on peut se demander si ce fait indique une vraie perte de ne en diachronie, comme le soutient Ashby (2001:21), ou s’il ne s’agit pas plutôt d’un effet d’âge (age grading) (Posner 22007, Blanche-Benveniste & Jeanjean 1987). Ceci impliquerait que les adolescents augmentent leur production de ne par exemple quand ils entrent dans le monde professionnel et se trouvent de plus en plus dans des situations de protocole.

3.2.3. Analyses stylistiques (variationnelles) et diglossiques

Dans le cadre de la linguistique variationnelle allemande, mais aussi dans les analyses situationnelles (stylistiques au sens large) de la variation autour du ne de négation (entre autres Koch & Oesterreicher 2001, 22011, Massot 2010, Söll 21982, Zribi-Hertz 2011), a été avancée l’hypothèse qu’il existe une variété spécifique (de ‘l’immédiat’, voir § 1.3 pour d’autres termes similaires), qui ne connaît que la négation monopartite. Les francophones seraient donc, en principe, ‘diglossiques’ et posséderaient la compétence native d’(au moins) deux variétés du français : d’un côté le français de l’immédiat, acquis de manière naturelle de génération en génération et utilisé en famille ou avec des amis proches, et de l’autre, le français standard, appris à l’école et utilisé dans les situations de ‘protocole’ ou dans le contact avec les institutions officielles.

L’étude empirique de Meisner (à paraître), qui compare la production de ne des étudiants et élèves dans les examens oraux et dans les conversations détendues, montre qu’il y a effectivement, du moins en France, une différence frappante entre ces deux types de situations. Certains élèves de la banlieue parisienne manifestent une véritable ‘alternance stylistique’ entre les conversations avec leurs amis (où ils n’utilisent presque jamais le ne) et l’examen oral où ils ‘insèrent’ jusqu’à 50% de ne de négation. Il est intéressant d’observer que ce type d’alternance stylistique semble inconnu en Suisse. Les étudiants suisses, enregistrés dans deux situations comparables aux situations analysées pour la France, utilisent aussi peu de ne dans les examens oraux que dans les conversations entre amis. Dans l’ensemble, il y a donc, du moins chez certains locuteurs francophones, une sorte d’alternance entre différentes situations de communication. Cependant, nous préférons la qualifier d’alternance stylistique plutôt que d’alternance codique. Cette dernière impliquerait deux grammaires du français, comme il a été proposé par Culbertson (2010), Massot (2010) et Zribi-Hertz (2011). Or, vu le fait qu’on observe toujours une certaine variation du ne, aussi bien dans les situations de l’immédiat que de la distance communicative (Koch & Oesterreicher 22011), la présence de deux grammaires du français ne semble guère probable.


3.3. Analyses sémantiques 

Sémantiquement, la négation est la valeur des formes qui, dans un contexte nonmarqué, évoquent la non application d’une notion ou d’une proposition (Horn 22001, Ladusaw 1996, Larrivée 2013). La négation peut affecter une proposition entière ou une partie de proposition (négation de phrase vs. négation de constituant, § 1.1). Dans ce contexte, Muller (1991:107) discute les exemples suivants :

(29)  La portée de la négation
(a) Il ne court pas.
(b) Il ne court pas vite.

Dans l’exemple (29a), la négation porte sur la proposition entière. En (29b), l’assertion qu’il court vite (paraphrase: c’est vite qu’il court) est niée, alors que la présupposition il court est maintenue. En ttel cas, l’absence ou la présence du ne de négation ne provoque aucune modification sémantique de la négation.

La problématique d’une description sémantique de la particule ne est illustrée encore une fois en (30) :

(30) La complexité sémantique de ne (a) ne-négatif : Il ne cesse de travailler (Jones 2007:362) (b) ne-explétif : Pierre a toujours peur que Marie ne s’en aille (Wilmet 2007:228) (c) ±ne de négation : Il (ne) court pas. (Muller (1991:107)

Il s’agit notamment de savoir si ne est un élément à valeur négative inhérente/intrinsèque, puisqu’il peut nier une phrase à lui seul (30a), ou s’il s’agit d’un élément non-négatif, puisqu’il s’emploie comme ne-explétif dans des contextes d’inquiétude ou d’interdiction ((30b). La présence variable du ne dans les contextes de négation de phrase (30c) s’ajoute à cette sémantique complexe. Si nous considérons les faits empiriques, nous constatons que les ne négatifs dans les corpus de français parlé sont tellement rares qu’il semblerait même possible de les classer comme des vestiges de l’ancien français, et de traiter la particule ne comme un clitique qui peut, de manière optionnelle, accompagner la négation en français parlé sans véhiculer de valeur négative en soi.


3.4 Analyses pragmatico-discursives

Depuis Sankoff & Vincent (1980), une explication pragmatique de la variation autour du ne a été envisagée, du moins pour le français du Québec (cf. Poplack & St-Amand 2009). Les rares occurrences de ne se trouvent, suivant ces études, surtout dans des contextes qui traitent des sujets ‘sérieux’ comme la religion ou l’éducation. Dans cette perspective, l’usage du ne servirait de marqueur stylistique utilisé de manière (semi-)consciente. On trouve des usages comparables dans des corpus européens (van Compernolle 2008a ; Fonseca-Greber 2007) qui montrent des micro-alternances stylistiques en fonction surtout du sujet traité, de l’interlocuteur, ou de l’emphase ou du contraste verbalisé par la négation.

Le rôle de l’interlocuteur peut être compris à l’aide du modèle socio-pragmatique de l’audience design de Bell (1984, 2001). Dans la conception de Bell (2001:154), la variation intra-locuteur dérive de et reflète la variation inter-locuteurs. L’alternance entre différents styles en fonction d’un thème, d’un sujet parlant ou d’une situation dérive de l’association sous-jacente des sujets, des thèmes et des situations avec des groupes d’interlocuteurs prototypiques. Cela signifie que les particularités linguistiques peuvent être exploitées en guise de ressource d’identification avec un groupe. Analysée selon l’approche de Bell (1984, 2001), la variante ±ne serait donc un moyen d’autopromotion des locuteurs en fonction d’un public potentiel.

De plus, la fonction emphatique du ne de négation semble être parallèle à ce qui a été décrit pour la particule discursive ou emphatique en du flamand, plus avancée que le ne de négation dans le cycle de Jespersen (§ 3.5 ci-dessous; Breitbarth & Haegeman 2010, 2014). Contrairement à la majorité des langues germaniques, qui ont atteint l’étape finale du cycle de Jespersen, certains dialectes flamands ont conservé, bien que de façon facultative, une particule préverbale de négation. Toutefois, dans les variétés concernées, l’optionalité de en dans des contextes négatifs n’est qu’apparente (Breitbarth & Haegeman 2010:62). En effet, en apparaît en cooccurrence avec le négateur standard nie(t) et les autres éléments négatifs précisément dans les négations emphatiques qui expriment le refus d’une attente sous-jacente ou explicite dans le discours :

(31) Dat en is toch mijn schuld nie! ça en est pourtant ma faute pas ‘Cela n’est pourtant pas ma faute!’  (Ghent, Overdiep 1937:456–457 cité d’après Breitbarth/Haegeman 2010: 66)

Breitbarth & Haegeman concluent que en n’est plus une particule de négation, mais une particule d’emphase. Si cette analyse ne semble pas transférable telle quelle au français (puisque la plupart des ne y semblent conditionnés prosodiquement), il y a du moins un exemple dans le corpus français de Meisner qui semble un candidat idéal pour une analyse en tant qu’emploi emphatique :

(32)  moi Pierre Boulle je veux pas / JE - NE - VEUX - PAS / je l'ai pas lu

Une locutrice qui produit très rarement la particule ne l’utilise, dans une succession de trois négations, seulement la seconde fois. Et cette deuxième négation montre des caractéristiques prosodiques typiques d’une emphase selon van Compernolle (2009: 11) : chaque syllabe est accentuée, le débit de parole est réduit par rapport au reste de l’énoncé et les morphèmes sont séparés par des micro-pauses.


3.5. Analyses diachroniques

Au niveau diachronique, la variation autour du ne, observée en français contemporain, est attribuée à une évolution cyclique de la négation. Nommée d’après le linguiste danois Otto Jespersen (1917, 1992[1924]), celle-ci est attestée dans plusieurs langues et variétés indo-européennes (français, anglais, allemand, flamand, russe, plusieurs dialectes du nord de l’Italie, etc.):

(33)  Le cycle de Jespersen (1992[1924]: 479-480)

Tableau-7

Le cycle comprend plusieurs phases : en latin et en ancien français, la négation de phrase s’exprime à l’aide des particules préverbales non et ne. À partir du 13e siècle, la négation préverbale est ‘soutenue’ de temps en temps par des éléments postverbaux positifs, comme PASSUM > pas, MICAM > mie, GUTTAM > goutte et PUNCTUM > point, qui expriment, d’abord, des quantités minimes et deviennent, ensuite, des éléments de polarité négative. Au plus tard au 18e siècle, il est possible, en français, d’exprimer la négation seulement à l’aide de ces éléments autrefois positifs, qui ont désormais acquis, dans la majorité des contextes syntaxiques, une valeur négative.

Le début de l’omission de ne reste difficile à déterminer. Dans les études historiques, nous trouvons deux hypothèses par rapport à l’évolution de la négation depuis 1600 jusqu’à nos jours.

(34)  Changement rapide vs. variation ‘stable'

Tableau-8

Selon l’hypothèse du changement rapide, illustrée par la figure (34a) la particule serait réalisée presque toujours jusqu’au 18e siècle et ne commencerait à disparaître qu’en français moderne (Armstrong & Smith 2002, Ashby 1976, 1981, 2001, Coveney 22002) depuis environ le 19e siècle (Martineau & Mougeon 2003). Un changement d’une telle rapidité devrait entraîner une perte totale de ne dans les années à venir. En revanche, selon l’hypothèse de la variation ‘stable’ (Dufter & Stark 2007, Martineau 2011, Poplack & St-Amand 2009), illustrée par la figure (34b), l’omission de ne était commune depuis au moins le 17e siècle dans la langue orale et n’augmente que lentement. À la lumière des corpus anciens (Ernst 1985, Journal d’Héroard) et modernes, l’hypothèse de la variation ‘stable’ semble plus convaincante, vu que les facteurs linguistiques qui gouvernent l’omission de ne sont restés les mêmes (voir les discussions dans Dufter & Stark 2007 et Meisner à paraître).  


3.6. Résidus des analyses

Dans son bilan des études consacrées à la variation ±ne, Gadet (2000: 164-165) critique entre autres l’absence d’études comparatives, la pauvreté de la variation sociale dans les données étudiées et le manque général d’interprétation des données statistiques. En focalisant sur la comparaison de données diversifiées quant à la situation de communication et au lieu d’enregistrement (Île-de-France, Suisse romande), nous avons cherché (Meisner à paraître) à contrecarrer cette image unidimensionnelle de l’alternance ±ne et à proposer une analyse exploratrice, descriptive et multifactorielle qui vise à une explication intégrale de la variation ±ne en fonction des facteurs phonologiques. Quant aux phénomènes linguistiques à étudier plus profondément, tant au niveau empirique (analyses qualitatives et quantitatives de corpus) que théorique (modélisation et explication des faits trouvés), la variation autour du ne dans ses emplois explétifs, ainsi que ses emplois avec les infinitifs et les impératifs (à part Peters 1999, 2014) restent des domaines pratiquement inexplorés.

 


4. Remarques typologiques et comparatives.


Quant à la relation entre morphosyntaxe et interprétation sémantique pour la négation de phrase, on distingue trois types de marquages dans les langues du monde : les langues qui montrent une concordance négative stricte, celles qui manifestent une concordance partielle, donc non-stricte, et celles sans concordance négative.

(35)  La concordance négative selon Haspelmath (1997:201)

tableau-9

Dans les langues à concordance négative stricte (p.ex. le français standard), la coexistence de la particule négative ne et un deuxième élément négatif (p.ex. personne) induit une interprétation négative simple de la phrase ; les termes pronominaux ou adverbiaux après le verbe conjugué doivent donc être en ‘accord’ négatif avec la particule négative préverbale, sans provoquer une interprétation positive comme en logique (§ 1.3.). Le type de concordance non-stricte, par exemple en italien, est plus complexe : en position préverbale de sujet, des éléments négatifs comme nessuno (‘aucun’, ‘personne’) s’emploient sans expression ultérieure de négation verbale et signalent à eux seuls l’interprétation négative de la phrase entière, alors qu’en position postverbale ou d’objet, ils exigent la présence de la particule de négation préverbale pour exprimer la négation de phrase. Quant aux langues sans concordance négative, comme l’anglais standard, elles expriment la négation à l’aide d’un seul élément négatif, et la présence – possible – de plusieurs éléments (p.ex. des pronoms indéfinis) négatifs dans une même phrase entraîne une interprétation de double négation.

Pour terminer, une des rares études qui comparent de manière assez détaillée les particules de négation clitique ne (français) et en (flamand), toutes deux en voie de disparition et peut-être transformées en particules d’emphase, est l’étude de Breitbarth & Haegeman (2014), mentionnée brièvement en 3.4. Un ouvrage de comparaison inter-linguistique sur la négation en général est Bernini & Ramat (1996), écrit dans une perspective typologique et portant sur les langues européennes.

 


5. Les données.



5.1. Nature.

L’absence et la présence du ne constitue une variable binaire très récurrente dans les corpus de français. En principe, tout corpus de français spontané non-normé se prête donc à une analyse. Mais, il importe d’être prudent dans la sélection des données pour une analyse de ±ne, puisque la fiabilité des résultats dépend de la qualité de la transcription du corpus. Il faut que l’absence et la présence de ne soient soigneusement distinguées et notées correctement dans la transcription, sinon l’analyse empirique est a priori condamnée à l’échec. Nous suggérons donc de consulter le protocole de transcription de chaque corpus exploité et de le tester à l’aide d’un échantillon avant de lancer une analyse empirique. Cela dit, il y a bon nombre de corpus de français spontané soigneusement conçus et librement consultables qui se prêtent à une analyse de ±ne. Entre autres :

C-ORAL-ROM (440.000 mots français, voir Cresti & Moneglia 2005 et Meisner 2010 pour une analyse de ±ne)
PFC (1.400.000 mots toujours en expansion, http://www.projet-pfc.net/pfc-recherche.html)
CIEL-F (http://www.ciel-f.org)
OFROM (http://www.unine.ch/ofrom) pour la Suisse romande
Corpus suisse des SMS (http://www.sms4science.ch et Stark 2012 pour une analyse de ±ne)
T-zéro ( http://server.linguistik.uzh.ch/fmi/iwp/res/iwp_auth.html) et Meisner à paraître pour une analyse de ±ne)

Entre 1968 et 2013 ont été publiées environ 20 analyses de corpus oraux portant sur la réalisation du ne, qui figurent en ordre chronologique en (36).

(36)  Les analyses de ±ne dans les corpus oraux (Meisner à paraître) :

diagramme

Les taux de ne varient considérablement dans ces études, comme on voit. Ceci est dû aux différences entre les points d’enquête, les dates d’enregistrement, et bien sûr à la nature très diverse des corpus. Comme déjà mentionné ci-dessus, l’absence de ne est frappante au Canada, où elle est presque totale depuis plusieurs décennies (Poplack & St.Amand 2009, Sankoff & Vincent 1980). Mais certains corpus européens récents montrent eux aussi des taux de ne très bas, comme par exemple ceux de Fonseca-Greber 2007, qui a enregistré des conversations d’adultes de classe moyenne en Suisse, d’Armstrong (2002) et de Pooley (1996), qui ont recueilli des données de locuteurs de jeune âge. Toutefois, dans d’autres corpus comme ceux de Pohl (1968) enregistrés en France et en Belgique, d’Ashby (1978) en Île en France, et de Diller (1983) dans le Béarn, environ une négation de phrase sur deux comporte la particule ne.

Avant l’arrivée du magnétophone au milieu du 20e siècle, les corpus graphiques sont la seule source donnant accès à la distribution de ±ne dans le passé. Pour ce qui est des textes littéraires, Dufter (2013) montre que dans Frantext (http://www.frantext.fr/) l’omission du ne ne joue aucun rôle jusqu’à la fin du 20e siècle, c’est-à-dire que le ne est quasiment toujours présent.

(37)  L’absence de ne dans Frantext entre 1700 et 1999 selon Dufter (2013)

Tableau-10

Quelques corpus historiques non-littéraires se prêtent cependant mieux à une analyse de ±ne : Martineau & Mougeon (2003) montrent que dans les lettres privées de Québécois du 17e et 18e siècle, le ne semble presque catégorique, mais qu’au 19e siècle, dans un journal intime québécois, son omission s’élève à presque 40%. Dans un autre corpus de lettres privées de Canadiens francophones, Martineau (2009: 169) trouve, au 18e siècle déjà, des taux d’omission de ne d’environ 80%. Dufter & Stark (2007) observent des taux de ne comparables dans le Journal d’Héroard (transcription des propos du jeune Louis XIII et de son entourage par son médecin, début 17e siècle, Ernst 1985 éd.)

Actuellement, les corpus graphiques prennent une importance nouvelle pour la recherche en linguistique variationnelle, car avec l’arrivée de la communication médié par ordinateur (computer mediated communication, CMC), ils offrent la possibilité d’accéder à des quantités importantes de données graphiques authentiques et non-normatives.

(38)  ±ne en CMC (cf. Meisner à paraître)

Tableau-11

Comme on voit, les taux de ±ne varient considérablement entre les différentes formes de communication électronique : tandis que le clavardage modéré, une forme d’interview tapée synchroniquement en ligne, montre plus de 90% de ne, celui-ci est presque absent des conversations dans le IRC messenger, (van Compernolle & Williams 2007). Les autres formes de communication électronique se situent entre ces deux extrêmes. Les différences entre les corpus CMC ont à voir, selon van Compernolle (2008a), avec l’autopromotion des locuteurs (cf. le concept d’audience design de Bell 1984, § 3.4.).

Quant aux données expérimentales, il n’y a, à notre connaissance, que deux travaux concernant la réalisation de ne: une étude pionnière de Coveney (1998), où il teste la sensibilité des locuteurs aux influences linguistiques sur ±ne, et une réplication de sa méthode par Meisner (2013). Les deux analyses montrent que les locuteurs ont effectivement des intuitions concernant les probabilités statistiques de la réalisation du ne.


5.2. Un corpus multidimensionnel et une analyse multifactorielle: Meisner (à paraître)

L’analyse multifactorielle de Meisner teste l’influence respective de huit facteurs sur la variable ±ne. Facteurs linguistiques : le type de sujet grammatical, le type de phrase, l’élément négatif, le temps verbal. Facteurs extralinguistiques : la situation de communication, l’âge des locuteurs, locuteurs bi- vs. unilingues, la provenance géographique des locuteurs). Parmi les variables testées, seules le type de sujet (p>0,001), le type de phrase (p = 0,024) et la situation de communication (p = 0,011) manifestent une influence significative sur la variable ±ne. Les autres facteurs n’excercent sur elle aucune influence directe.

(39)  Les influences directes et indirectes sur ±ne (Meisner à paraître)

Tableau-12.jpg

La situation de communication semble être un facteur clé, puisqu’elle montre des interactions significatives avec presque tous les autres facteurs testés : avec le type de sujet (p = 0,047), avec l’élément négatif (p = 0,009), avec le type de phrase (p < 0,001), le temps verbal (p = 0,002) et la provenance des locuteurs (p < 0,001). Seules les facteurs de la langue maternelle et de l’âge des locuteurs ne montrent aucune interaction, ni avec la variable ±ne ni avec une des autres variables.

On peut se demander de quelle nature est cette interaction entre la situation de communication et les autres facteurs, et ce qu’elle signifie pour le traitement théorique de la variable ±ne. Meisner montre à l’aide de tests statistiques que c’est effectivement la situation de communication qui détermine le choix de certains éléments linguistiques clé (sujets clitiques, pronominaux ou lexicaux), et que ces éléments linguistiques déterminent à leur tour la réalisation de ±ne. Comme précisé dans le paragraphe 3.1. d), il y a un patron typique de la variation ±ne qui s’observe dans tous les corpus de français spontané. Ce sont les clitiques sujets qui provoquent la chute de ne, tandis que les sujets lexicaux, prosodiquement plus lourds, favorisent sa réalisation. Meisner montre que ce patron est déterminé par la situation de communication : dans les situations de conversation intime, spontanée, non-surveillée, donc dans le domaine de l’immédiat communicatif (au sens de Koch & Oesterreicher 2001, 22011), les locuteurs ont tendance à employer des pronoms clitiques, qui provoquent la chute de ne, plutôt que des sujets lexicaux. Le même principe vaut pour les types de phrase : les phrases principales, qui facilitent l’omission de ne, sont beaucoup plus fréquentes dans les situations de l’immédiat communicatif que dans le domaine de la distance, où les sujets lexicaux et les phrases subordonnées apparaissent plus souvent. L’ensemble de la variation ±ne est donc déterminé par le choix des variantes linguistiques dans les différentes situations de communication, comme le montre le résumé (40).

(40)  Le patron de variation ±ne déterminé par la situation (Meisner à paraître)

Tableau-13

Cela signifie que la variable ±ne n’est pas un indice en faveur de l’existence d’une variété de ‘français parlé’, comme le soutiennent par exemple Culbertson 2010, Koch & Oesterreicher 22011 ou Zribi-Hertz 2011, voir § 3.2.3). Ce sont des tendances communicatives universelles, p.ex. la Preferred Argument Structure (Du Bois 1987), comme l’emploi de différents types de sujets dans différentes situations de communication, qui déterminent en dernière instance la réalisation de la variable ±ne.


5.3. Variations

Les variations sont le point central de cette notice. Il existe plusieurs facteurs qui conduisent à la variation dans le cas de ±ne:

(a) Faits d’archaïsme

Vu que l’histoire de la négation de phrase bipartite du français contemporain s’inscrit dans le contexte du cycle de Jespersen, il y a des contextes dans lesquels l’ancienne forme de la négation, uniquement préverbale, s’est conservée. Ces usages archaïsants sont notamment l’emploi de ne seul avec les verbes modaux (je ne saurais dire…) ou le ne explétif (je crains qu’il ne soit fâché), voir § 3.3.

(b) Faits d’innovation

Il y a, en français moderne non-standard, des occurrences, rares mais récurrentes, de structures innovatrices comme les impératifs niés avec les clitiques objets postposés (donne-le-moi pas), structure qui exclut l’apparition du ne de négation (Peters 1999, 2014). Mais étant donné que ces structures étaient en partie déjà présentes dans le français du début du 17ème siècle, on doit se demander si elles sont vraiment à classer comme des innovations ou non.

(c) Variations de registres

C’est sans doute là une dimension de variation pertinente pour la variable ±ne, surtout dans les dernières années qui ont vu des usages pragmatiques spéciaux de ne, voir § 3.2.3. et 3.4.

(d) Variations entre oral et écrit

Si l’on comprend par «oral-écrit» la dimension situationnelle de la variation indépendamment du code (‘graphique vs. phonique’, Koch & Oesterreicher 22011), donc le continuum communicatif entre l’«immédiat» et la «distance» communicative, cette dimension est la plus pertinente pour la variable ±ne (§ 3.2.3. et surtout 5.1). Même dans ‘l’écrit informel’ comme p.ex. les SMS (Stark 2012), on observe les régularités décrites par Meisner pour des données orales, à savoir la dépendance prosodique du ne, qui tient à la présence d’un sujet (lexical) ‘lourd’ en position préverbale. La nature de la variation ±ne est assez certainement linguistique, donc interne au système français, mais des régularités d’usage comme la Preferred Argument Structure de Du Bois (1987, voir § 3.1.) conduisent à ce qu’elle se montre plus fréquemment dans des situations de l’immédiat communicatif que dans celles de distance.


5.4. Évaluation des données utilisées dans la littérature

La grande majorité des analyses de la variation ±ne se base sur des corpus de français spontané. Généralement, il s’agit du français parlé et souvent les auteurs ont enregistré, transcrit et analysé leurs propres corpus (Armstrong 2002, Ashby 2001, Coveney 22002, Fonseca-Greber 2007, Meisner à paraître). Il faut noter que le système de transcription joue un rôle important pour l’analyse. La plupart des linguistes travaillant sur des corpus utilisent un système d’orthographe standard qui est adapté aux particularités de la langue phonique et qui n’y ajoute aucun élément qui ne soit pas prononcé, comme illustré en (41), où le pronom il n’est pas restitué :

(41)  Les systèmes de transcription usuels dans les études sur le ne de négation
(a) y a tout ce qu’il faut
(b) [jatuskifo]

Dans Meisner (à paraître), nous avons ajouté à cette transcription orthographique une transcription phonétique, comme ci-dessus, qui permet l’observation de certaines particularités phonétiques, surtout l’assimilation des clitiques au verbe fléchi, qui reste invisible dans la transcription orthographique, et qui est devenue extrêmement importante pour l’explication prosodique de la variation ±ne que nous proposons.

Depuis l’arrivée de la communication en ligne, on trouve de plus en plus d’auteurs qui travaillent avec des grands corpus d’écriture électronique (van Compernolle 2008a, Stark 2012). Ces données sont souvent tout aussi authentiques et spontanées que les données phoniques et elles présentent le grand avantage qu’elles ne nécessitent aucune transcription. Cependant, leur annotation pour y retrouver les séquences de négation n’est pas toujours facile, voir p.ex. Ueberwasser 2013. Il n’y a, à notre connaissance, que deux auteurs qui ont essayé d’approcher la variation du ne du côté expérimental. Il s’agit de l’étude pilote de Coveney (1998) et d’une réplication dans Meisner (2013). Les auteurs ont formulé des exemples négatifs et les ont soumis à des locuteurs natifs pour tester leur acceptabilité avec et sans ne. Cette sorte d’études expérimentales semble un complément utile aux études de corpus, dans le domaine de la linguistique variationnelle.

 


6. Bilan.


Comme nous l’avons vu tout au long de cette notice, la variation autour du ne de négation constitue un des grands domaines d’intérêt de la linguistique variationnelle du français, tant dans une perspective synchronique que diachronique. Les premières études empiriques de cette variable binaire se sont concentrées sur la variation sociale et situationnelle/stylistique, soutenant partiellement l’hypothèse d’une diglossie entre variétés ‘standard’ avec le ne de négation et ‘sous-standard’ sans ne. Cependant, les approches qui intègrent la linguistique de corpus avec une analyse théorique et typologique des données (comme Dufter & Stark 2007 ou Meisner à paraître) rassemblent de plus en plus d’arguments en faveur de l’évidence que l’omission du ne de négation est une régularité linguistique, déterminée par le contexte prosodique, plutôt qu’une régularité extralinguistique. C’est le caractère clitique du ne et son interaction avec d’autres éléments proclitiques préverbaux (surtout les pronoms sujets clitiques) qui doit être pris en considération. Une fois cette interaction comprise, la fréquence accrue d’omission du ne dans des contextes ‘informels’ ou plutôt de proximité communicative, s’avère être une variation épiphénoménale (les sujets prosodiquement lourds, avec lesquels apparaît le ne, sont rares dans des contextes de ‘proximité communicative’). Attribuer l’omission du ne au «parlé» au sens large est certes à première vue correct, mais s’avère une explication superficielle. Qui plus est, si la nature clitique du ne et son interdépendance avec d’autres éléments clitiques préverbaux sont effectivement les facteurs qui contrôlent son omission, la variation observée dans les corpus depuis le 18ème ou 19ème siècle est probablement plus ancienne («variation stable»), bien qu’elle ne puisse être attestée que là où la grammaire normative ne l’empêche pas d’apparaître (écrits privés, textes non-littéraires, textes littéraires à partir du réalisme/naturalisme). En français contemporain, il ne s’agit pas non plus d’une variation due au code (omission du ne dans le code phonique, maintien du ne dans le code graphique), comme l’ont montré les études récentes sur ‘l’écrit électronique’ (SMS, chats etc.). Pour conclure, face à l’hypothèse prosodique (donc intralinguistique) de l’omission du ne de négation, de plus amples études de corpus seraient nécessaires. Il est surtout souhaitable de prendre systématiquement en compte à l’avenir les micro-variations régionales avec différents systèmes prosodiques (p.ex. en Suisse romande), ainsi que de développer les études expérimentales en vue de tester la perception par les locuteurs des phénomènes prosodiques prédits par Meisner.

 


7. Annexes.



7.1. Liste des ouvrages cités

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7.2. Liste des abréviations utilisées

° Tête de syntagme
AdvN Adverbe négatif
AgrP Syntagme d'accord (angl. agreement phrase)
CMC Communication médiée par ordinateur (angl. computer mediated communication)
CPN Contexte de polarité négative
Det Déterminant
DP Syntagme déterminatif (angl. determiner phrase)
i-neg Trait négatif interprétable
IP Syntagme flexionnel (angl. inflectional phrase)
N Nom
NDP Négation de phrase
NDC Négation de constituant
Neg Négation
NegP Syntagme négatif (angl. negation phrase)
non-NC sans concordance négative
Op Opérateur
p Probabilité
PIN Pronom indéfini négatif
Spec Spécifieur
SplitInfl Syntagme flexionnel éclaté/divisé (angl. split inflectional phrase)
t Trace
TP Syntagme temporel (angl. tense phrase)
TPN Terme de polarité négative
u-neg Trait négatif ininterprétable (angl. uninterpretable negative feature)
VP Syntagme verbal (angl. verb phrase)
WH Mot en wh- (interrogatifs angl. what, where, when, etc.)

Note 1:

Note 2:

Note 3:

Note 4:


 

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